Apple : le discours testament de
Steve Jobs à Stanford en 2005 TRADUIT
DE L'ANGLAIS PAR YVAIN PONCET - Modifié le 12/09/2017 à 10:23 - Publié
le 12/09/2017 à 10:10 | Le Point.fr
DOCUMENT. Le Point.fr a traduit en
français l'intégralité du discours de l'ex-patron d'Apple, dans lequel
il évoque ses échecs, ses succès... et sa mort.
En juin
2005, le patron d'Apple, Steve Jobs, prononça un discours historique
devant les étudiants de l'université de Stanford, en Californie. Dans
ce qui résonne aujourd'hui comme un testament philosophique, il raconte
son histoire personnelle, ses échecs et ses succès professionnels, et
évoque la maladie et la mort. Le Point.fr a traduit l'intégralité de ce
discours, en prenant le parti de garder la plupart des tournures
orales, même si elles peuvent paraître parfois impromptues à l'écrit.
La vidéo du discours, en anglais, est disponible au bas de cette page.
Je suis honoré d'être avec vous aujourd'hui pour la cérémonie
d'ouverture d'une des meilleures universités du monde. Je n'ai jamais
eu de diplôme universitaire. À vrai dire, je n'ai jamais été aussi près
d'en obtenir un qu'aujourd'hui.
Aujourd'hui, je veux vous raconter trois histoires de ma vie. C'est
tout. Pas grand-chose. Juste trois histoires.
Faire
le lien
La première histoire parle de faire le lien.
J'ai abandonné le Reed College au bout de six mois, mais j'y suis resté
inscrit pendant dix-huit mois avant de réellement abandonner. Pourquoi,
alors, ai-je abandonné ?
Ça a commencé avant ma naissance. Ma mère biologique était une jeune
diplômée, non mariée, et elle a décidé de me faire adopter. Elle était
convaincue que je devais être adopté par des diplômés universitaires,
donc tout fut arrangé pour que je sois adopté à la naissance par un
avocat et son épouse. Sauf que quand je suis arrivé, ils ont décidé à
la dernière minute qu'ils voulaient une fille. Donc mes parents, qui
étaient sur liste d'attente, reçurent un appel au milieu de la nuit,
qui leur demandait : “Nous avons un petit garçon inattendu, vous
le voulez ?” Ils dirent “bien sûr”. Ma mère biologique découvrit
plus tard que ma mère n'avait jamais été diplômée et que mon père
n'avait jamais fini le lycée. Elle refusa de signer les papiers
d'adoption définitifs. Elle n'accepta que quelques mois plus tard,
quand mes parents promirent que j'irais, un jour, à l'université.
J'ai
décidé d'abandonner
Et, 17 ans plus tard, j'allais à l'université. Mais j'en ai
naïvement choisi une qui était presque aussi chère que Stanford, et
l'intégralité des économies de mes parents cols bleus partait dans mes
frais scolaires. Après six mois, j'étais incapable d'y voir un intérêt.
Je n'avais aucune idée de quoi faire de ma vie et aucune idée de
comment l'université m'aiderait à le découvrir. Et j'étais là, à
dépenser tout l'argent que mes parents avaient économisé toute leur
vie. Donc j'ai décidé d'abandonner et d'avoir confiance dans l'idée que
tout irait bien. C'était parfois assez effrayant, mais quand je regarde
en arrière, c'est une des meilleures décisions que j'ai jamais prises.
Dès que j'ai abandonné, j'ai pu arrêter de suivre les cours
obligatoires qui ne m'intéressaient pas, et commencer à suivre ceux qui
avaient l'air intéressants.
Je
dormais par terre
Ce n'était pas tout rose. Je n'avais pas de chambre d'étudiant, donc je
dormais par terre dans la chambre de mes amis. Je ramenais les
bouteilles de Coca pour récupérer la consigne de 5 cents afin
de m'acheter de la nourriture, et je traversais la ville sur
les 11 kilomètres qui me séparaient du temple Hare Krishna,
tous les dimanches soir, pour avoir un bon repas par semaine. J'adorais
ça. Et la majorité de ce que j'ai découvert par hasard en suivant ma
curiosité et mon intuition s'est révélé inestimable par la suite.
Laissez-moi vous donner un exemple : le Reed College, à l'époque,
proposait ce qui était probablement les meilleurs cours de calligraphie
du pays. Partout sur le campus, chaque affiche, chaque étiquette sur
chaque tiroir était superbement calligraphiée à la main. Puisque
j'avais abandonné, je n'étais pas obligé de suivre les cours normaux,
donc j'ai décidé de suivre un cours de calligraphie pour apprendre à
faire ça. J'ai appris ce qu'étaient les caractères avec et sans
empattement, les variations d'espace entre différentes combinaisons de
lettres, et pourquoi une typographie géniale est géniale. C'était beau,
historique, artistiquement subtil, d'une façon que la science ne
pouvait pas comprendre, et j'ai trouvé ça fascinant.
Le
destin, la vie, le karma, peu importe
Rien de tout ça n'avait le moindre espoir d'application pratique dans
ma vie. Mais dix ans plus tard, alors que nous concevions le premier
ordinateur Macintosh, tout cela m'est revenu. Et nous avons tout
injecté dans le Mac. C'était le premier ordinateur avec une belle
typographie. Si je n'avais pas assisté à l'improviste à ce cours-là à
l'université, le Mac n'aurait jamais eu des polices d'écriture
différentes, ou proportionnellement espacées. Et vu que Windows n'a
fait que copier le Mac, il est probable qu'aucun ordinateur n'en
disposerait. Si je n'avais pas abandonné, je n'aurais jamais assisté à
ce cours de calligraphie et les ordinateurs personnels n'auraient
peut-être pas les merveilleuses typographies qu'ils ont. Bien sûr,
c'était impossible de faire le lien en regardant vers l'avenir quand
j'étais à l'université. Mais c'était très, très clair quand j'ai
regardé en arrière dix ans plus tard.
Je le répète, il est impossible de faire le lien en regardant vers
l'avenir, on ne peut le faire qu'en regardant en arrière. Vous devez
donc croire dans le fait que les liens se feront dans le futur, d'une
manière ou d'une autre. Vous devez aussi croire en quelque chose – vos
tripes, le destin, la vie, le karma, peu importe. Cette approche ne m'a
jamais déçu, et cela a fait toute la différence dans ma vie.
Et puis je me suis fait virer
Ma
seconde histoire parle d'amour et de perte.
J'ai de la chance, j'ai trouvé ce que j'aimais faire au début de ma
vie. Woz et moi avons lancé Apple dans le garage de mes parents quand
j'avais 20 ans. On a travaillé dur, et, en dix ans, Apple
était passé de juste nous deux dans un garage à une entreprise
de 4 000 employés qui valait 2 milliards de
dollars. On venait juste de sortir notre plus belle création, le
Macintosh, un an plus tôt, et je venais d'avoir 30 ans. Et
puis je me suis fait virer. Comment peut-on se faire virer de
l'entreprise que l'on a fondée ? Eh bien, puisqu'Apple
grandissait, nous avons engagé quelqu'un que je pensais être talentueux
pour diriger l'entreprise avec moi, et pendant à peu près un an, tout
s'est bien passé.
Mais après, nos visions du futur ont commencé à diverger, et finalement
nous avons eu une dispute. À ce moment-là, notre conseil
d'administration a pris son parti. Donc, à 30 ans, j'étais
viré. Et ce très publiquement. Ce qui avait été au centre de toute ma
vie d'adulte avait disparu, et c'était épouvantable.
J'ai
décidé de recommencer
Je n'ai vraiment pas su quoi faire pendant quelques mois. J'avais
l'impression d'avoir déçu la précédente génération d'entrepreneurs, que
j'avais laissé tombé le bâton de relais qui m'avait été passé. J'ai vu
David Packard et Bob Noyce et j'ai essayé de m'excuser d'avoir tout
gâché. J'étais un échec public, et j'ai même pensé à fuir la Silicon
Valley. Mais j'ai lentement commencé à réaliser quelque chose –
j'aimais toujours ce que je faisais. La tournure des événements à Apple
n'y avait rien changé. J'avais été rejeté mais j'étais toujours
amoureux. Donc j'ai décidé de recommencer.
Je ne m'en rendais pas compte, mais il s'est avéré que mon licenciement
d'Apple était une des meilleures choses qui pouvait m'arriver. Le poids
du succès était remplacé par la légèreté d'être à nouveau un débutant,
moins sûr de tout. Ça m'a libéré et permis d'entamer une des périodes
les plus créatives de ma vie.
Vous
saurez quand vous trouverez
Durant les cinq années qui ont suivi, j'ai lancé une entreprise qui
s'appelle NeXT, une autre appelée Pixar, et je suis tombé amoureux de
la femme incroyable qui allait devenir mon épouse. Pixar a ensuite créé
le premier long métrage animé par ordinateur, Toy Story, et est
maintenant le studio d'animation qui a le plus de succès dans le monde.
Dans un remarquable retournement de situation, Apple a racheté NeXT, je
suis retourné à Apple, et la technologie que nous avons développée chez
NeXT est au cœur de la renaissance actuelle d'Apple. Et Laurene et moi
avons une famille merveilleuse.
Je suis presque sûr que rien de tout ça ne se serait produit si je
n'avais pas été viré par Apple. C'était un médicament au goût affreux,
mais j'imagine que j'en avais besoin. Parfois, la vie vous frappe la
tête avec une brique. Ne perdez pas la foi. Je suis convaincu que la
seule chose qui m'a permis de continuer est que j'aimais ce que je
faisais. Il faut que vous trouviez ce que vous aimez. Et c'est aussi
vrai dans le travail qu'en amour. Votre travail va remplir une grande
partie de votre vie, et la seule façon d'être pleinement satisfait est
de faire quelque chose que vous estimez important. Et le seul moyen de
faire quelque chose d'important est d'aimer ce que vous faites. Si vous
n'avez pas encore trouvé, continuez à chercher. Ne vous arrêtez pas.
C'est comme l'amour, vous saurez quand vous le trouverez. Et, comme
dans toutes les formidables relations, ça ne fait que s'améliorer au
fur et à mesure des années. Alors continuez à chercher jusqu'à ce que
vous trouviez. Ne vous arrêtez pas.
Vous
êtes déjà à nu
Ma troisième histoire parle de la mort.
Quand j'avais 17 ans, j'ai lu une citation qui disait quelque
chose comme : “Vivez chaque jour comme le dernier, un jour vous
aurez certainement raison.” Ça m'a fait forte impression, et depuis ce
jour, durant les 33 dernières années, j'ai regardé dans le
miroir et je me suis demandé : ”Si aujourd'hui était le dernier
jour de ma vie, est-ce que j'aurais envie de faire ce que je vais faire
aujourd'hui ?” Et à chaque fois que la réponse était non trop de
jours d'affilée, je savais qu'il fallait que je change quelque chose.
Me souvenir que je vais bientôt mourir est l'outil le plus important
que j'ai jamais eu pour m'aider à prendre de grandes décisions dans la
vie. Parce que presque tout – toutes les attentes externes, toute
fierté, toute peur de l'embarras ou de l'échec – toutes ces choses
reculent face à la mort, en ne laissant que ce qui est réellement
important. Se souvenir qu'on va bientôt mourir est le meilleur moyen
que je connaisse d'éviter le piège qui est de penser qu'on a quelque
chose à perdre. Vous êtes déjà à nu. Il n'y a aucune raison de ne pas
suivre votre cœur.
Il
faut dire au revoir
Il y a environ un an, on m'a diagnostiqué un cancer. J'avais un scanner
à 7 h 30 du matin, et il a montré très clairement
une tumeur sur mon pancréas. Je ne savais même pas ce qu'était un
pancréas. Les docteurs m'ont dit que c'était un type de cancer qui
était très certainement incurable, et que je devais m'attendre à ne
vivre que trois à six mois. Mon docteur m'a conseillé de rentrer chez
moi et de mettre de l'ordre dans mes affaires, ce qui en code docteur
veut dire se préparer à mourir. Cela veut dire qu'il faut dire à ses
enfants en quelques mois ce qu'on pensait avoir dix ans pour leur dire.
Cela veut dire s'assurer que tout est bien organisé pour que ça soit
aussi facile que possible pour votre famille. Cela veut dire qu'il faut
dire au revoir.
J'ai vécu avec ce diagnostic toute la journée. Plus tard, dans la
soirée, j'ai subi une biopsie, pendant laquelle on m'a poussé un
endoscope dans la gorge, à travers mon estomac jusqu'à mes intestins,
piqué une aiguille dans mon pancréas et récupéré quelques cellules de
la tumeur. J'étais endormi, mais ma femme, qui était là, m'a dit que
quand ils ont vu les cellules au microscope, les docteurs ont commencé
à pleurer parce que c'était en réalité une forme très rare de cancer du
pancréas, qui était opérable. J'ai été opéré et je vais bien maintenant.
La
mort, meilleure
invention de la vie
C'est là que j'ai regardé la mort au plus près, j'espère ne pas la
regarder d'aussi près pendant encore quelques décennies. De l'avoir
vécu me permet aujourd'hui de vous parler de tout ça avec un peu plus
de certitude que s'il s'agissait d'un concept purement intellectuel.
Personne ne veut mourir. Même les gens qui veulent aller au paradis ne
veulent pas mourir pour y arriver. Et pourtant la mort est la
destination que nous partageons tous. Personne n'y a jamais échappé. Et
c'est très bien ainsi, parce que la Mort est probablement la meilleure
invention de la Vie. C'est l'agent du changement de la Vie. Elle balaye
ce qui est vieux pour laisser place à ce qui est nouveau. Là, tout de
suite, ce qui est nouveau, c'est vous. Mais un jour, dans assez peu de
temps, vous deviendrez ce qui est vieux et vous serez balayés. Désolé
d'être aussi radical, mais c'est la vérité.
Ne
vous enfermez pas dans un dogme
Votre temps est limité, alors ne le gâchez pas à vivre la vie de
quelqu'un d'autre. Ne vous enfermez pas dans un dogme, qui serait de
vivre selon les résultats de ce que pensent d'autres. Ne laissez pas le
bruit de l'opinion des autres noyer votre voix intérieure. Et, encore
plus important, ayez le courage de suivre votre cœur et votre
intuition. Ils savent déjà, d'une certaine manière, ce que vous voulez
réellement devenir. Tout le reste est secondaire.
Quand j'étais jeune, il y avait un magazine qui s'appelait le Catalogue
de la terre entière, qui était une des bibles de ma génération. Un
homme appellé Stewart Brand l'avait créé, pas très loin d'ici, à Menlo
Park, il lui avait donné vie avec sa touche poétique. C'était la fin
des années 60, avant les ordinateurs personnels et la publication
assistée par ordinateur, donc tout était fait avec des machines à
écrire, des ciseaux et des polaroïds. C'était une sorte de Google en
livre de poche, 35 ans avant que Google ne voie le jour.
C'était idéaliste, et ça débordait de super outils et de grandes
notions.
Restez
affamés. Restez dingues.
Stewart et son équipe ont publié plusieurs numéros du Catalogue de la
terre entière, et quand ils arrivèrent au bout de l'aventure, ils ont
publié un dernier numéro. C'était le milieu des années 70, et j'avais
votre âge. Sur la quatrième de couverture du dernier numéro, il y avait
une photo d'une route de campagne au petit matin, le genre où on
pourrait faire du stop si on était un peu aventureux. En dessous, il
était écrit Restez affamés, restez dingues”. C'était leur message
d'adieu. Restez affamés. Restez dingues. Et je me le suis toujours
souhaité. Et maintenant que vous passez votre diplôme, que vous prenez
un nouveau départ, c'est ce que je vous souhaite.