Le Palais de Tokyo, "vraie machine de guerre"
Par Emmanuelle Lequeux
Le
Suisse Marc-Olivier Wahler, directeur depuis 2006 du Palais de Tokyo,
le principal centre d'art contemporain parisien, a inauguré, jeudi 29
mai, une série d'expositions. Entre un éléphant qui tient sur sa trompe
et une centaine de mètres cubes de déchets, ce dernier a une nouvelle
fois choisi des oeuvres spectaculaires.
Deux
ans, c'est l'occasion d'un bilan. Avec 202 000 visiteurs en 2007, la
fréquentation reste au niveau honorable des premières années. Il y a eu
des succès, notamment l'exposition consacrée au jeune Français Loris
Gréaud, qui a atteint au printemps un nombre record de 1 300 visiteurs
par jour. En revanche, l'exposition Steven Parrino n'a attiré durant
l'été 2007 que 40 000 visiteurs. Statistiques à l'appui, M. Wahler note
que le public s'est diversifié, ce qui est une "avancée essentielle".
Dans les années qui ont suivi la création du centre, en 2002, les
premiers directeurs, Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud, ont dû plaider
pour sa survie. Ce n'est plus nécessaire aujourd'hui. "Le Palais s'est
imposé au coeur du paysage artistique parisien, et nul ne saurait
remettre en cause son existence", assure M. Wahler, à la tête d'un
petit budget de 4 millions d'euros.
"Nous sommes une vraie machine de guerre, prête à tout affronter,
annoncent M. Wahler et son nouveau bras droit, Mark Alizart. Nous
construisons la formule 1 du centre d'art. En 2009, ce sera une vraie
puissance de feu." Pourtant les reproches sont multiples : mauvaise
organisation, négligences, changements d'équipe. Wahler balaie ces
critiques et met en avant ses projets : une radio sur Internet, des
conférences sur le transgenre ou l'irrationnel, des concerts, des
"Chalets de Tokyo" qui délocalisent le centre parisien à Edimbourg ou
Buenos Aires, une université d'été à Fontainebleau, une exposition dans
le Musée de l'extraterrestre à Roswell (Nevada)...
Une incertitude est liée à un projet d'installation, dans les locaux
vacants du sous-sol, d'un autre centre d'art dévolu à la création
française, qui serait piloté par le Centre Pompidou. Alain Seban,
président du Centre, dit croire "fermement à ce projet" et être prêt à
"rentrer par la fenêtre si on le repousse vers la porte". Mais le
ministère de la culture ne semble guère pressé.
"DE L'ARGENT ET DES CONTACTS"
Le
Palais de Tokyo a aussi fait l'objet en 2007 d'un conflit de pouvoirs.
Le conseil d'administration a tenté de coiffer M. Wahler d'un nouveau
chef. Non content d'avoir fait avorter ce "putsch", le Suisse a réussi
à changer le conseil d'administration, désormais présidé par le
commissaire-priseur Pierre Cornette de Saint-Cyr. Des membres
fondateurs sont partis : l'artiste Daniel Buren, le collectionneur
Gilles Fuchs, le commissaire d'exposition Jean-Louis Froment. Ils ont
été remplacés par la mécène suisse Maja Hoffmann, l'ancien directeur de
la Foire de Bâle Samuel Keller, les chefs d'entreprise Thierry
Taittinger et Philippe Bourguignon, et l'actrice Charlotte Gainsbourg.
"Nous avons besoin d'un board à l'américaine, avec des gens qui
apportent de l'argent et des contacts", explique M. Wahler.
D'autant que cette structure associative vit "avec 55 % de ressources
propres", le reste venant de l'Etat, souligne l'administratrice Agnès
Wolf. Le lieu est loué pour des soirées d'entreprise qui devraient
rapporter 800 000 euros en 2008. Le mécénat a apporté 700 000 euros en
2007 - 1 million est espéré en 2008. Deux gros accords de partenariat
sont en négociation, et le centre envisage d'ouvrir à la rentrée un
Tokyo Art Club, à l'anglaise, où artistes et entrepreneurs
discuteraient "business" autour d'un verre ou dans un Jacuzzi. "Le
spectre des mécènes s'est considérablement agrandi", analyse M. Alizart.
Beaucoup ont trouvé qu'on était allé trop loin, en 2006, avec le
parrainage d'une exposition par Nivea, qui avait transformé les
artistes en promoteurs de la marque. M. Wahler en est conscient : "Il
faut sanctuariser l'espace d'exposition, et ne pas vendre son âme."
Juin 2008
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