Le boom du théâtre à Paris
Par Brigitte Salino
Ce n'est pas une révolution, c'est une explosion : de 1968 à 2008, le
nombre de salles de théâtre à Paris a doublé, et l'offre de spectacles
a été multipliée au moins par cinq. En 1968, on comptait une
soixantaine de salles, et une moyenne de 70 spectacles par semaine.
Quarante ans plus tard, on dénombre 130 salles environ, et une moyenne
de 300 spectacles par semaine, ce chiffre pouvant monter jusqu'à plus
de 450 en période pleine.
L'"avignonisation" de Paris. Cette
offre faramineuse, et désarmante pour un spectateur non averti,
témoigne de ce que l'on appelle l'"avignonisation" de Paris, en
référence à Avignon, où, à côté du Festival créé par Jean Vilar en
1947, le Festival "off", né autour de 1968, est passé de quelques
spectacles à plus de 600 en moyenne par jour, pendant le mois de
juillet.
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Vue de la façade du Théâtre de l'Europe, ancien théâtre de l'Odéon, dans le 6e arrondissement de Paris. |
Cette
évolution tient à un double mouvement : beaucoup de grands théâtres se
sont adjoint une petite salle, comme le Montparnasse, Hébertot ou le
Gymnase, pour accueillir des spectacles supposés plus pointus, plus
intimes, ou des one-man-show. Par ailleurs, de nombreuses salles de
moins de cent places se sont ouvertes. On en compte une quarantaine
aujourd'hui. Leur chiffre varie, parce que leur programmation n'est pas
régulière ou qu'elles ne vivent pas très longtemps.
Le déplacement rive gauche - rive droite.
En 1968, l'esprit "rive droite, rive gauche" règne encore sur le
théâtre parisien, à l'image de la géographie des salles :
traditionnellement, les théâtres dits de "boulevard" (situés en
majorité sur les Grands Boulevards), sont dédiés à la "comédie
bourgeoise", à laquelle des metteurs en scène ont décidé d'opposer un
"théâtre d'art", situé rive gauche, pour marquer la rupture artistique.
Même si cette règle souffre des exceptions, avec des salles aujourd'hui
disparues, comme le 347 ou le Théâtre des Arts situés rive droite, les
théâtres d'art historiques restent rive gauche, comme feu le Lutèce, où
Jorge Lavelli met en scène La Journée d'une rêveuse, de Copi, ou feu
l'Epée de Bois, où Grotowski présente son fameux Akropolis. Ces salles
ne sont pas des théâtres subventionnés au sens où on l'entend
aujourd'hui (en 1968 seuls la Comédie-Française, L'Odéon et le Théâtre
national populaire le sont). Mais, en tant que "théâtres d'essai", ils
reçoivent des aides ponctuelles de l'Etat pour la création.
A côté, il y a de nombreuses salles dites "éphémères" – le grand mot de
l'époque –, où les jeunes troupes passent, comme celle de Marc'O, où
Bulle Ogier a débuté. Il y a enfin des endroits décalés, comme le
Cirque Montmartre, où Ariane Mnouchkine crée Le Songe d'une nuit d'été,
de Shakespeare, où l'Elysée-Montmartre, dans lequel Jean-Louis
Barrault, expulsé de l'Odéon après les événements de Mai, se réfugie
pour créer Rabelais.
Le paysage artistique de 1968 ressemble plus à celui des années 1950 –
l'époque de la découverte de Beckett, Adamov, Ionesco... – qu'à celui
des années 1970, en pleine expansion. Jacques Charron et Robert Hirsch
triomphent à la Comédie-Française. Pierre Fresnay et Sacha Pitoëff sont
encore à l'affiche, Luis Mariano chante dans Le Prince de Madrid,
Michel Bouquet joue Pauvre Bitos, d'Anouilh... A côté, Claude Régy crée
L'Anniversaire, de Pinter, rive droite, et le Grand Magic Circus, de
Jérôme Savary, fait ses débuts au Plaisance, rive gauche.
Cette géographie n'a plus rien à voir avec celle d'aujourd'hui. Paris
vit à un rythme qui s'est largement déplacé vers la rive droite, où
l'on compte de nombreux théâtres publics qui n'existaient pas, de la
Bastille à la Colline, en passant par le Rond-Point ou les Abbesses, la
seconde salle du Théâtre de la Ville. La notion de "rive gauche" n'est
plus opérante, et la Seine n'est plus une frontière.
Nouveaux genres et changement d'ère. En
1968, on ne compte que quatre ou cinq cafés-théâtres à Paris. Leur
nombre va considérablement s'accroître dans les années 1970, qui sont
celles du Café de la Gare et des débuts du Splendid.
En 2008, les cafés-théâtres font figure de survivants. Nous sommes dans
l'ère du one-man-show et de la comédie populaire, qui se développe
d'une manière impressionnante, en particulier dans les nombreuses
salles qui ont éclos dans l'est de la capitale. Dans les "petites
salles" (de 15 à 100 places), qui prolifèrent, tous les genres se
côtoient, avec une prédilection pour les humoristes.
Ainsi se développe dans Paris un troisième circuit, à des
années-lumière des grands théâtres privés et des scènes publiques.
Certains observateurs voient dans cette expansion des salles et de
l'offre de places (plus de 35 000 aujourd'hui, contre 25 000 en 1968)
une menace d'implosion. C'est surtout le signe que, en matière de
théâtre, Paris reflète l'évolution de la société : il est entré dans
l'ère du libéralisme.
Le "grand bond" en avant de la banlieue
Pour
un amateur, aller aujourd'hui au théâtre en banlieue, à Nanterre,
Gennevilliers, Aubervilliers, Bobigny, Créteil ou Montreuil, est aussi
naturel que de se rendre dans un théâtre parisien.Toutes ces salles
subventionnées sont accessibles en métro ou en RER, ce qui n'était pas
le cas en 1968.
Les théâtres de banlieue étaient
des salles municipales, qui ont connu un essor considérable dans les
années 1970 grâce au soutien que le Parti communiste – majoritaire à
l'époque dans la "ceinture rouge" de Paris – a apporté à la culture. Ce
soutien a permis la création de salles – à Nanterre, Créteil, Bobigny,
etc. – qui sont venues s'ajouter aux théâtres historiques, en
particulier celui de Gennevilliers, fondé par Bernard Sobel, et le
Théâtre de la Commune, à Aubervilliers, voulu par Jack Ralite et dirigé
à ses débuts par Gabriel Garran.
Mai 2008
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