"Une
minorité d'intellectuels travaille sur l'Europe"
Pour Olivier Duhamel, la relative apathie
des intellectuels français dans la campagne sur la
Constitution tranche avec l'engagement de certains de leurs
homologues étrangers.
Olivier Duhamel, ancien eurodéputé (socialiste)
et ancien membre de la Convention sur la refondation européenne,
ouverte le 21 mars 2002 et présidée par Valéry
Giscard d'Estaing, voit à cela une explication : ils
sont peu en France ceux qui, à l'instar du philosophe
allemand Jürgen Habermas, placent les questions européennes
au coeur même de leurs travaux et de leur réflexion.
Certains ouvrages tentent d'éclairer le débat.
Jean
Monnet
"Jean Monnet, l'un des pères fondateurs de l'Europe,
était une personnalité à part, dans la
mesure où il combinait les qualités d'intellectuel
et d'entrepreneur", commente l'ancien conventionnel,
professeur de droit à Sciences-Po et auteur de Pour
l'Europe, la Constitution commentée et expliquée
(Seuil, 2005). "Aujourd'hui , ajoute-t-il, les philosophes
qui, comme Jean-Marc Ferry, formé d'ailleurs dans les
universités allemandes, travaillent sur l'Europe constituent
des exceptions."
Les intellectuels français engagés dans l' "aventure
collectiviste" se seraient tenus à l'écart
de la construction européenne. Mais, même chez
les "anticollectivistes" , l'Europe serait demeurée
tributaire des schémas de guerre froide. "Un Raymond
Aron s'intéresse plus à la relation transatlantique.
Chez lui, l'Europe n'est pas un thème central"
, dit encore M. Duhamel.
Les choses ont-elles changé ? Pas vraiment. "Le
débat demeure terriblement franco-français,
aussi bien chez les intellectuels que chez les autres, et
la plupart se méfient. On voit quelques intellectuels,
dans la mouvance d'Attac, se saisir de l'Europe, mais dans
le but d'instrumentaliser cette question au profit de leur
tentative de bâtir une "gauche de la gauche."
"La nouveauté , concède-t-il, c'est surtout
qu'ils se saisissent de l'Europe." Ce contexte explique,
selon lui, que "les intellectuels à haute notoriété"
n'aient pas marqué un intérêt particulier
aux travaux de la Convention. Elle ne les a pas, du reste,
sollicités.
Olivier Duhamel distingue cependant le cas des "intellectuels
du pape" , comme il les qualifie, globalement peu intéressés
par la question européenne, et celui de ce réseau
d' "intellectuels spécifiques" qui s'est
formé avec des universitaires spécialisés
sur l'Europe et des militants de diverses associations et
fondations à vocation européenne.
Ainsi, à l'époque de la Convention mise en place
autour de M. Giscard d'Estaing, un groupe - les Amis de la
Convention, devenu le 19 mai 2003 les Amis de la Constitution
- s'est-il créé à l'initiative des bureaux
du Parlement européen, à Paris, mais également
à Marseille. Tous les mois, une rencontre était
organisée avec des conventionnels.
Ces débats, qui portaient sur le contenu précis
des différents articles, ont eu pour support près
de quatre-vingts notes, envoyées par courrier électronique
ou diffusées à travers des lettres d'information
sur les sites Internet. Ce groupe tente également aujourd'hui
de répondre aux opinions qui s'expriment autour du
texte, à l'occasion du débat français.
"Le débat existe , affirme M. Duhamel, il est
même nourri. Et si le oui devait l'emporter, le travail
joué par ce réseau-là aurait joué
un rôle décisif auprès des leaders d'opinion"
, dans le silence le plus complet des médias, ajoute-t-il.
Ce qui n'empêche pas les cadres et les professions intellectuelles
de demeurer majoritairement pour le oui à la Constitution,
comme elles l'étaient lors du référendum
sur Maastricht, en 1992, comme le pointe M. Duhamel dans un
article intitulé "L'imprévisible référendum
européen", paru récemment dans L'Etat de
l'opinion ,2005 (Seuil, 318 p., 25 euros).
C'était toutefois avant le retournement en faveur du
non - au niveau de l'ensemble des Français - révélé
par les sondages voilà une dizaine de jours. Pour les
professions intellectuelles, le oui, en effet, s'est tassé.
Nicolas Weill
Clubs
et fondations politiques redoublent d'efforts pour diffuser
notes, ouvrages et rapports visant à orienter ou éclairer
le choix des électeurs. La Fondation pour l'innovation
politique, présidée par Francis Mer et proche
de l'UMP, consacre sa note de mars 2005 à "ce
que change la Constitution européenne pour la personne
et le citoyen, l'entreprise et le salarié, le syndicat,
le parti politique et les Eglises, l'élu et l'administration"
. En temps réel, un club de centre gauche, lance, en
coédition avec Flammarion, le premier d'une série
d'ouvrages. Dans L'Europe déclassée ? (136 p.,
14 €), trois économistes - - Olivier Blanchard
du Massachusetts Institute of Technology (Etats-Unis), Jean
Pisani-Ferry, qui anime un think tank dont le siège
est à Bruxelles, et Charles Wyplosz, de l'Institut
universitaire des hautes études internationales de
Genève (Suisse) -- s'attaquent, avec des points de
vue différents, à "la thèse du déclassement
économique de l'Europe face à une Amérique
vigoureuse et une Asie ascendante". "L'industrie
intellectuelle du déclin" rejoint l' "euroscepticisme"
, estiment les animateurs d'En temps réel.
Mars 2005
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