Des artistes appelés en renfort pour propager la « véritable » histoire de l’Afrique
Par Laurence Caramel - LE MONDE Le 25.01.2017 à 15h58
Chef
de file d’une coalition d’artistes, le musicien Ray Lema propose
d’organiser des concours de chansons et de pièces de théâtre pour
sortir de l’ombre l’« Histoire générale de l’Afrique ». Ce
projet scientifique est porté par l’Unesco depuis plus de quarante ans.
Cette
semaine à La Havane, l’entreprise monumentale lancée au lendemain
des Indépendances pour donner aux Africains un récit de leur Histoire
écrit par des Africains franchira un pas supplémentaire. Les
scientifiques, réunis du lundi 23 au samedi 28 janvier par
l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la
culture (Unesco) fixeront les derniers détails qui devraient permettre
au neuvième volume de l’Histoire générale de l’Afrique (HGA) de voir le
jour d’ici à la fin de l’année. Composé de trois tomes de 850 pages, il
viendra s’ajouter aux 8 000 pages déjà produites depuis la
parution du premier volume en 1980. Il y sera question de
l’histoire récente du continent et du rôle des diasporas africaines.
Une mise à jour des huit prédécents volumes est également annoncée.
Parmi les éminents chercheurs qui œuvrent à la construction d’une
représentation du continent « délestée des stéréotypes
racistes » prendra place le musicien congolais Ray Lema. En
octobre 2015, il a été désigné porte-parole de la Coalition
internationale des artistes pour la promotion de l’HGA, créée pour
offrir à cette somme sans précédent la notoriété dont elle n’a pas
bénéficié jusqu’à présent. Car, très vite, le constat a dû être fait
que les épais ouvrages auxquels ont contribué plus de 350 chercheurs
dormaient dans les bibliothèques. Au risque d’enterrer le rêve des
pères fondateurs du projet : redonner aux Africains la fierté de
leur Histoire en montrant « leurs contributions au progrès général
de l’humanité ».
Servir le panafricanisme
C’est bien aux Africains que Ray Lema veut d’ailleurs en priorité
s’adresser : « Le regard de l’extérieur est injuste, mais le
regard des Africains sur les Africains me choque bien davantage.
Comment les jeunes peuvent-ils se projeter dans l’avenir sans savoir
d’où ils viennent, sans être conscients qu’ils sont porteurs d’une
culture, d’une Histoire qui a sa dignité ? »
A Cuba, choisi pour le lien singulier qui l’unit au continent,
l’artiste va suggérer aux représentants de l’Unesco que soient
organisés des concours de pièces de théâtre, de chansons, de scénarios
sur « quelques-uns des grands moments de l’Histoire
africaine ». « Pour atteindre le peuple, nous devons passer
par l’image et le son », plaide-t-il. Le musicien congolais ne
sait pas dire quels seraient ces grands moments. Il s’avoue lui-même
dépassé par la somme encyclopédique « à laquelle aucun artiste
normal ne peut s’attaquer » sans être aidé.
L’Unesco en est consciente. « Nous sommes en train de préparer un
résumé d’une centaine de pages en version électronique, une sorte
d’Histoire de l’Afrique pour les nuls », explique Ali Moussa Lye,
responsable de l’utilisation pédagogique du projet. L’Histoire générale
de l’Afrique a déjà donné matière à des livrets d’apprentissage pour
les enseignants. Elle est officiellement considérée par l’Union
africaine comme la référence pour l’enseignement de l’histoire du
continent et, en 2015, les gouvernements se sont engagés à puiser
dedans pour élaborer leurs programmes éducatifs. « Si nous
réussissons à faire cela, l’Afrique sera le premier continent où
l’Histoire s’enseigne de la même façon dans tous les pays », se
réjouit Ali Moussa Iye, qui voit dans cette ambition un ferment
prometteur pour le panafricanisme.
Pour devenir membre de la Coalition, les artistes
doivent d’ailleurs s’engager à faire « la promotion d’une identité
et d’une citoyenneté panafricaine ». Jusqu’à présent, près de deux
cents dramaturges, cinéastes, musiciens, chanteurs… ont rejoint le
mouvement parmi lesquels les Maliens Rokia Traoré, Cheihk Tidiane Seck
ou de jeunes rappeurs français comme Mokobé.
LE BRÉSIL EST LE SEUL PAYS À AVOIR RENDU OBLIGATOIRE L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE GÉNÉRALE DE L’AFRIQUE
Dans sa mission, Ray Lema doit aussi susciter l’éclosion d’alliances
nationales en Afrique même, mais également parmi les diasporas, comme à
Cuba. Fin février, la célébration annuelle du Mois de l’histoire des
Noirs en Amérique du Nord devrait être l’occasion de rallier les
Canadiens.
« Construire un partenariat apaisé »
Reste que l’ambitieuse entreprise butte sur le nerf de la guerre :
l’argent. Si, depuis ses débuts, la rédaction de l’encyclopédie a été
prise en charge bon an mal an par l’Unesco pour un montant qui avoisine
au total 40 millions d’euros, il n’en est pas de même pour sa
promotion. Ali Moussa Lye ne peut compter que sur des fonds
extra-budgétaires. Le Brésil, qui est le seul pays à avoir traduit
intégralement l’HGA en portugais et à avoir rendu obligatoire son
enseignement, est l’un des plus importants contributeurs avec un don de
1,4 million de dollars (1,3 million d’euros).
Le Maroc, l’opérateur privé sud-africain MTN, l’Angola, le Burkina Faso
et le Zimbabwe ont aussi répondu à l’appel. La Côte d’Ivoire a promis
100 000 dollars.
En revanche, aucun pays européen n’a jusqu’à présent souhaité soutenir
la diffusion de cette autre histoire qui corrige la vision dominée par
le récit des puissances coloniales. « C’est dommage, regrette le
fonctionnaire de l’Unesco. Si les Européens veulent construire un
partenariat apaisé avec l’Afrique, il faudra accepter la narration
africaine de l’Histoire ».
L’Histoire générale de l’Afrique est en accès libre sur le site de
l’Unesco. Elle est traduite en treize langues, dont trois langues
africaines (fulfulde, haoussa et kiswahili).
21 Février 2017
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