Le théâtre public fait front commun contre "le désengagement de l'Etat"
Par Paul Ricard
"La
grogne du spectacle vivant contre le gouvernement est montée d'un cran
mercredi au Théâtre de l'Odéon, où plus de 80 metteurs en scène du
théâtre public ont dénoncé côte à côte "un désengagement de l'Etat" et
des baisses de subventions qui "menacent gravement la création".
Cette conférence de presse, conçue comme "un symbole d'unité", a
rassemblé un nombre exceptionnellement élevé de metteurs en scène du
théâtre public (compagnies indépendantes et directeurs d'institutions),
toutes générations confondues.
Parmi eux figuraient Olivier Py (directeur de l'Odéon), Patrice
Chéreau, Ariane Mnouchkine, Didier Bezace, Alfredo Arias, Stéphane
Braunschweig, Jérôme Deschamps, Alain Françon, Muriel Mayette
(Comédie-Française), Stanislas Nordey, Valère Novarina, Claude Régy ou
encore Jean-Michel Ribes.
"Je n'ai pas souvenir d'une telle réunion collégiale", a souligné M.
Py, qui a pointé du doigt "un incroyable, un sidérant déficit de
politique culturelle" de la part de l'Etat.
"L'économie
du spectacle vivant est asphyxiée. L'idée même de service public de la
culture est gravement mise à mal", a renchéri Arnaud Meunier (Compagnie
de la Mauvaise Graine), qui a dénoncé une "politique malthusienne
fondée sur l'ère du soupçon et du mauvais procès".
Il a fustigé une "triple pression": "l'érosion mécanique des budgets,
la future convention collective dont la négociation va s'achever et
l'aberration de la réforme" du régime des intermittents du spectacle.
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Depuis
plusieurs mois, l'inquiétude gronde dans le secteur du spectacle
vivant. D'abord échaudés par la lettre de mission envoyée par l'Elysée
et Matignon à la ministre de la Culture Christine Albanel, les
professionnels ont ensuite protesté contre le montant du budget 2008 du
ministère (640 M euros pour la création).
Face à
ce mécontentement, Mme Albanel a annoncé en décembre un "desserrement
budgétaire" de 34,8 M euros au titre de la création, puis lancé le 11
février les Entretiens de Valois, sorte de mini-Grenelle du spectacle
vivant.
"Il était prévu au budget un gel de 6% sur l'ensemble du spectacle
vivant en 2008. Après des protestations vigoureuses du métier, le
ministère des Finances a débloqué 34 millions d'euros (...). Or, une
partie a été affectée à d'autres choses", a affirmé le metteur en scène
Jean-Pierre Vincent (compagnie Studio libre).
Didier Bezace (CDN d'Aubervilliers") a pour sa part estimé que "depuis
un certain temps, on respire un air malsain".
"Tout ce qui bouge et qui pense est actuellement gênant", a-t-il jugé.
"En France, les gens vont mal, bouffent mal, sont mal logés, et en plus
on voudrait les priver de ce que nous faisons: raconter des histoires".
Enfin, dans une intervention remarquée, Ariane Mnouchkine a enjoint le
monde du théâtre de mettre fin aux "discours corporatistes" sous peine
"d'aggraver le divorce avec une partie de la population" et d'être
considéré comme "une nomenclature de privilégiés".
"Qu'est-ce qu'on fait? En quoi participons-nous à la solidarité
nationale et pas qu'à celle des gens de culture?", s'est-elle
interrogée.
"C'est très grave, Nicolas Sarkozy au pouvoir, un président qui veut
aller au-delà de l'avis du Conseil constitutionnel", a-t-elle lancé.
"On s'exprime ici comme si on avait un gouvernement normal. Or, on n'a
pas un gouvernement normal!"
La
ministre de la Culture, Christine Albanel, s'est dite mercredi "un peu
choquée et blessée" par les propos des metteurs en scène du théâtre
public.
"C'est pénible d'être ainsi stigmatisée alors qu'on a le sentiment de
s'engager et de porter le spectacle vivant à un niveau qui n'existe
nulle part en Europe", a déclaré Mme Albanel lors d'un point de presse
organisé au ministère en réponse à la conférence de presse de l'Odéon.
"Le spectacle vivant représente 640 millions d'euros, une augmentation
de 40% sur les dix dernières années, a-t-elle ajouté. Cette année, j'ai
obtenu une mesure budgétaire de 35 millions d'euros" en plus.
"Le Président de la République est directement mis en cause alors qu'il
défend les auteurs. Quand j'entends que ce n'est pas un gouvernement
normal, moi je me sens une ministre normale", a-t-elle poursuivi en
faisant allusion à des propos tenus par Ariane Mnouchkine à l'Odéon.
"Tout le monde est conscient qu'on est aujourd'hui dans une fin de
cycle. Cela ne veut pas dire désengagement, mais réfléchir tous
ensemble aux défis d'aujourd'hui", a estimé Mme Albanel en citant les
Entretiens de Valois, sorte de mini-Grenelle de la Culture lancé le 11
février.
"On ne peut pas continuer à augmenter à ce rythme-là le budget du
ministère de la Culture, qui est très important", a-t-elle affirmé en
jugeant qu'il fallait "sortir de cette idée de dire qu'on fait une
politique culturelle en continuant à donner toujours plus de
subventions".
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