Bob Dylan, Prix Nobel de littérature 2016
Par Le Monde
L’Académie
suédoise a choisi de récompenser le musicien et poète américain
« pour avoir créé […] de nouveaux modes d’expression
poétique ».
Le
prix Nobel de littérature 2016 est décerné à Bob Dylan, 75 ans,
« pour avoir créé dans le cadre de la grande tradition de la
musique américaine de nouveaux modes d’expression poétique », a
annoncé la secrétaire générale de l’Académie suédoise, Sara Danius.
L’Américain, premier musicien à être récompensé par l’académie depuis
la création du prix en 1901, succède à la Biélorusse Svetlana
Alexievitch.
« Bob Dylan écrit une poésie pour l’oreille », a expliqué Mme
Danius à la télévision publique SVT, affirmant que les membres de
l’académie avaient manifesté « une grande cohésion » dans ce
choix. « Il s’inscrit dans une longue tradition qui remonte à
William Blake », le célèbre poète anglais mort en 1827,
a-t-elle affirmé, citant Visions of Johanna et Chimes of Freedom.
« Il est extrêmement doué pour la rime. C’est un sampleur
littéraire qui convoque la grande tradition et peut marier de façon
absolument novatrice des musiques de genres différents, des textes de
genres différents. »
Une histoire de l’Amérique à lui seul
Dylan est une histoire de l’Amérique à lui seul, synthétisant dans son
œuvre la poésie surréaliste de la beat generation, l’austérité
militante du folk, la complainte du blues, l’énergie révoltée du rock
et la chronique de la vie quotidienne propre à la country.
Présentée par l’Académie suédoise comme une « icône », la
légende du folk a sorti son 37e album, Fallen Angels, en mars. A
l’occasion d’une cérémonie de remise de trophées, organisée
en 2015, l’auteur-compositeur était revenu sur son parcours :
« Les chansons ne sont pas apparues par magie, je ne les ai pas
fabriquées à partir de rien. J’ai appris à écrire des paroles en
écoutant des chansons folk. Et je les ai jouées (…), je n’ai rien
chanté d’autre que des folk songs, et elles m’ont ouvert le code pour
tout ce qui est de bonne chasse, tout ce qui appartient à tout le
monde. »
A cette occasion, il avait aussi défendu sa voix : « Mes
critiques disent que je mutile mes mélodies, que je rends mes chansons
méconnaissables. Vraiment ? (…) Sam Cooke [chanteur de
rhythm’n’blues à la voix d’ange] a répondu ceci quand on lui a dit
qu’il avait une belle voix : “C’est très gentil à vous, mais les
voix ne doivent pas être jugées en fonction de leur joliesse. Elles ne
comptent que si elles vous convainquent qu’elles disent la
vérité”. »
Des textes politiques
Depuis des années, le nom de Bob Dylan revenait souvent mais peu
d’experts s’attendaient à ce que l’académie franchisse le pas de
récompenser un chanteur aussi populaire que lui. Né le 24 mai
1941, à Duluth, dans le Minnesota, l’artiste a grandi dans une famille
juive de la classe moyenne. Dans sa jeunesse, comme la plupart des
adolescents américains, Bob Dylan tombe sous le charme du rock avec
Elvis Presley et Jerry Lee Lewis avant de former son propre groupe.
En 1959, étudiant à l’université de Minneapolis, il découvre les
pionniers du blues, du country et du folk : Robert Johnson, Hank
Williams et Woody Guthrie. En 1961, il abandonne ses études et
déménage à New York pour fréquenter la scène musicale embryonnaire de
Greenwich Village. C’est à cette époque que Robert Allen Zimmerman
adopte comme nom de scène Bob Dylan, qui sera aussi le titre de son
premier album. Sorti en 1962, celui-ci est un fiasco.
La percée se produit un an plus tard avec l’album The Freewheelin’Bob
Dylan et ses deux titres folk de protestation : Blowin’ in the
Wind, chanson pacifiste qui sera un hymne des années 1960 contre la
guerre au Vietnam, et A Hard Rain’s A-Gonna Fall. En 1963, il
participe à la marche sur Washington autour de Martin Luther King.
A partir de la fin des années 1960, il se détache de plus en plus des
fans de folk et des milieux de gauche, refusant d’être l’étendard des
contestations et des luttes de l’époque, publiant un recueil de poésie
en 1971, Tarantula, et s’essayant même à la peinture et au cinéma.
Depuis les années 1980, son extraordinaire créativité s’est tarie,
malgré des albums remarquables (Oh Mercy en 1989, Time Out of Mind en
1997) et le premier volume d’une autobiographie célébrée par la
critique, Chroniques (2004), dont on attend toujours la suite. Showman
infatiguable, quoiqu’inégal, il parcourt la route sans relâche – il est
ces jours-ci à l’affiche du Desert Trip Festival, en Californie, où il
rejouera vendredi 14 octobre en première partie des Rolling Stones, une
semaine après un premier concert-événément.
« Un pouvoir poétique extraordinaire »
Décidément habitué à être là où ne l’attend pas, il a aussi reçu
en 2008 le prix Pulitzer, qui récompense traditionnellement des
travaux journalistiques. Il avait été distingué, selon les mots du
jury, « pour son profond impact sur la musique populaire et la
culture américaine, à travers des compositions lyriques au pouvoir
poétique extraordinaire ».
Bien qu’il n’ait signé qu’un petit nombre de grands albums après
l’apothéose créative des années 1965-1975, il reste, au même titre que
le tandem Lennon-McCartney, l’un des chanteurs-auteurs-compositeurs les
plus influents de l’histoire de la musique, maintes fois recopié,
jamais égalé.
C’est le premier Américain à obtenir le prix Nobel de littérature
depuis Toni Morrison, en 1993. Le prix Nobel s’accompagne d’une
récompense de huit millions de couronnes suédoises
(822 000 euros).
Bob Dylan en dix dates
24 mai 1941 : naissance de Robert Zimmerman à Duluth (Minnesota).
1962 : il publie son premier album, Bob Dylan.
1963 : il enregistre l’hymne pacifiste Blowin’in the Wind.
28 août 1963 : il participe à la grande marche sur Washington
pour les droits civiques et chante après le discours de Martin Luther
King.
1965 : il déroute ses fans en passant du folk acoustique au rock
électrique avec l’album Bringing it All Back Home. Et se fait huer au
festival folk de Newport.
1966 : il publie l’album Blonde on Blonde, considéré comme son chef-d’œuvre.
30 juillet 1966 : accident de moto qui l’écarte de la scène pendant trois ans.
1979 : il se convertit au christianisme.
1988 : il commence son never ending tour (« tournée sans
fin »), expression inventée par la critique pour qualifier une
tournée quasiment ininterrompue jusqu’à ce jour.
2008 : il obtient le prix Pulitzer de musique.
Mai 2016 : il publie son dernier album en date, Fallen Angels, composé de reprises de Frank Sinatra.
14 Octobre 2016
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