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La Culture est-elle au centre du développement en Afrique ?
Par Ngnaoussi Elongue Christian - dimanche 6 mai 2018
Il
n’existe aucun exemple réussi de développement des sociétés sans
ancrage culturel. Comme le disait Léopold Sédar Senghor, l’un des pères
fondateurs de la Francophonie, « la culture est au début et à la fin de
tout développement. » Mais cela semble n’être point le cas en Afrique.
J’analyse le pourquoi et propose comment changer de dynamique pour
intégrer la culture dans les stratégies de développement économique
durable.
Il
est admis qu’il y a industrie culturelle lorsque les biens et services
culturels sont produits, reproduits, stockés ou diffusés selon des
critères industriels et commerciaux. Cependant, c’est la présence du
capital, de la mécanisation et de la division du travail, et non les
intentions des auteurs, qui détermine le caractère industriel ou non.
La culture, a-t-on coutume de dire, est le moteur sinon le cœur du
développement économique. L’industrie culturelle et créative est le
secteur de l’économie mondiale qui connaît la croissance la plus rapide
[1] et
cela génère un discours bien optimiste qui pourrait nous éloigner de la
réalité, car la situation semble bien différente selon qu’on passe d’un
continent à un autre. En effet la filière des industries culturelles
est encore largement inexploitée en Afrique. La culture n’y est point
au cœur du développement mais au cœur du fleuve Léthé [2].
Quels sont donc les barrières à l’émergence d’un secteur culturel marchand structuré, rentable et compétitif ?
Le faible soutien aux entreprises culturelles.
C’est ce que soulignait Moelle Kombi, ministre camerounais des Arts et
de la Culture : « Ces structures sont confrontées à des problèmes
juridiques, de structuration organique et fonctionnelle et de
financement ». On tournera toujours en rond en soutenant les
entrepreneurs culturels sans que l’encadrement règlementaire, juridique
et fiscal ne soit mis en place par les Etats.
De l’insuffisance de cadres et experts formés au management des arts et de la culture.
Dans l’industrie du cinéma africain par exemple, la majorité des
organisations professionnelles ont des faiblesses structurelles qui les
empêchent d’être des interlocuteurs et des forces de propositions
auprès des partenaires institutionnels. Si bien que ces derniers ne
recueillent que les points de vue des individus et se retrouvent isolés
quand il s’agit de prendre des décisions. Et comme le soulignait jadis
le producteur burkinabè Toussaint Tiendrebeogo, les organisations
professionnelles du secteur de la culture ne « disposent pas
d'expertise suffisante pour être porteuses de propositions pertinentes
et concrètes auprès des bailleurs de fonds ni même auprès des États.
Ceux-ci ne peuvent mettre en place des politiques si elles ne sont pas
inspirées par le milieu qu'elles doivent soutenir ». En effet, le
manque de formation des entrepreneurs culturels et la nature souvent
informelle des méthodes de gestion constituent des contraintes
techniques et culturelles qui empêchent l’élaboration avec une capacité
suffisante de stratégies à moyen et long terme pour intégrer les
logiques du marché local, sous-régional et international.
Telle
est la tâche à laquelle l’Organisation Internationale de la
Francophonie s’attèle aujourd’hui à travers son opérateur direct au
service du développement africain : l’Université Senghor d’Alexandrie.
On y forme des cadres en matière d’entreprenariat culturel à travers
son Département de la culture qui contient des filières tels que
Gestion du patrimoine culturel (GPC), Communication et Média [3] (CM)
et gestion des Industries culturelles (GIC) pour combler ce déficit en
Afrique. Au-delà de cette formation, il est aussi important, pour
saisir les opportunités numériques et le contexte de la mondialisation,
de disposer d’un meilleur accès au financement afin de moderniser leurs
équipements, de concevoir de nouvelles méthodes de production et de
distribution et d’adapter leurs modèles commerciaux.
Le faible accompagnement des collectivités locales
Avec l’inefficacité des politiques de décentralisation, surtout en
Afrique subsaharienne, les collectivités locales que sont les régions,
les communes et les communautés rurales n’ont pas suffisamment de fonds
pour la promotion des arts et de la culture. Or la culture fait partie
de l’attractivité d’une ville au même titre que son dynamisme
économique. Il est donc important que les collectivités locales
adoptent des stratégies de marketing territorial de la culture et
établissent des partenariats publique-privés avec les acteurs culturels.
L’absence de politiques et de stratégie sous régionale pour la promotion de la culture.
L’industrialisation de la culture africaine n’est possible que s’il
existe un marché suffisamment grand pour y écouler les biens et
services culturels produits. Avec le numérique, la diffusion et la
distribution des biens informationnels et culturels s’en trouve
grandement faciliter. Mais en Afrique, l’on note cette faible
circulation des produits culturels. Pour le cas de la littérature, il
est plus facile de trouver un ouvrage camerounais à Paris qu’au Tchad,
Gabon… Les récents accords de libre circulation intra-africain,
lorsqu’ils seront réellement effectifs et mis en œuvre pourront
significativement contribuer au renforcement du commerce des biens et
services culturels. Car les industries culturelles constituent un
secteur incontournable pour la cohésion sociale, la paix et le
développement économique des Etats.
Comment s’en sortir ?
Au-delà de ces obstacles, nous pensons qu’il serait également important de :
Mener une réflexion
concertée, multipartite et profonde des mécanismes de financement des
projets de l’économie culturelle dans chaque pays en fonction des
réalités locales.
Aucun modèle d’industrie culturelle ne doit être importé ou imposé à
l’Afrique. Chaque pays doit définir et développer les secteurs
prioritaires de sa politique culturelle en fonction de l’environnement
local. Le plus important est qu’il y ait une coordination entre le
Gouvernement, le secteur privé et la société civile. Les pouvoirs
publics, dans ce cadre, interviennent à trois niveaux indissociables :
faciliter l’accès aux consommateurs, stimuler la créativité des acteurs
et l’émergence de marchés viables et structurés.
Promouvoir les opportunités d’investissements dans le secteur de la culture.
Pour y parvenir de manière effective, il faut que la culture soit
réellement considérée comme une activité économique à part entière et
qu’elle soit soumise aux règles concurrentielles du marché comme les
autres secteurs de l’économie. Le champ de la culture et des
communications n’échappe plus aux règles fondamentales de l’économie
capitaliste (Tremblay, 2008). « Il est inconcevable qu’au moment où on
parle de plus en plus d’économie de la culture, les porteurs de projets
ne soient pas traités comme tout le monde et continue de bénéficier de
subventions à fonds perdus sans pour autant être obligés d’être
contrôlés au vu des résultats de leurs projets », complète Espera
Donouvossi, Chargé de Projet au sein du réseau d’entrepreneurs
culturels MOKOLO.
Encourager la
recherche technologique, stimuler l’innovation et établir un propice
climat des affaires dans le secteur culturel et touristique etc. ;
Promouvoir le
partenariat public –privé, le marketing territorial de la culture, le
développement de l’économie de la fonction publique territoriale par la
culture et le secteur productif de sa main d’œuvre.
Face au déséquilibre des échanges culturels et au risque
d’uniformisation et de standardisation de la production culturelle, il
est important de soutenir et structurer les industries culturelles
africaines et ainsi favoriser une offre diversifiée de productions
culturelles. Le numérique est une opportunité à saisir de par son
impact sur toute la chaine des industries culturelles. Grâce au
numérique, les efforts pour l’industrialisation de la culture africaine
peuvent être propulsés, à condition bien sûr de le faire à bon escient.
[1] Croissance estimée à 7% du PIB mondial.
[2] Dans la mythologie grecque, Léthé, fille d’Éris (la Discorde), est la personnification de l'Oubli.
[3] Par exemple, on y forme au métier de journaliste culturel. Une
fonction assez négligée de par ses faibles enjeux économiques pour les
praticiens..
16 Juillet 2018
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