Plaidoyer pour le réseau culturel français à l'étranger
Par Yves Dauge



« Abandon », tel est le mot qui revient le plus souvent dans la bouche des acteurs de notre réseau culturel pour qualifier la situation de notre réseau de centres à l'étranger. La sévérité de ces propos en interne contraste avec l'appréciation généralement flatteuse que l'on entend habituellement sur l'importance de ce réseau culturel, sa singularité, son unicité. Alerté de ce dur jugement porté - du moins en privé car leur statut ne leur permet pas de récriminations ouvertes - par ceux-là même qui chaque jour s'efforcent de faire partager leur amour de la culture française, j'ai voulu comprendre les raisons de ce désenchantement.

A l'heure des satellites, des bouquets télévisuels, de l'Internet, existe-t-il encore des missions pour un dispositif culturel à l'étranger ? L'internationalisation de nos sociétés, la banalisation des voyages - la France accueille par an plus de soixante millions de visiteurs qui en profitent pour aller voir qui une exposition, qui une pièce de théâtre, qui un opéra...- , l'intensification des relations bi- et multinationales dans tous les secteurs d'activité, renforcent encore cette interrogation. Les professionnels de la culture se rencontrent désormais par delà les frontières sans même que les centres culturels soient tenus informés de ces échanges. Les liens sont désormais multiples ; ils se forment au hasard des déplacements et des communications. La chute du mur de Berlin a donné le coup de grâce aux dernières relations institutionnelles monopolistiques.

Toutes ces évolutions du contexte international, liées à ce que l'on appelle « la mondialisation » - avec tout ce que cette notion contient d'ambiguïté -, conduisent à s'interroger sur la place et le rôle de notre réseau culturel à l'étranger, ainsi que sur ses moyens d'action. Peut-on lui donner d'autres perspectives, en dépit bien sûr de toutes les dénégations de façade, que celles de gérer son déclin ?

A l'évidence, notre mission d'information a été bien accueillie par les directeurs de centres culturels, dont beaucoup ont spontanément tenu à m'apporter leurs témoignages. De ces multiples dialogues - parfois sous haute surveillance ! - noués au cours de diverses missions, ou au hasard de mes déplacements à l'étranger, je retiens d'abord l'expression d'un réel malaise mêlé de révolte. Ce malaise m'apparaît d'autant plus important à prendre en considération qu'il touche généralement des hommes et des femmes d'un dynamisme sans pareil, habitué à construire à partir de « bouts de ficelles » - et j'ai vu sur le terrain que cette expression devait parfois être prise au sens propre - et à susciter les synergies les plus fécondes. Ce n'est pas du « blues » d'une technocratie - ce qu'elle n'est pas - déstabilisée par les changements de leur environnement dont je veux vous entretenir mais bien plutôt de la tristesse et de la lassitude d'hommes d'action, ressentant durement leur isolement et leur paupérisation sous une tutelle parfois futile, souvent décalée et tatillonne, et se désespérant de voir la France gaspiller ses atouts.

« Pour ce qui est de la culture, il ne faut pas donner l'impression que nous ne serions là que pour perpétuer le rayonnement d'une étoile éteinte ou dont le feu décline » écrit le Ministre des Affaires étrangères, M. Hubert Védrine dans son dernier ouvrage (Les cartes de la France, Fayard, 2000, p. 45). Or, c'est justement l'impression que la France donne souvent à l'étranger : un pays de culture certes, mais d'une culture plus passée que présente, plus figée que vivante, plus traditionnelle que créative.

Ce rapport, en ces temps de ralliement à la mondialisation accélérée et de menace d'uniformisation culturelle, atteindra son objectif s'il attire l'attention sur les difficultés et les besoins de ceux qui se battent pour maintenir une diversité culturelle et répondre du mieux possible au désir de France qui s'exprime sur tous les continents, dans les plus grandes villes du monde, et tout spécialement dans celles des pays les plus pauvres.

J'ai choisi de centrer ce rapport sur le fonctionnement des centres culturels, ce qui nous a amené bien évidemment à aborder la question de leurs relations avec les Alliances françaises sans toutefois consacrer à ces dernières une étude détaillée. Ce choix s'explique, non que je sous-estime le rôle des Alliances, mais parce que, bien au contraire, je suis convaincu qu'elles constituent un élément majeur de notre dispositif culturel à l'étranger qui justifierait en lui-même un rapport complémentaire.

Que l'on ne se trompe pas sur mes intentions : le but de ce rapport n'est pas de dénoncer et sanctionner. Il se veut au contraire une contribution positive à la politique ambitieuse du Ministre des Affaires étrangères en matière de coopération culturelle. Il prône une clarification des rôles des uns et des autres et aborde la question très difficile de la réforme de l'Etat. Le ministère des Affaires étrangères a eu le mérite d'engager une réforme de son administration ; il lui faut maintenant l'approfondir pour la faire aboutir. La volonté politique est là, mais elle ne saurait suffire ; toute réforme est aussi une question de savoir-faire.

Avant de présenter mes propositions pour essayer de susciter un nouveau souffle, j'établirai un constat de l'existant afin de mieux comprendre comment et pourquoi, dans nombre de centres culturels, le découragement menace de remplacer ce qui était ferveur et foi dans l'action culturelle de la France.

I - UN RÉSEAU MENACÉ BIEN QU'À FORT POTENTIEL

A - Un réseau d'une réelle richesse

Elle est lointaine, l'époque où venaient enseigner à Paris les meilleurs esprits de la Chrétienté et y étudier les jeunes gens de toutes les nations d'Europe, celle où l'influence culturelle de la France était assurée par l'essaimage de ses artistes et intellectuels, réclamés par les cours étrangères : Diderot en Russie, auprès de Catherine II ; Voltaire à la cour de Prusse, conseiller de Frédéric II... C'était l'époque - qui dura peu ou prou jusqu'à la veille de la première guerre mondiale - où le « génie artistique français » était reconnu de tous, où la vocation universelle de la culture française allait de soi.

Certes, écrivains et penseurs français font encore recette à l'extérieur de nos frontières -notamment dans le domaine des sciences humaines- et de nombreux artistes et créateurs étrangers continuent de venir trouver inspiration et consécration en France. Mais Paris n'est plus l'unique nouvelle Athènes : nombreuses sont les capitales mondiales qui peuvent légitimement prétendre rivaliser avec elle comme foyer international de création et de diffusion culturelle. Il est devenu de moins en moins fréquent - chacun d'entre nous peut s'en rendre compte au cours de ses voyages - que les élites étrangères aient une connaissance approfondie de la langue, de la culture et du savoir-vivre français.

1) Un réseau hérité du passé
Contre le déclin de son influence, la France a mis en place - et ce relativement tôt - un dispositif de défense et d'expansion culturelles à l'étranger. Ainsi que le dénonce M. Marc Fumaroli dans son pamphlet - expression d'une vision souvent passéiste - sur « l'Etat culturel » (Editions de Fallois, 1992) cette nécessité de créer un outil administratif a d'autant mieux été perçue qu'elle s'inscrivait dans un contexte de défaite : "Ce fut d'abord un rêve d'intellectuels, s'éprenant d'un Etat fort, l'image inversée de la IIIème République jugée aboulique et divisée. Ce fut ensuite une compensation officielle à la défaite de 1940, puis à la retraite de l'Empire, et un rempart fictif contre la contagion des moeurs et des loisirs américains". Faute de pouvoir s'appuyer sur la grandeur militaire, la puissance économique, et le rayonnement des Lumières, la défense du « rang » de la France dans le monde est passée par une politique de promotion et d'exportation massive de la culture française à l'étranger.

Mais cette nostalgie d'un passé glorieux n'est pas la seule explication recevable. A la fin du XIXème siècle, alors que s'exacerbent les rivalités des grandes puissances, la culture et la langue françaises deviennent des enjeux d'influence politique. Pendant le premier conflit mondial, les impératifs de la guerre psychologique et le contrôle des médias, puis la montée des idéologies pendant l'entre deux guerres justifient une action culturelle volontariste, permettant à la France de faire valoir ses conceptions de la démocratie et de la société.

La France a effectivement derrière elle une histoire de diplomatie culturelle suffisamment riche pour qu'il ne soit pas inutile - même si ce n'est pas là l'objet de notre rapport - de rappeler les principales étapes. Certains commentateurs malicieux font remarquer au demeurant que le développement du dispositif administratif chargé de garantir la promotion de la culture française a été inversement proportionnel au rayonnement effectivement exercé.

Les centres culturels français trouvent leur origine, au début du siècle et entre les deux guerres mondiales, dans les antennes qu'ouvrirent à l'étranger les universités françaises - Grenoble à Prague et Milan, Toulouse à Barcelone...- afin de permettre à leurs étudiants et chercheurs spécialisés de continuer leurs travaux dans le pays étudié. Ces antennes, qui prirent communément le nom d'institut, étaient chargées de surcroît d'organiser des conférences à destination des étudiants étrangers, voire des cours, notamment de littérature et de civilisation françaises. C'est ainsi, et ce ne sont là que quelques exemples, que furent créés l'Institut de Florence en 1908, celui de Londres en 1910, celui de Lisbonne en 1928 ou encore celui de Stockholm en 1937. Mais très vite, les nombreuses nominations de lecteurs - comme Raymond Aron à Cologne en 1930 - et de professeurs détachés directement auprès des universités étrangères distendirent les liens entre centres et universités et encouragèrent les premiers à s'émanciper de la tutelle de ces dernières.

Après la Libération, et plus précisément entre 1946 et 1948, de nombreux instituts, que l'on pourrait qualifier de seconde génération, furent chargés spécifiquement de la diffusion de la langue et de la civilisation françaises à l'étranger. Ils s'installèrent principalement au Moyen-Orient (Beyrouth, Téhéran...) et en Europe (en Allemagne notamment).

Ces créations s'inscrivaient dans un mouvement plus global de renforcement de notre dispositif diplomatique culturel. Une puissante Direction générale des relations culturelles et des oeuvres françaises à l'étranger remplaça en 1945 le modeste Service des oeuvres françaises à l'étranger qui avait vu jour en 1920 au sein du Ministère des Affaires étrangères. Les premiers postes de conseillers culturels en ambassade furent créés en 1949. Ce dynamisme fut soutenu par une ambition clairement exprimée dans le premier rapport d'activité de la Direction générale : « démontrer la vitalité de la pensée française à travers les épreuves subies ».

Mais ce renouveau ne fut pas le fait de la seule sphère étatique. L'Alliance française, fondée en 1883 sur l'initiative de personnalités françaises afin de regrouper dans les pays étrangers les « amis de la France », était sortie considérablement affaiblie de la guerre. Elle avait pourtant su, depuis sa création, développer de nombreux comités locaux dans plus d'une cinquantaine de pays, sous l'égide morale et intellectuelle de l'Alliance française de Paris. La paix rétablie, et avec l'aide financière de l'Etat, l'Alliance française va conforter et développer son réseau, notamment en Amérique latine. M. Maurice Bruézière dans son livre consacré à l'histoire de l'Alliance qualifie « d'ascension irrésistible » la période 1950-1967.

2) Un réseau très étendu
Aujourd'hui, si l'on met à part la fonction de conseiller culturel en ambassade, ce que l'on appelle traditionnellement le réseau culturel de la France à l'étranger est composé d'une double structure : le réseau des établissements culturels et celui des Alliances françaises.

Le réseau des établissements culturels était composé au début de l'année 2000 de 151 établissements répartis dans 91 pays. D'un point de vue juridique, ces établissements, qui ne possèdent pas la personnalité morale, sont considérés comme des services extérieurs du Ministère des Affaires étrangères. Créés par arrêté interministériel (Affaires étrangères et Budget) publié au Journal officiel, ils sont dotés de l'autonomie financière. Si l'on veut avoir un tableau complet de ce réseau, il ne faut pas oublier les 68 établissements annexes qui ne bénéficient pas de l'autonomie financière ainsi que les 4 centres culturels franco-étrangers créés dans le cadre d'accords de coopération entre la France et les pays où ils sont implantés (Guinée Conakry, Mozambique, Namibie et Niger).

Le tableau joint en annexe 1 illustre le déséquilibre géographique dans la répartition de ces établissements. L'Europe, avec 50% des centres - dont 30% en Union européenne - est bien représentée, de même que l'Afrique du nord (10% des centres). En revanche, le continent asiatique est délaissé (moins de 9% des centres) et le continent américain - terre des Alliances françaises - ignoré (seulement un établissement en Amérique du nord et six en Amérique latine et Caraïbes). Cette répartition est un héritage de l'histoire : la carte n'a que marginalement évolué depuis les années cinquante. Elle reflète encore trop aujourd'hui les préoccupations et les priorités d'hier. L'exemple le plus extrême est probablement celui de l'Allemagne qui compte à elle seule 19 établissements culturels sur les 43 répartis en Union européenne. Cette prolifération s'expliquait par la volonté d'assurer une forte présence française en Allemagne de l'Ouest au lendemain de la guerre afin de l'ancrer du côté des démocraties occidentales. Cela pose aujourd'hui un certain nombre de questions d'autant que la répartition des centres culturels sur le territoire allemand est devenue déséquilibrée depuis la réunification. Un plan d'adaptation de ce réseau est actuellement à l'étude sans cependant qu'une vision politique claire n'ait été définie au niveau interministériel. On ne peut aborder la question du réseau allemand en terme purement quantitatif ; il faut bien sûr tenir compte à la fois des structures institutionnelles allemandes et des spécialités des villes et Länder. Proposer simplement de réduire le nombre de centres serait à l'évidence une solution inadaptée alors même que l'on souhaite développer les relations bilatérales franco-allemandes.

Mais il est évident que pour apprécier la répartition géographique des centres culturels, il convient de tenir compte de sa complémentarité avec le réseau des Alliances françaises. Nous l'avons brièvement évoqué, dans de nombreux pays - au total une cinquantaine, principalement en Amérique latine et en Asie - il n'y a pas, actuellement d'autres opérateurs susceptibles de relayer sur le terrain l'action culturelle française. Plutôt que d'implanter des centres dans ces régions, il a été jugé plus simple, plus efficace - compte tenu de l'insertion souvent remarquable des Alliances - et moins onéreux de renforcer l'effort d'association des Alliances à l'action des postes diplomatiques : par l'établissement d'un partenariat basé sur des conventions d'objectifs complétées par des avenants annuels précisant les engagements de chacun ; par un recrutement et une formation des agents, analogues à ceux définis précédemment pour les directeurs de centres ; par une politique systématique d'information et de formation des dirigeants des Alliances françaises conventionnés.

Le réseau des Alliances françaises s'étend à 138 pays et comprend 1098 établissements qui sont autant d'associations culturelles de droit local, à but non lucratif, et qui pour l'essentiel s'inspirent de l'esprit de la loi française dite de 1901. Chaque Alliance possède à sa tête un comité élu comprenant exclusivement des nationaux, ce qui lui permet d'oeuvrer en étroite collaboration avec la société et les institutions locales. Le label « Alliance française » est octroyé après accord de l'Alliance française de Paris, avec laquelle il n'existe pas de liens juridiques formels mais à qui est reconnue une autorité morale. Dans certains pays, les différentes Alliances se regroupent en une Fédération nationale, avec à sa tête un président élu, afin de mieux coordonner leurs diverses activités et assurer une meilleure visibilité auprès de leurs partenaires.

La création d'une Alliance française s'organise habituellement à partir d'une démarche spontanée locale, émanant d'un certain nombre de personnes francophiles, mais pas nécessairement francophones. Il ne revient donc pas au Ministère des Affaires étrangères de créer et encore moins de supprimer une Alliance française. Toutefois, ce dernier est susceptible d'encourager le phénomène de création par la mise à disposition de personnel et/ou l'attribution d'une subvention de fonctionnement. 263 Alliances sont ainsi liées avec le Ministère des Affaires étrangères dans le cadre de conventions de partenariat, et reçoivent son aide en contrepartie.

Cette première approche permet déjà de ressentir les principales caractéristiques du réseau culturel français : double nature, un nombre d'établissements important, liens très étroits avec l'Etat - y compris pour les alliances -, stabilité de la carte des implantations. Cette originalité apparaît d'autant plus grande quand on établit une comparaison avec les réseaux étrangers similaires, lorsque ces derniers existent.

En effet, quelques pays seulement peuvent prétendre disposer d'un véritable réseau culturel international qui rappelle celui de la France : les Etats-Unis avec le United States Information Agency, l'Allemagne avec le Goethe Institut et la Grande Bretagne avec le British Council. Tant les USIA - 200 centres présents dans 143 pays - que le Goethe Institut - 127 centres répartis dans 75 pays - ou que le British Council - 160 implantations dans 109 pays - bénéficient du statut d'agences et disposent en droit et dans les faits d'une plus grande autonomie par rapport à leur administration respective dont ils ne sont pas des émanations directes. Moins étoffé, le réseau des instituts culturels italiens compte 90 établissements, répartis dans 61 pays. Quant à l'Espagne, elle a créé en 1992 les instituts Cervantès dont le nombre demeure encore modeste : 38 instituts répartis dans une vingtaine de pays.

3) Un réseau aux multiples fonctions
Les centres culturels remplissent traditionnellement quatre fonctions que nous allons rapidement examiner et commenter.

· La première fonction, la plus connue, est celle d'enseignement du français : contribuer, comme le précise l'arrêté du 30 avril 1999,"à l'emploi de la langue française par l'apport de méthodes, d'instruments et d'expertise appropriés". C'est souvent la fonction qui occupe la plus grande partie des locaux et des personnels, et la taille d'un institut est couramment appréciée par le nombre d'élèves inscrits aux cours de langue. Les cours proposés sont généralement des cours généralistes (en très grande majorité) mais certains instituts s'efforcent de développer des cours en direction de publics spécialisés (chefs d'entreprise, hauts fonctionnaires, responsables politiques). Les centres ne délivrent eux-mêmes aucun diplôme mais préparent au Diplôme d'études en langue française (DELF) et au Diplôme approfondi de langue française (DALF) destinés aux personnes de nationalité étrangère et délivrés par le Ministère français de l'Education nationale. Certains avantages - peu nombreux à vrai dire - sont reconnus à la possession du DELF ou du DALF, dont la dispense du test linguistique d'accès aux universités françaises.

La DGCID n'a malheureusement pas été en état de nous procurer, en dépit de notre demande, des statistiques précises sur l'évolution du nombre des élèves au cours des cinq dernières années dans les centres culturels. Elle a procédé toutefois à la mise en place systématique de ratios d'activité à la fin de l'année 2000, ce qui devrait permettre selon elle de pouvoir disposer de ces chiffres en 2001. On peut rappeler à ce stade que l'on estime habituellement à 170 000 le nombre d'étudiants inscrits dans les cours de langue des centres culturels. Faute de données statistiques précises, nous nous contenterons d'observations empiriques glanées lors de nos visites à des instituts.

A la fin des années 80 et dans les années 90, les instituts ont été fortement encouragés, pour des raisons financières, à développer les cours de langue qui constituent leur principale source d'autofinancement. Cette croissance de l'activité d'enseignement s'est déroulée dans un manque total de clarté financière liée à l'absence d'études locales sur leur rentabilité ; un rapport d'audit sur les actions de coopération linguistique, éducative et culturelle, rédigé en janvier 1998 par l'inspection générale des finances et celle des affaires étrangères a ainsi estimé que « sauf exception », l'activité d'enseignement était rarement rentable.

La question de la pertinence du maintien de cette mission d'enseignement est souvent posée, dès lors qu'il existe des centres de langues dans les universités et que se multiplient les sociétés de cours privés. Depuis quelques années, dans de nombreux pays - le cas de la Grèce et de l'Espagne sont sur ce point caricaturaux - on a assisté à un renversement des statistiques : le nombre d'inscrits aux cours de français des instituts a dégringolé, parfois de manière vertigineuse. A titre d'exemple, le nombre d'élèves inscrits à l'Institut français de Barcelone est passé de 3000 en 1995 à 2200 pour l'année 2000, soit une baisse de près d'un tiers qui heureusement aujourd'hui a été stoppée. La situation est similaire à Porto où le nombre d'élèves inscrits au centre culturel est passé durant la même période de 1000 à 300. Les chiffres de l'Institut français d'Athènes sont encore plus préoccupants.

Outre l'accroissement de la concurrence privée, les raisons d'une telle situation sont multiples : la priorité de plus en plus grande accordée à la langue anglaise, la difficulté de répondre aux nouveaux besoins linguistiques (faible connaissance des besoins des entreprises) mais aussi, parfois, une certaine perte de dynamisme interne liée à ce que des directeurs de cours qualifient de sclérose d'un corps professoral vieillissant.
Ces constatations ne doivent pas conduire pour autant à préconiser la suppression de la fonction d'enseignement, comme c'est le cas pour les USIA. Cette fonction permet aux centres d'être des lieux vivants, assurés d'un public à longueur de semaine.

Il faut donc réaffirmer fortement la fonction d'enseignement tout en la clarifiant. Certes, on pourrait imaginer la création d'un label de qualité que le Ministère des Affaires étrangères accorderait à des organisations privées ; certes il faut reconnaître que le français ne constitue pas le support et véhicule unique de la connaissance de la culture française ; certes, il faut admettre a contrario la demande grandissante d'un français fonctionnel, c'est-à-dire détaché de la littérature et des belles-lettres. Mais néanmoins, il demeure capital pour l'image de la France qu'elle offre en permanence la possibilité d'apprendre sa langue en liaison avec sa culture. Ce n'est pas tant l'activité d'enseignement du français elle-même qu'il faut remettre en cause que les conditions dans lesquelles elle est exercée. Et sur ce plan, des progrès sont à accomplir afin de connaître précisément l'utilité des cours proposés (étude de la concurrence, de ses tarifs, des demandes potentielles), leur orientation souhaitable (français littéraire, français commercial...) et leur conséquence financière (comparaison entre les coûts complets et les recettes). Dans tous les cas, il est essentiel de proposer une offre de haut niveau, par des enseignants décemment traités, afin de défendre et préserver la spécificité et le renom d'ensemble des instituts. Cette qualité est une part du « supplément d'âme » que représente l'apprentissage de la langue dans un centre culturel français. Enfin, nous y reviendrons, les anciens étudiants constituent un formidable réseau, que l'on ne sait, malheureusement, ni faire vivre et ni utiliser.

D'une manière générale, les centres culturels n'ont que peu d'informations sur les réseaux qui constitueraient pour eux de puissants relais à leur action : étudiants et stagiaires étrangers en France, étudiants français à l'étranger, professeurs de français à l'étranger... La DGCID devrait se préoccuper de constituer ces fichiers pour les mettre à disposition des centres culturels. Ces derniers pêchent trop souvent par l'absence d'une politique relationnelle suivie, que ne facilite pas il est vrai la rotation des directeurs. Toutefois, une de leurs priorités d'action devrait être la constitution, l'entretien, le développement et la transmission d'un réseau actif et dynamique « d'amis de la France ». Ce n'est pas d'ailleurs qu'une question de moyens ; la constitution de ces fichiers ne servira à rien si les directeurs ne sont pas incités à les utiliser et les faire vivre.
· La deuxième mission que remplissent les instituts, c'est bien sûr la diffusion et la programmation culturelle. Il est évident que l'importance de cette mission varie selon le pays dans lequel est implanté le centre culturel.

Nous avons eu l'occasion d'apprécier, lors de nos divers déplacements en Afrique francophone, le rôle primordial assuré par les centres culturels français dans les pays francophones à faibles revenus, en tant qu'animateur de la vie culturelle locale et découvreurs de talents. C'est par exemple sous la paillote du centre culturel français de Lagos que le chanteur Femi Kuti a débuté sa carrière internationale.

La tâche est plus compliquée dans d'autres pays. C'est le cas de manière générale dans la plupart des pays développés où les événements culturels de l'institut français entrent en concurrence avec des centaines d'autres, mais c'est le cas également d'autre pays - comme la Chine - où il n'existe a priori qu'une faible appétence pour découvrir la culture française. Dans ce dernier cas, les efforts doivent porter sur la langue et la coopération économique, dans un premier temps au moins.

Une difficulté supplémentaire est d'inscrire ces événements dans une continuité afin de créer une véritable coopération culturelle et artistique et d'alimenter un réel courant d'échanges. Trop souvent en effet, une logique de remplissage du programme conduit à un saupoudrage de manifestations numérotées sur lesquelles ne sont exercées aucune évaluation ni en terme de fréquentation, ni en terme de degré de satisfaction.
Les centres sont aidés dans leur tâche de programmation culturelle par l'Association française d'action artistique (l'AFAA), créée en 1922, qui agit en qualité d'opérateur du Ministère des Affaires étrangères. L'action de l'AFAA emprunte des canaux très divers, et la part consacrée au réseau culturel demeure minoritaire. Le rôle de l'AFAA est d'informer le réseau culturel français à l'étranger de l'actualité et des évolutions de la vie artistique en France et de favoriser les mises en relation avec les professionnels français. Elle apporte aux responsables des centres culturels un appui souvent précieux en terme d'expertise, de financement et de logistique, pour la mise en oeuvre de projets définis dans le cadre de la programmation artistique annuelle.

Le rôle de l'AFAA sur la politique culturelle extérieure a fait l'objet de très nombreux rapports. Il a été et demeure irremplaçable. L'AFAA a accompli ces dernières années, notamment sous le directorat de M. Jean Digne, et aujourd'hui avec M. Olivier Poivre d'Arvor, des efforts importants pour renforcer l'efficacité et la transparence de son action. Un reproche toutefois lui est encore souvent adressé : celui de d'entretenir des liens trop étroits avec la diplomatie traditionnelle et d'être encore trop dépendant d'un culturellement correct parisien. Par ailleurs, beaucoup de postes aimeraient être davantage directement consultés par l'AFAA et encouragés dans leurs initiatives et expériences culturelles. S'il est légitime que les services culturels des ambassades exercent une fonction de coordination, nombre de directeurs de centre se plaignent qu'un filtrage systématique retarde souvent des décisions, parfois à prendre dans l'urgence, avec pragmatisme.

Ainsi que l'a souligné à juste raison devant nous M. Gérard Fontaine, sous-directeur de la coopération culturelle et artistique au Ministère des Affaires étrangères, l'une des priorités de l'action d'un centre culturel ne doit pas être seulement de répondre à la demande locale - toujours plus ou moins traditionnelle - mais de la former et de l'informer. Les gens ont naturellement tendance à aimer ce qu'ils connaissent, ce qui incite parfois à la répétition de stéréotypes. Il y a un véritable travail de pédagogie et de communication à promouvoir , afin de susciter une image à la fois plus moderne et sans doute plus réelle de ce qu'est la France aujourd'hui.

· La troisième mission des centres culturels concerne la fourniture de documentation et d'informations sur la France. Un programme de modernisation et de dynamisation des bibliothèques des établissements culturels français et des alliances françaises à l'étranger a été lancé en 1995 afin de pouvoir mettre en place de véritables « centres de ressources documentaires sur la France contemporaine ». Cette novation dans le nom fait écho à une novation dans la fonction. La mission de ces centres est de répondre concrètement aux demandes d'information de toute nature dans les domaines pratiques, éducatifs, artistiques, scientifiques, techniques, touristiques... Elle est aussi de promouvoir une image plus moderne de notre pays en mettant en valeur les pôles d'excellence de la France, en tâchant de lutter contre les clichés, et les idées reçues. Pour cela, les bibliothèques sont appelées - car dans les faits, cela n'est pas parfois explicite - à être transformées en médiathèques, incluant tous les supports de la communication culturelle actuelle : imprimés, audiovisuels, numériques et télématiques. Les bibliothécaires traditionnelles sont reconverties en assistantes de recherches.

Cet effort de modernisation n'a pas encore produit partout tous ses effets, loin s'en faut. Et surtout, on peut regretter que les possibilités d'interconnexion entre ces centres de ressources avec l'ensemble du réseau culturel français (notamment les grandes institutions nationales comme la Bibliothèque de France, les grands musées ou la Cité des sciences) et européen demeurent insuffisamment explorées. Nous avons pu constater par exemple que le site d'information Sources d'Europe (http://www.info-europe.fr/) qui recense la plupart des informations théoriques et pratiques sur l'Union européenne était peu connu des documentalistes. A leur décharge, l'univers du net est tellement mobile qu'il est souvent très difficile de s'y retrouver, ce qui justifierait la mise à disposition d'un inventaire, régulièrement actualisé, des sites utiles.

· Enfin, il existe une dernière mission attribuée à certains centres culturels, la coopération linguistique et éducative, mais dans les faits cette fonction est assurée par une partie seulement des établissements culturels. Nous y reviendrons ci-dessous.

Au total, les missions assignées aux centres culturels sont relativement claires dans leur principe. Mais, complexes et multiples, elles demeurent entourées de flou dans leur application. Voilà pourquoi l'action culturelle extérieure relève à bien des égards de la mission impossible pour ceux qui, sur le terrain, doivent faire face à un contexte en permanente évolution.

B - Un réseau en péril

En 1995, M. Jean-David Levitte, alors directeur général des relations culturelles, scientifiques et techniques, dressait un bilan sévère de l'action culturelle extérieure : « L'image de la France à travers le monde, il faut en être conscient, tend à vieillir : tout se passe comme si, vues de New-York ou de Tokyo, la peinture française s'était arrêtée aux Impressionnistes, la musique à Debussy et Ravel, la littérature et la philosophie à Camus ou Sartre, la science à Pasteur... » (Histoire de la diplomatie culturelle des origines à 1995, La documentation française, 1995). En cinq années, les choses ont peu changé et le constat est malheureusement toujours valable aujourd'hui. Tout se passe comme si l'action culturelle de la France excellait à préserver des acquis mais ne réussissait que médiocrement à innover. Il nous revient d'essayer d'en comprendre les raisons.

1) Un réseau sans crédits
Le montant des budgets de fonctionnement des 151 établissements culturels s'est élevé en 1999 à un peu moins de 860 millions de francs. Ces dépenses ont été financées par trois types de recettes : les subventions de fonctionnement accordées par le Ministère des Affaires étrangères pour un montant de 243 millions de francs, un chiffre bien modeste par rapport aux ambitions affichées ; des crédits d'intervention utilisés pour des actions de coopérations auprès de nos partenaires pour 158 millions de francs ; les recettes propres : droits de scolarité, droits de participation aux activités culturelles, dons et legs, subventions d'autorités locales ou d'organismes privés. Seulement neuf établissements ont un budget supérieur à 20 millions de francs : Athènes (le plus important avec 70 millions de francs), Le Caire, Tokyo, Londres, Beyrouth, Tunis, Hanoï, Istanbul et Mexico.

Si l'on prend en compte l'ensemble des aides - subventions de fonctionnement, crédits de coopération, crédits immobiliers, mise à disposition de personnels détachés, aides diverses - accordées par le Ministère des Affaires étrangères à la totalité des établissements du réseau qui dépendent de l'Etat (soit 486 implantations y compris annexes, établissements franco-étrangers et alliances conventionnées), on atteint la somme de 1 milliard de francs. Ce chiffre est à rapprocher des quelques quatre milliards de francs (dont les deux tiers sont d'origine publique) dont dispose chaque année le British Council.

Ce qu'il importe de souligner, c'est qu'il existe un seuil minimum au-dessous duquel l'effet levier ne joue plus. Certes, le mécénat d'entreprise - très courant dans les pays anglo-saxons - se développe de manière importante ; il n'est plus désormais l'apanage des grandes structures mais concerne des entreprises très diverses, de par leur taille, leur secteur et les actions qu'elles choisissent de parrainer. Il serait sans doute souhaitable de trouver des moyens de développer et renforcer les liens entre les centres culturels et les entreprises françaises à l'étranger, via par exemple les postes d'expansion économique ou les chambres de commerce. Mais ce mécénat ne peut se substituer au financement public ; il peut tout au plus le compléter. Il est indispensable pour les centres culturels de pouvoir mettre une mise de base. Aussi, lorsqu'on constate que l'autofinancement représente plus de 53 % des dépenses des centres culturels - avec, il est vrai, de fortes variations entre eux (voir tableau en annexe) -, on ne peut que s'inquiéter de cette moyenne à nos yeux trop élevée.

La modestie des budgets, déjà évidente lorsqu'on considère les chiffres globaux, devient encore plus criante lorsqu'on examine en détail les budgets consacrés à la programmation culturelle. Cette partie du budget nous semble en effet tout particulièrement significative pour deux raisons : flexible, elle sert de variables d'ajustements en période de « vaches maigres » - c'est-à-dire chaque année ! - ; symbolique, elle représente, davantage encore que l'enseignement de la langue, la spécificité de l'action de nos établissements culturels. Quelle n'a pas été notre surprise de constater que ces budgets de programmation représentaient souvent des sommes ridiculement basses et en régression : 667 000 francs à Barcelone (contre 950 000 francs en 1998, soit une baisse de 30%), 878 000 francs à Munich (contre 937 000francs en 1998) ; 882 000 francs à Berlin (contre 1 800 000 francs en 1999, soit une réduction de plus de la moitié en trois ans) ; 1 034 000 francs à Milan ; 1 500 000 francs à Amsterdam ; 1 600 000 francs à Tokyo (pour être correctement interprété, ce dernier chiffre doit être mis en comparaison avec les prix locaux très élevés). La faiblesse de ces montants apparaît encore plus choquante lorsque l'on songe à l'importance des villes en cause et à la nécessité pour la France d'assurer dans ces lieux une importante visibilité culturelle. De manière surprenante là encore, lorsqu'on rapporte ces chiffres bruts au budget global du centre, on est étonné de la faiblesse de la part représenté par cette programmation culturelle : 5,6% du compte financier à Tokyo (chiffre de 1999) ; 6% à Barcelone ; 10% à Munich ; 11% à Milan ; 12% à Berlin. Avec des parts respectives de 20% et 21%, Londres et Amsterdam font figures d'exception.

A l'évidence, le Quai d'Orsay, lui-même il est vrai maltraité par Bercy et Matignon, a durement répercuté sur ses saltimbanques l'effort de redressement des finances publiques que les gouvernements successifs lui ont imposé. Le réseau culturel a pâti des priorités accordées à l'audiovisuel extérieur et aux nouvelles technologies. Dans les faits, c'est le réseau lui-même qui a dû tenter de financer son développement. Bref, pour les centres culturels, il fallait faire toujours plus d'actions avec toujours moins d'argent. Devenu en quelque sorte le parent pauvre de la direction générale, le réseau ne pouvait qu'essayer de sauvegarder les acquis.

Le risque est grand pour de nombreux centres culturels d'entrer dans un cercle vicieux : moins d'argent, moins d'action, moins de visibilité, moins de clients/usagers et donc encore moins d'argent...

Certes, on pourra nous opposer que de telles difficultés budgétaires affectent aussi les réseaux étrangers, qui ont chacun réagi à leur façon. Le Goethe Institut a fermé 40 implantations au cours de ces dernières années contre 18 ouvertures, principalement dans les pays d'Europe centrale et orientale et les pays émergents d'Asie. Le British Council a adopté depuis 1996 une stratégie résolument offensive de recherche de fonds privés afin de compenser la diminution des fonds publics, qui avait conduit à une réduction importante de ses effectifs - proche de 30% - dans les services centraux. Mais ces stratégies de repli ne peuvent s'appliquer à la France qui, à juste raison, souhaite se différencier de ses partenaires par une attention prioritaire accordée à la culture. La France ne doit pas entrer dans le lot commun. Tous les beaux discours que l'on entend sur l'exception culturelle française doivent être suivis d'effets concrets.

Ces difficultés budgétaires ont été, aux dires de certains, aggravées en France par deux facteurs : l'importance des rémunérations des personnels expatriés, et l'ampleur du parc immobilier à l'étranger. On a ainsi pris l'habitude de parler de « béton-fonctionnaire » pour évoquer ces contraintes.
Il est vrai que les centres culturels ont souvent été dotés de bâtiments importants, souvent peu fonctionnels, dans certains cas mis à la disposition de la France à des prix avantageux mais parfois aussi acquis ou loués à des prix importants.

La propriété d'un bâtiment représente une contrainte de lieu importante, quant à l'évolution de la carte internationale du réseau mais également en cas de transformation de la géographie urbaine. Le cas le plus caricatural est sans doute celui de Berlin. La destruction du mur a déplacé le coeur de la ville vers les quartiers historiques de l'Est, et la maison de France se trouve désormais dans un quartier qui ne correspond plus à la réalité du nouveau Berlin. Une décision éventuelle de transfert, pour laquelle militent de nombreux arguments, sera, si elle est adoptée, assez lourde à mettre en oeuvre. Elle reste néanmoins à nos yeux nécessaires car l'emplacement du centre culturel dans la ville est un élément prioritaire.

Mais il convient de faire la part des choses. On peut certes rêver d'un centre culturel a minima composé d'un bureau, d'un ordinateur, d'un cadre et d'une secrétaire. Mais il serait pour le moins paradoxal de regretter tout à la fois le peu de moyens dont dispose un directeur de centre pour établir des contacts locaux et lui refuser en même temps un facteur majeur de visibilité (surtout lorsqu'il s'agit d'immeubles historiques), d'opportunités de rencontres et de convivialité. Disposer d'un vaste équipement dans une ville peut constituer un sérieux avantage dès lors que le bâtiment n'est pas transformé en forteresse castratrice de toute politique « hors les murs ». Il existe actuellement un besoin de contacts et de rencontres qui ne soient pas exclusivement virtuels, d'un lieu d'échanges avec le public. Au reste, l'existence d'un lieu reconnu, d'une base symbolique ne conduit pas à refuser tout autre endroit ; au contraire, cette base doit servir de quartier général pour la constitution d'un réseau de lieux, « chez les autres », qui seront autant de ramifications et d'amplificateurs, de possibilités de souplesse et de nuances pour notre action culturelle.

Une attention toute particulière devrait être portée à « l'esprit des lieux ». Trop souvent, l'intérieur d'un centre culturel ressemble à un quelconque bâtiment administratif. Il faudrait au contraire en faire un élément d'attraction pour que, dès l'entrée, les usagers se sentent dans une atmosphère originale, qui les invite à la découverte et à la communication. Les architectes et décorateurs français devraient être mis à contribution pour créer cet « esprit des lieux » qui contribuerait au renom du centre culturel. Le bâtiment du centre lui-même devrait être comme une manifestation culturelle permanente.

Certes, l'époque héroïque où certains centres culturels français - comme celui de Barcelone ou ceux d'Europe de l'Est, Prague notamment - apparaissaient comme une enclave des libertés et attiraient naturellement l'intelligentsia locale est, avec la fin de la plupart des dictatures fascistes et communistes, en grande partie révolue, et l'on peine souvent désormais à faire venir la population locale dans nos centres. Mais c'est un défi qu'il convient de relever et nous verrons ci-dessous comment il peut l'être.

J'estime pour ma part qu'il est urgent de mettre en oeuvre un plan de redressement financier qui devrait atteindre au minimum 500 millions de francs supplémentaires (à francs constants) répartis sur cinq ans. Je donne ci-dessous à titre indicatif l'utilisation de ces crédits supplémentaires.

Utilisation des crédits (en millions de francs)Comprenant : Mise à niveau des recrutés locaux
Centre culturel en ligne
Immobilier
Equipements
Relance générale de programmes
culturels et sociaux
Aide aux programmes innovants
Centres de ressources
Créations de 65 postes/.ouvertures
Total des mesures nouvelles/an
2002180
2003104
200486
200570
200660

2) Un réseau sans unité ni mémoire
Ce qui nous a profondément frappés tout au long de notre mission, c'est l'absence de coordination et de pilotage du réseau. Il n'existe aucun document définissant ou hiérarchisant les objectifs géographiques, thématiques, politiques, artistiques assignés au réseau. Nul ne sait, nul ne peut dire par exemple en quoi consiste la politique culturelle de la France en Roumanie ou en Allemagne, et en quoi elle se distingue de celle menée en Hongrie ou en Italie. Car s'il faut une politique forte affichée, il faut savoir également l'adapter, la moduler aux pays et au terrain.
Certes, un bureau des établissements culturels et des alliances françaises est chargé au sein de la direction de la coopération culturelle et du français du suivi des activités des établissements tandis qu'une sous-direction des personnels des services et des établissements culturels et de coopération dépendant de la direction générale de l'administration a en charge la gestion du personnel. Mais à l'évidence, la mission de réflexion générale sur les orientations stratégiques du réseau n'est pas assurée dans de bonnes conditions, les sous-directeurs et directeurs étant accaparés par des tâches purement administratives. Il est aujourd'hui urgent de pouvoir disposer à Paris d'une équipe dotée des moyens, en hommes et matériel, de gérer et d'animer le réseau.

Les lacunes en matière de coordination concernent aussi bien les relations entre chacun des deux réseaux d'établissements, centres et alliances, que les relations à l'intérieur du réseau des centres - y compris dans un même pays - et les relations entre centres et services culturels.

Des efforts de coordination ont été accomplis entre le réseau des centres et des alliances, dont les missions et les modalités d'organisation, nous l'avons déjà évoqué, sont de plus en plus comparables. Il est devenu de plus en plus rare qu'un centre culturel cohabite avec une Alliance dans une même ville. Quelques exceptions toutefois demeurent comme à Lisbonne (Portugal), à Londres (Grande-Bretagne), à Madrid (Espagne), à Lagos (Nigeria), à Pékin (Chine) ou à Séoul (Corée).

Mais cette rationalisation n'a pas encore débouché sur une coopération étroite entre centres et alliances. Après avoir rappelé les estimations selon lesquelles une Alliance française coûtait environ dix fois moins cher en fonctionnement qu'un centre culturel - un ratio qu'il conviendrait de mettre en parallèle avec les activités - M. Jean Harzic, le Secrétaire général de l'Alliance française, nous a expliqué ces difficultés de coopération par une tradition administrative qui a du mal à admettre que l'action de l'Etat puisse être efficacement relayée par une association. Une des forces de l'Alliance, c'est sa capacité à s'adapter et se muer au gré des circonstances locales, d'allier spécificité et diversité. Une meilleure collaboration entre les deux réseaux contribuerait pourtant à une meilleure visibilité et efficacité.

Plus surprenante encore est l'absence d'esprit de réseau qui existe entre les différents centres d'un même pays. Nous l'avons constaté en Espagne - un pays il est vrai où les régions sont fortement individualisées -, les relations entre centres culturels sont assez formelles ; ils ne travaillent pas ensemble. Et pourtant là encore, les centres auraient intérêt à partager leurs expériences, à comparer leurs coûts, à coordonner leur communication. Lorsqu'une initiative rencontre du succès dans un centre, il faudrait la proposer aux autres. Il est vrai aussi que la continuité au sein d'un même centre entre deux directeurs successifs n'est qu'imparfaitement assurée ; une évaluation systématique devrait être établi en fin de mandat et transmise au successeur.

Car ce qui manque également cruellement au réseau culturel français, c'est tout simplement une mémoire. A partir de ressources à l'origine souvent similaires, de nombreux centres ont développé des réalisations différentes et multiples. L'observation de ces réalisations, le recensement des méthodes employées, l'appréciation des répercussions sont autant d'éléments qui, si ils étaient mémorisés et partagés, pourraient inspirer d'autres tentatives. Il ne s'agit pas bien sûr de sous-estimer les facteurs qui tiennent à une spécificité locale, non reproductibles ailleurs, mais la particularité de chaque cas ne nous apparaît pas un obstacle à une analyse sérieuse sur ce qui pourrait ou devrait être systématisé. Il y a là à la fois un devoir de mémoire et une valorisation utile du travail des directeurs d'instituts culturels.
Enfin, nous reviendrons ci-dessous sur les principes qui devraient selon nous présider aux relations entre conseillers culturels et directeurs des centres culturels. Ces relations, nous avons pu le constater sur le terrain, ne sont pas simples et souvent teintées de tensions, notamment dans la capitale. Berlin en est un bon exemple : après quelques mois de cohabitation avec le conseiller culturel en provenance de Bonn, le directeur du centre culturel a souhaité anticiper son départ. De même, il y a eu en l'an 2000 nombre de démissions au sein du réseau en Amérique latine en raison de querelles de personnes. A Londres, en revanche, les choses se passent parfaitement... mais le conseiller culturel est également directeur du centre.

3) Un réseau sans vision d'avenir
Ce qui fait cruellement défaut aujourd'hui à la France, c'est un projet politique culturel extérieur sur lequel arrimer tous les efforts. Ce projet nous apparaît devoir constituer le préalable nécessaire pour mettre un terme à la démobilisation qui guette les acteurs culturels. Sans stratégie globale, on perd la vision du long terme voire la justification des efforts entrepris ; on se focalise uniquement sur la gestion comptable à court terme et le remplissage sans cohérence d'un agenda culturel. Il est dommage que les interrogations sur les modes d'action l'aient emporté au sein de la direction générale sur une réflexion concernant les objectifs et le contenu de la politique culturelle extérieure. On a fait des réformes institutionnelles sans les fonder sur une vraie politique, sans les prolonger par un travail de fond. Ayant déstabilisé l'institution, la logique budgétaire se trouve alors en position de force pour justifier les coupes dans les ressources.

Il est évident que l'on ne peut assigner à l'ensemble des établissements les mêmes objectifs et les mêmes activités. Le choix doit prendre en compte un certain nombre de critères : situation de l'offre culturelle (importante ou pas), de la place du français dans le pays, de la demande locale pour telle activité culturelle... Le rôle du centre culturel est plus important à Cotonou ou Timisoara qu'à Salzbourg ou La Haye, dont les habitants peuvent facilement se rendre en France et disposent d'une offre culturelle importante. Il est donc important de définir une stratégie de la France modulable selon les régions géographiques.

Faut-il développer une offre généraliste ? Faut-il au contraire insister sur quelques points forts ? Il n'y a pas de réponse uniforme à ces questions. M. Bernard Cassen, le directeur général du Monde diplomatique, a par exemple regretté que les centres culturels français en Europe ne soient pas utilisés comme vecteurs d'un espace public européen qui fait aujourd'hui cruellement défaut, et sans lequel la construction politique européenne est dépourvue de fondement. M. Cassen a donc particulièrement insisté sur l'importance qu'il conviendrait d'accorder aux relations bilatérales intra-européennes.

Un projet culturel extérieur de la France a déjà été publié dans le passé (La documentation française, 1984), dont les orientations ont été approuvées en Conseil des ministres du 19 octobre 1983. Ce document recensait un certain nombre d'objectifs sectoriels et géographiques. Il n'a pourtant jamais été un instrument de référence et n'a jamais fait l'objet d'une actualisation.

M. Hubert Védrine l'expliquait justement dans son dernier livre sur « les cartes de la France » : "Pour avoir de l'influence, il faut d'abord être capable d'avoir ses propres idées. Qu'influencerions-nous si nous nous contentions de répéter le langage convenu du «politiquement correct »du moment et celui des consensus ? Exercer plus d'influence, cela veut dire apporter au débat une valeur ajoutée. L'indépendance d'esprit et de projet est non seulement possible, mais indispensable". Ce jugement est encore plus véridique pour la diplomatie culturelle. Le principe de présence est à lui seul insuffisant pour définir les fondements de notre politique culturelle extérieure. Nous l'avons clairement indiqué au nouveau directeur général de la coopération internationale et du développement, la priorité première consiste à traduire la volonté politique que l'on sent confusément exister à travers les discours des uns et des autres en véritable projet, conçu avec l'ensemble des responsables de nos instituts culturels.

Bâtir l'architecture de ce que pourrait être un nouveau projet culturel extérieur dépasse bien évidemment le cadre de ce rapport. Il serait au reste souhaitable que ce projet ne sorte pas tout armé des bureaux de l'administration centrale mais fasse l'objet d'un vaste débat avec les acteurs de la vie culturelle, les postes à l'étranger, les élus locaux et nationaux. Si la stratégie n'est pas partagée, elle ne sera pas appliquée, faute pour l'administration centrale d'avoir mesuré le décalage entre la perception de Paris et la réalité vécue sur le terrain. Les quelques idées qui suivent doivent donc être simplement considérées comme une modeste contribution pour encourager l'ouverture d'une consultation plus large.

En s'inscrivant dans la durée, le dialogue entre les cultures doit constituer l'un des éléments fondamentaux de la coexistence pacifique et du développement. La France a contribué à l'adoption par l'Unesco en avril 1998 à Stockholm d'un « plan d'action sur les politiques culturelles pour le développement » qui recommande aux Etats membres de « faire de la politique culturelle l'un des éléments clés de la stratégie de développement ». Tout projet culturel extérieur de la France devrait clairement inclure la nécessité de contribuer à la créativité culturelle des pays les plus pauvres, et de manière plus générale de favoriser toutes actions en faveur de la diversité culturelle. C'est en multipliant et fédérant les contre-pouvoirs culturels que l'on pourra lutter contre la domination américaine, potentiellement monopolistique. Il ne s'agit pas bien sûr de tomber dans l'anti-américanisme primaire : l'affirmation de notre identité ne doit pas être exclusive de collaborations avec les Américains sur des projets communs. Au demeurant, plus nous serons sûr de nous et de nos valeurs, moins nous craindrons un travail en commun.

Les hésitations que j'ai rencontrées chez certains de nos ambassadeurs, qui se demandaient s'il entrait dans leurs attributions de participer à la connaissance des cultures et la promotion des talents locaux, me semblent être totalement déplacées. L'un d'entre eux nous a même affirmé qu'il n'était pas payé pour cela. Notre diplomatie culturelle ne doit pas être conçue - avec parfois une fierté ou arrogance bien dangereuse - comme une projection de la culture française dans un espace supposé vierge mais comme une multiplication des occasions de rencontres et de création entre d'une part la culture française et d'autre part une culture étrangère qu'il convient de connaître, et reconnaître, à part entière. Il est primordial de défendre et promouvoir l'image de la France comme lieu de reconnaissance des cultures. Il convient, pour reprendre les mots de M. Olivier Poivre d'Arvor, de ne pas se satisfaire d'une simple « logique de diffusion » mais de promouvoir une « préoccupation majeure de coopération ».
Pour être efficace en tant que découvreurs et promoteurs de talents locaux, les directeurs de centres culturels ont besoin de s'appuyer sur des relais français. C'est notamment l'un des principaux avantages des saisons culturelles étrangères en France - créées en 1994 à l'instigation notamment de Jean Digne, alors directeur de l'AFAA - et des saisons françaises à l'étranger que de permettre la rencontre de futurs partenaires à travers la mise en valeur des aspects vivants de chacun de leur patrimoine. A titre d'exemples, se sont ainsi succédé : « la Jordanie à Paris » en 1997, « l'année culturelle France-Egypte » en 1998, « l'année du Maroc » en 1999 ou encore, en sens inverse, « la saison du théâtre français à Londres » en 1997 ou « l'année de la France au Japon » en 1998.

Il est également nécessaire d'approfondir la réflexion sur le public visé par les centres culturels. Par nature, et c'est même depuis la Révolution française l'une de ses caractéristiques, le message français est destiné à tous et par conséquent les centres culturels, émanation directe de la « mère des arts » et de la « patrie des droits de l'Homme » avaient vocation à s'adresser au plus grand nombre. Pour ce faire, la politique culturelle de la France a souvent emprunté son style et ses accents au Grand Siècle : il s'agissait d'impressionner, d'exercer un ascendant, d'éblouir l'autre par un « rayonnement ». Le risque est alors grand de s'épuiser dans l'agitation fébrile d'une agence de spectacles, dont les manifestations éphémères ne laissent que peu de traces.

La prise en compte de cette limite a suscité un intérêt nouveau pour les actions de plus en plus ciblées, en direction cette fois des décideurs et des futurs décideurs. On abandonnait - en partie au moins et non totalement - la perspective d'évangélisation du monde pour entrer, via la formation des futurs dirigeants, dans une logique de part de marché et de retour sur investissement. L'enjeu majeur devient dans cette perspective marchande la préservation de sa sphère d'influence face à la concurrence américaine, allemande... Il s'agit moins alors de conduire une politique culturelle que de mettre à la disposition d'un public choisi une autre culture dont on présume par avance qu'il saura la saisir et en tirer parti par lui-même. Dans cette optique, les centres culturels, appelés à agir dans un espace mondialisé de plus en plus professionnel et concurrentiel, deviennent des acteurs parmi d'autres d'actions de coopération et d'échanges. La culture elle-même n'est appelée à jouer qu'un rôle supplétif dans la politique extérieure de la France afin de favoriser les dialogues politiques et les échanges économiques : c'est l'application du principe de subordination.

Prise entre les contradictions d'un messianisme « gratuit » dont le contenu devient de plus en plus flou et de moins en moins audible, et d'une réponse utilitaire à des besoins politiques et économiques (du développement à l'industrie des loisirs), la politique culturelle française est à la recherche d'un nouveau modèle qui soit adapté à l'ère de la mondialisation, des réseaux et des services.

Ce modèle doit renoncer à toute tentation hégémonique et aux artifices d'échanges officiels pour privilégier ce que François Furet appelait « le subtil artisanat de la médiation », c'est-à-dire l'acte de mise en relation des hommes, des institutions et des cultures, la promotion du dialogue et de l'échange. A la difficulté de définir les axes prioritaires dans le foisonnement des besoins, des contraintes et des ambitions, doit répondre une attention accrue aux méthodes et aux pratiques. « Et, si comme la guerre, l'action culturelle était d'abord un art d'exécution ? » écrivait M. Xavier North. « Si tel était le cas, ce ne seraient pas les objectifs qu'il faudrait privilégier, les quatre priorités et les cent mesures chères aux politiques et aux technocrates, mais les démarches. Ce serait de l'efficacité de l'action menée sur le terrain - de la philosophie qu'elle implique, des qualités qu'elle suppose - qu'émanerait un rayonnement français, comme une aura ou un supplément d'âme » (Xavier North, Portrait du diplomate en jardinier, Le Banquet, 1997).

Dans le même esprit , M. Bernard Cassen, déjà cité, a plaidé devant nous pour une action culturelle à l'étranger accordant une priorité non pas aux décideurs mais aux médiateurs d'opinion (professeurs, journalistes, syndicalistes, élus, chercheurs). Il a illustré le succès d'une telle stratégie en s'appuyant sur le « phénoménal succès » à l'étranger de l'association ATTAC - Association pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens - dont il est le Président et qui milite pour un message universaliste contre les ravages de la mondialisation et pour un nouvel internationaliste.

II - UN RÉSEAU QUI DOIT ÉVOLUER VERS DES ESPACES DE DIALOGUE ET DE LIBERTÉ

A - Les conditions d'un nouveau souffle

1) Plus d'autonomie
Pourquoi préconisons-nous une plus grande autonomie des centres culturels ? Cette autonomie nous semble à la fois une question de fond, celle de la liberté qui doit présider à la mise en place de toute action culturelle, et une condition de procédure importante pour l'efficacité de cette action. Il existe deux visions de l'avenir des centres culturels : les transformer en centre de sécurité sociale de la culture française qui distribuerait des prestations quantifiées et calibrées ou au contraire en faire des lieux d'innovation et d'indépendance, à l'image de ces qualités qui, à l'étranger, vous font tomber amoureux de la culture française.

Cette autonomie fait souvent peur aux ambassadeurs et plus encore à certains conseillers culturels car ils y perçoivent une menace pour la cohérence de leur action et de l'image de la France à l'étranger. Pour eux, revendication d'autonomie rime avec constitution de baronnie. Il est vrai que la décentralisation fait généralement d'autant plus peur que l'on n'a pas été capable au préalable de définir une politique claire. Il existe cependant des exceptions et certains diplomates ont su parfaitement gérer cette relation, mais ces cas restent exceptionnels.

Cette crainte nous semble non fondée et dangereuse. Pour développer une action dans des domaines qui touchent l'imaginaire et qui peuvent avoir une sensibilité politique très grande, il importe de maintenir les centres à une distance pertinente du dispositif officiel de représentation de la France. C'est cette distance qui autorise et conditionne les indispensables prises de risque de toute action culturelle.

C'est pourquoi des opérateurs disposant d'une véritable autonomie et dotés d'une direction responsable sont indispensables. Un tel dispositif présente en outre de nombreux avantages : meilleure capacité à oeuvrer en concertation avec les institutions et les organismes locaux, meilleure appréhension des besoins et par conséquent meilleure adaptation de l'offre... Nous avons eu l'occasion de constater la tentation présente chez certains conseillers culturels d'ambassade de se substituer aux centres culturels, ou en tout cas d'exercer une tutelle inadéquate sur la liberté de manoeuvre nécessaire à toute action culturelle menée par les instituts. Une telle tentation est malsaine et il est nécessaire de savoir s'en garder. Au-delà de la qualité des hommes, ce qui en jeu et ce qu'il importe de sauvegarder, c'est cet outil irremplaçable que constitue dans un pays le réseau des centres ou des alliances. Vouloir tout centraliser, tout personnaliser au niveau du service culturel de l'ambassade, c'est démotiver les cadres des instituts, rogner leur vitalité et mettre en danger la pérennité de la présence française.

Il existe aujourd'hui un certain nombre de procédures qui constituent autant de garanties d'une concertation entre le centre culturel et l'ambassade. A son arrivée en poste, chaque directeur de centre se voit remettre une lettre de mission lui indiquant les priorités de son action. Il est alors tenu, dans les six mois qui suivent sa prise de fonction, d'établir un projet d'établissement qui respecte les axes fixés par l'ambassadeur et qui définit les objectifs et les moyens à mettre en oeuvre. Ce projet est soumis à l'approbation d'un conseil d'orientation qui réunit l'ambassadeur, le conseiller culturel et l'ensemble des agents responsables rémunérés par l'Etat français et associés à notre présence culturelle dans le pays.

Si des objectifs clairs ont été définis en termes de priorités (arts contemporains, architecture et urbanisme, artistes et écrivains en résidence, spectacles de rue...), en termes de partenaires et de moyens, une réelle autonomie d'action peut et doit être consentie aux instituts. Un contrôle a posteriori doit être bien sûr, nous y reviendrons, assuré alors que l'on peut considérer tout nouveau contrôle a priori comme nuisible tant pour la cohérence que la rapidité de l'action.

Force est de constater que le plus souvent des interventions inopportunes de l'ambassade vont de pair avec une faiblesse du contenu du dialogue préalable. Si les orientations sont claires et partagées, il n'y a aucune raison de redouter une autonomie du centre dans leur mise en oeuvre, bien au contraire si elle s'accompagne d'une plus grande responsabilité.

Disons-le nettement, même si nous sommes conscients que cette affirmation en choquera certains, les directeurs de centres culturels ne sont pas des collaborateurs du conseiller culturel, comme ce dernier par exemple est celui de l'ambassadeur. Les fonctions de conseiller culturel et de directeur de centre sont fondamentalement différentes. L'empiétement des uns sur les autres n'est pas sain. Il faut identifier les métiers, les terrains et les modalités d'actions. Pour prendre une métaphore agraire chère au fils d'agriculteur que je suis, chacun doit cultiver son champ. Aucun exploitant agricole ne s'avise de mélanger différentes productions sur un même terrain, même s'il a besoin de l'ensemble de ces productions pour vivre.

L'action d'un directeur de centre s'inscrit dans une politique - d'où la nécessité de la connaître - et doit être évaluée au regard de cette politique. Mais il faut lui reconnaître une autonomie, qui va de pair avec une véritable responsabilité. La tentation existe pour certains conseillers culturels de récupérer à leur profit la fonction de directeur culturel, et d'en déposséder le légitime détenteur. Le danger alors devient la déviation de la politique culturelle au profit d'une administration marquée plus que d'autres par un état d'esprit où ce qui compte avant tout, c'est ce qui touche à la « Carrière ». Nous devons passer d'un Etat aristocratique où l'on joue pour soi à un Etat démocratique où ce qui prime avant tout, c'est l'action collective au service d'une politique que l'on doit s'efforcer de faire perdurer au-delà des aléas des nominations.

En matière de culture, dans une société médiatique, le danger est évident  : il tient à la tentation d'utiliser l'action culturelle comme un moyen de faire parler de soi en passant à la télévision ou en ayant sa photo dans les journaux. Dès lors, les choix se portent sur ce qui fera le plus de bruit, suscitera le plus de paillettes. Peu importe que ce soit éphémère pourvu que l'on en parle ! Or c'est justement le contraire que l'on souhaite : du travail en profondeur avec les autres, le développement d'un réseau non pas pour soi mais pour les causes que l'on défend - la pensée, la création, les droits de l'homme, la lutte contre les inégalités, la diversité culturelle...- autant de sujets qui ne peuvent être traités uniquement par des notes et des télégrammes.

Nous ferons brièvement remarquer que les questions soulevées ici pour les centres culturels se posent aussi à ceux qui interviennent dans le champ de la coopération technique. La problématique est la même. Comme l'indiquait un document de travail de décembre 2000 des représentants du personnel au conseil de surveillance de l'AFD, ce secteur doit être préservé « d'une navigation à vue, sans stratégie autre que de suivi de modes décidées dans d'autres forums ou issues du résultat temporaire de rapport de force entre ses tutelles ».

Notre réflexion sur l'autonomie des directeurs de centres culturels s'inscrit donc plus largement dans la question dans la question de la transformation du rôle de l'Etat et de la démocratisation de la société. La fonction de directeur d'un centre culturel a changé ces dernières années, un peu à l'image de celle du maire. L'un et l'autre ne peuvent plus venir devant les habitants d'une ville avec un programme bien ficelé comprenant 100 ou 200 propositions. Ils doivent au contraire venir avec des idées qui touchent directement les citoyens car elles sont au coeur de leurs préoccupations. Ces idées, bien sûr, il faut les illustrer et il convient d'expliquer comment ils entendent travailler, comment ils vont s'efforcer d'associer et de responsabiliser chacun.

La faiblesse du dispositif actuel réside dans le caractère incomplet et lacunaire de l'évaluation des centres culturels. Ce contrôle est assuré aujourd'hui par deux types de documents : le compte financier et le rapport d'activités. Le compte financier est censé donner une vue d'ensemble de l'activité et de l'établissement au cours de l'exercice ; il permet notamment de faire apparaître les conditions dans lesquelles s'est réalisé, en fait, l'équilibre des dépenses et des recettes. Quant au rapport d'activités qui accompagne le compte financier, il dresse le bilan des activités de l'établissement menées au cours de l'exercice et explique la manière dont elles ont été conduites, les objectifs recherchés et ceux réellement atteints. Il faut ajouter à ces documents les rapports de fin de mission et ceux de l'inspection générale.

Un tel dispositif de contrôle est difficilement utilisable parce qu'il manque de transparence, parce qu'il est incomplet - l'administration centrale a été incapable de nous fournir des statistiques sur les ratios d'activité des centres, faute de les avoir au préalable définis - et parce qu'il n'est pas conçu pour être utilisé comme un tableau de bord. Il serait souhaitable que chacun des centres culturels complète le rapport d'activité par un tableau annoté unique retraçant en chiffres l'activité et surtout la fréquentation de l'établissement au cours des cinq dernières années et que ce document soit rendu public. Un centre culturel fonctionne comme une petite entreprise, il devrait être normal et naturel que son équipe dirigeante ait un minimum de connaissances de gestion, ce qui est trop rarement le cas. Il est urgent qu'elle soit dotée des outils d'évaluation nécessaires qui permettent à la fois un jugement objectif sur l'efficacité du centre, sa capacité à remplir ses missions et qui contribuent à une amélioration de son offre.

2) Plus de professionnalisme et d'ouverture
La comparaison d'un centre avec une entreprise culturelle ne va pas sans conséquences sur la définition des profils du poste des équipes dirigeantes.

Les personnels des centres culturels et des instituts se divisent en deux catégories, les personnels rémunérés sur le titre III et les personnels recrutés locaux.

Les agents rémunérés sur le titre III occupent les fonctions d'encadrement des établissements à savoir les fonctions de directeur, directeur-adjoint, directeur de cours, chargé de mission culturelle, agents comptables... Ils sont au nombre de 700. Ils peuvent être soit titulaires de la fonction publique (et très majoritairement des agents de catégorie A), soit contractuels, soit coopérant du service national (197 sur 700). Cette dernière catégorie est appelée à disparaître avec la suppression du service national ; la mise en place du volontariat civil devrait permettre d'y remédier. Il faudra y veiller vite.

Ces personnels sont nommés par la direction des ressources humaines du ministère des affaires étrangères sur la base d'un contrat de la durée du détachement pour les titulaires de la fonction publique, ou à durée déterminée pour les contractuels. Les missions sont de deux ans renouvelables une fois dans un même poste. A l'issue des quatre ans, les agents peuvent postuler pour une deuxième mission dans un autre poste.

A côté de ces personnels rémunérés sur le titre III, les directeurs de centres et instituts peuvent recruter des agents soumis à la législation locale du travail. Le nombre de ces agents recrutés localement s'élèvent à 5841. Ils se répartissent en trois catégories : personnel de service, personnel administratif, personnel enseignant. Ils sont soit mensualisés (pour 3049 d'entre eux) soit vacataires (pour les 2432 restants). Leur situation est souvent très précaire et le contraste avec celle des personnels rémunérés sur titre III est parfois choquant.

Près d'un tiers des agents recrutés localement est de nationalité française dont 300 titulaires de la fonction publique.

Nous nous félicitons de l'importance des recrutés locaux, car nous y voyons plusieurs atouts. Au-delà de l'avantage budgétaire évident - un recruté local coûte beaucoup moins cher qu'un expatrié - il ne faut pas négliger celui que représente la possibilité de recruter des personnes connaissant le milieu local et pouvant mettre immédiatement à la disposition du centre leur expérience et leur réseau. Il serait faux de croire - et l'expérience des Alliances le montre - qu'un non-Français serait a priori moins efficace qu'un agent national pour la promotion de la culture française. Le choix du coeur provoque en matière culturelle tout autant de dynamisme et de dévouement que la nationalité.

Le recrutement des directeurs de centres est un élément important car de la qualité de ce recrutement dépend l'efficacité et le dynamisme du centre. La majorité des agents recrutés sur titre III est originaire de l'éducation nationale. Cette proportion s'élevait à 75% en 1997, ce qui est à l'évidence un pourcentage trop important.

Il est très difficile de tracer le profil type de ce que devrait être un directeur de centre culturel tant on lui demande de compétences : un savoir culturel éclectique bien sûr mais aussi des compétences de gestionnaire, d'animateur d'équipe, de négociateur et de communication. A l'évidence, la sur-représentation de l'Education nationale n'est pas justifiée, d'autant que la procédure de recrutement a pendant longtemps été dénoncée comme peu transparente - voire totalement opaque - et favorisant les choix discrétionnaires.

Depuis l'automne 1998 toutefois, une nouvelle procédure de sélection des candidats a été mise en place pour permettre une meilleure ouverture et professionnalisation des recrutements et assurer une meilleure transparence de cet exercice.

Tout d'abord, les profils de poste à pourvoir sont désormais publiés sur les sites Internet du Ministère des Affaires étrangères et du Ministère de l'éducation nationale (Bulletin officiel de l'Education nationale -BOEN- voir un exemple en annexe). En 1998, les profils publiés ne concernaient qu'une quarantaine de postes ; en 1999, ce sont tous les postes qui l'ont été. Pour l'année 2000, les profils des quelque 500 postes d'assistants techniques et de coopérants le sont également pour la première fois. Ils sont aussi diffusés parmi les personnels des ministères de la Culture, de l'Equipement, de la Justice, de l'Emploi et des Affaires sociales et de l'Agriculture. Une annonce a également été faite cette année par le Ministère des Affaires étrangères sur le site Internet de « La gazette des communes » à l'intention du réseau des collectivités locales.

Le Ministère de l'Education nationale a par ailleurs instauré depuis 1998 une présélection de ses propres agents.

Ces diverses mesures ont fait baisser la proportion des directeurs de centre issus de l'éducation nationale à 60%. Ce pourcentage est encore trop important à notre sens car les enseignants n'ont que peu d'expérience de gestion et ne connaissent souvent qu'une spécialité, à savoir la langue du pays qu'ils visent. Ce que l'on cherche, c'est moins des diplomates policés, formés à la rédaction de synthèses et de comptes rendus, ou des professeurs certifiés ou agrégés que des hommes et des femmes de projets, des producteurs de réseaux, des agitateurs d'idées ouverts sur la jeunesse et les cultures étrangères. Ce second profil doit aller de pair avec la capacité à gérer un établissement, mais il n'y a aucune contradiction à cela. Certes, on peut cumuler les deux profils, et l'ancien Président de notre Commission, M. Jack Lang, en est l'illustration la plus convaincante. Mais le second profil se rencontre sans doute plus aisément dans les milieux associatifs, les animateurs de centres dramatiques, les directeurs culturels des collectivités territoriales, les clubs culturels de toutes sortes et les entreprises. Il serait donc nécessaire de continuer une diversification du recrutement vers ces milieux. « En matière culturelle, le chaos est créateur », nous a un jour rappelé M. Bruno Delaye. Et les diplomates ou les professeurs sont plus connus pour préférer l'ordre au désordre, la prudence au risque, la réflexion à l'action.

Une carence importante dans la gestion des responsables des centres culturels est l'absence de formation professionnelle digne de ce nom. Tout ce que nous essayons d'expliquer sur ce que devrait être l'évolution du rôle des centres culturels suppose nécessairement un préalable : que leurs responsables connaissent la langue et la culture du pays, ce qui est loin d'être toujours le cas. Cela demandera de la part de l'administration centrale un effort important de gestion prévisionnelle des postes. Il faut arrêter de désigner des directeurs de centres quelques semaines seulement avant leur prise de fonction. Une telle désinvolture, outre qu'elle exprime clairement le manque de considération que l'on porte à ces fonctions, est source importante d'échecs. Il faut permettre à un directeur de centre de se préparer à ces futures fonctions en l'avertissant plusieurs mois à l'avance de son affectation.

Une réflexion approfondie devrait être lancée sur la formation des responsables en cours de fonction. En créant les Universités d'été de l'AFAA, M. Jean Digne avait pour objectif d'améliorer et approfondir la connaissance entre les acteurs culturels français et le réseau à l'étranger ainsi que de permettre à chacun des participants de renouveler ces contacts professionnels et personnels. C'est dans cette voie qu'il importe de travailler.

Nous l'avons déjà précisé, la durée de mandat pour un directeur de centre est au maximum de deux fois deux ans, avec une possibilité d'une seconde nomination dans un autre poste pour une même durée. Cela veut dire concrètement qu'au bout de huit ans maximum les personnes assurant ces fonctions doivent songer à leur reclassement. Une telle limitation de durée - que l'on pourrait toutefois porter à deux fois trois ans, ce qui était la situation antérieure ou encore à trois fois deux ans - est une garantie de renouvellement des agents. Cet avantage a bien sûr une contrepartie : l'obligation de se séparer de tous, y compris des meilleurs éléments à un moment où ils ont acquis une forte expérience. Nous estimons toutefois que le bilan de cette règle est au total positif et elle ne semble pas représenter un obstacle pour le recrutement. Une structure spécifique a au demeurant été créée à la Délégation aux relations internationales et à la coopération du Ministère de l'Education nationale pour améliorer les conditions de réintégration en France de ses fonctionnaires au terme de leur mission à l'étranger. Mais le fonctionnement de cette Délégation ne donne pas toute satisfaction.

Nous regrettons toutefois l'absence d'un organisme dans lequel le « corps » culturel à l'étranger - nous mettons le mot corps entre guillemets car celui-ci n'a aucune existence juridique - serait représentée pour évaluer, redéployer, réinsérer ou remettre en fonction des personnes trop souvent taillables, corvéables, et licenciables à merci. Un tel organisme contribuerait à une meilleure organisation du personnel du réseau culturel, un objectif qui ne semble pas prioritaire pour le Quai d'Orsay...

3) Plus de diversité et d'adaptabilité
De fait, le réseau des centres culturels est assez disparate comme le laisse entrevoir la diversité des appellations usuelles : institut, centre culturel, centre culturel et de coopération linguistique (CCCL), centre culturel et de coopération (CCC). Même si tous ces établissements à vocations pluridisciplinaires sont régis par le décret n°76-832 du 24 août 1976, la grande diversité de leurs statuts locaux ainsi que l'ancienneté de certains accords régissant les conditions de leur installation et de leur fonctionnement dans les Etats étrangers, imposent la tenue à jour, pour chaque établissement, de données précises pouvant servir de référence lorsque des questions de statut viennent à être posées, notamment au regard des règles d'emploi, de l'application du droit du travail, de la fiscalité, de la nature des activités culturelles et linguistiques couvertes par les accords, ou encore des questions touchant à la propriété et aux baux de location.

Le problème vient de ce que cette diversité ne correspond plus aujourd'hui à aucune logique. Le développement des CCCL à partir de 1993 puis des CCC à compter de 1996 correspondait à la volonté louable de réunir en une seule main la diffusion culturelle et linguistique ainsi que la coopération linguistique et éducative. L'objectif était de favoriser la déconcentration des crédits de coopération et la cohérence des interventions, et au surplus de générer des économies de personnel. Mais la réforme des structures issue de la fusion au 1er janvier 1999 des Ministères des Affaires étrangères et de la Coopération, ainsi que la réforme des procédures comptables à l'étranger vers une déconcentration accrue des crédits d'action extérieure tendent toutes deux à renforcer le rôle de l'Ambassadeur en en faisant l'ordonnateur secondaire unique des dépenses dans son poste et en lui donnant la capacité d'exercer pleinement sa mission de coordination et d'animation de l'ensemble des services de l'Etat dans le pays où il est accrédité, ce qui est une bonne chose. Dans ce nouveau contexte, le département ne donne plus suite depuis le début de l'année 2000 aux demandes d'élargissement des compétences de leurs établissements dotés de l'autonomie financière tendant à en faire des CCC.

Le risque nous apparaît grand d'une remise en cause de l'avancée qu'a constituée en 1993 la prise en compte dans une même main de la diffusion culturelle et linguistique et de la coopération linguistique et éducative. Le mouvement de déconcentration engagé par le Département au profit des chefs de postes ne doit pas se faire au détriment des directeurs de centres culturels, comme cela semble être aujourd'hui la tendance.

La recherche d'une diversité opérationnelle entre les centres doit être en prise directe avec le contexte géopolitique. Les besoins et les structures sont bien sûr différents selon les zones où sont implantés les centres culturels. Il est urgent de définir une stratégie politique pour chaque continent ou sous-ensembles régionaux, pays par pays, ville par ville. Des modulations doivent être prévues tant dans le contenu que dans les modes opératoires. Il existe de par le monde une quinzaine de villes qui peuvent prétendre être des lieux mondiaux de création culturelle ; nous nous essaierons à dresser une liste dans notre conclusion. Il est nécessaire que la France soit fortement présente dans ces lieux afin de faire connaître la création française et d'influencer les nouveaux courants.

Mais le renforcement de ces lieux ne doit se faire au détriment des autres centres culturels. Le nécessité d'un centre culturel français n'est pas plus ou moins importante dans une capitale d'un pays africain que dans un pays développé, elle est autre.

B - Les axes à privilégier

Ce dont les centres culturels ont aujourd'hui besoin, c'est avant tout d'une explicitation et d'une valorisation de leur rôle. Il faut en effet prendre conscience - y compris en France- du caractère extraordinaire que représente son réseau culturel pour notre pays. En cette époque où la promotion des nouvelles technologies est parfois considérée comme une réponse à tous les maux, certains voudraient faire croire qu'un site virtuel Internet sur la culture française traduit dans les principales langues pourrait avantageusement remplacer nos centres culturels et nos alliances françaises. Une telle perspective dénote un manque d'ambition pour la France et un reniement à l'égard de son histoire. On peut s'interroger sans fin pour savoir si la France est ou non une grande puissance économique ou militaire ; en revanche, la réponse ne souffre pas d'hésitation dans le domaine culturel dès lors que la France s'ouvre sur le monde, qu'elle révèle aux autres leur propre culture et coproduit avec eux. De la révolution des Lumières dans le domaines des idées à l'école de Paris dans celui de la peinture, la France a toujours jusqu'à ces dernières années assumé un rôle à la fois d'influence et d'attraction ; le génie français a toujours été alimenté par les créateurs venus d'ailleurs. Lorsque l'International Herald Tribune, quotidien de langue anglaise, a décidé de s'installer en Europe, c'est Paris qu'il a choisi. L'enjeu des années actuelles et futures est le maintien et la présence de ce rôle qui, si l'on ne change rien, disparaîtra totalement.
Nous voudrions indiquer quels sont selon nous les axes à privilégier.

1) Développer le partenariat
La revalorisation du réseau culturel passe par le développement du partenariat tous azimuts. Ce partenariat constituera la garantie de l'adaptation permanente de notre réseau aux problèmes et aux méthodes du monde actuel. Un centre culturel ne peut plus se contenter de répondre à des demandes d'aide qui leur sont adressées par des porteurs de projets. Il doit définir lui-même des projets et des méthodes d'action et chercher des partenaires culturels ou artistiques pour les mener à bien. Pour plagier une formule de Jacques Rigaud qu'il appliquait au mécénat (voir notamment Jacques Rigaud, « l'exception culturelle, culture et pouvoirs sous la Vème République », Grasset, 1995), il est temps de passer d' « une action culturelle de contribution » à une « action culturelle d'initiative ».

Si les centres culturels ont quelque chose à apprendre des Alliances françaises, c'est tout d'abord leur capacité à baigner dans le milieu local. Il faut en finir avec une conception obsolète d'une culture française à vocation universelle que nos centres culturels seraient chargés de diffuser au monde. La culture française ne se visite pas comme un musée ; certes, l'héritage culturel historique français est d'une richesse infinie et il est de la responsabilité des centres de faire connaître cet héritage. Mais la culture française n'est pas simplement une affaire du passé, elle est vivante et contemporaine, on le constate tous les jours, notamment par exemple dans le secteur de l'architecture ou de la danse.



Le rôle essentiel des centres culturels, qui s'exprime dans leurs différentes missions, est de privilégier le dialogue et les rencontres entre la culture française, passée et actuelle, et les cultures locales. Ce rôle nécessite que le centre culturel baigne dans la culture locale, qu'il s'en imprègne et qu'il y participe, qu'il mette en relation des institutions et des cultures. Le premier partenariat à développer est donc un partenariat avec les collectivités territoriales, les associations et les entreprises locales (maisons d'édition, théâtres...). Et si cela signifie que la culture française ne sera pas exclusivement - voire principalement - diffusée en français, il faut l'accepter et le souhaiter. Faisons preuve d'ouverture et de pragmatisme ; donnons aux étrangers des raisons actuelles d'aimer et d'apprendre à connaître la culture française. La motivation pour étudier la langue en sera d'autant plus forte.

Un autre partenariat à développer est celui qui concerne les collectivités territoriales et les entreprises françaises. Ce partenariat pourrait, au cas par cas, être développé, à condition que des moyens financiers puissent y être explicitement dédiés. L'AFAA s'y est essayée en créant deux types de club : le club des entreprises et le club des collectivités territoriales ; c'est un exemple à développer et à suivre. Il faudrait dans cette optique non pas privilégier les initiatives partant de Paris mais favoriser et aider les demandes spécifiques nées à l'étranger et les diriger sur d'éventuels partenaires, sollicités par exemple dans le cadre de coopération inter-régionales ou inter-communautés territoriales.

Une meilleure implication des collectivités locales dans la politique culturelle extérieure doit constituer une priorité. J'y vois au moins deux avantages : procurer un nouvel apport financier et sortir d'une atmosphère un peu trop « parisianiste » . Le vieux cliché selon lequel la France serait un désert culturel en dehors de Paris est aujourd'hui totalement dépassé. Il faut sans doute encore mieux faire connaître ce qui se crée en province, dans nos villes grandes et moyennes avec le soutien actif des régions.

Les collectivités locales consacrent aujourd'hui autant sinon plus d'argent que l'Etat à la culture. Elles sont au premier chef intéressées à ce que les projets spécifiques qu'elles élaborent puissent être également destinés à l'étranger pour un autre public local. Cela ne signifie pas que les collectivités territoriales doivent subventionner les centres culturels à la place de l'Etat qui se défausserait ainsi sur elles de ses responsabilités. Au contraire, un tel partenariat doit systématiquement déboucher sur plus de moyens. Notre souci est plutôt de valoriser ce que font déjà les collectivités locales, de donner à leurs actions un potentiel supplémentaire et une visibilité encore plus large. C'est une façon d'enrichir le dialogue de la France avec les cultures du monde, de contribuer à ce que M. Hubert Védrine appelait devant l'AFAA « cette polyphonie que nous souhaitons dans le monde de demain ».

Les centres culturels auraient également beaucoup à gagner à tisser des relations étroites avec les universités - et même les collèges et lycées -, renouant ainsi avec les origines de leur création. Certes, les universités entretiennent désormais des relations directes entre elles par delà les frontières. Mais il demeure de multiples possibilités de rôles pour les centres : une action de promotion de l'offre universitaire française, en association avec Edufrance ; un rôle de relais des universités françaises auprès de leurs homologues étrangères dans le cadre d'échanges, d'intégration de cursus ; la diffusion de recherches françaises dans des secteurs ou disciplines pour lesquels des contacts seraient utiles... Nos centres culturels doivent être capables d'intégrer la dimension universitaire en proposant la vision du monde de nos philosophes et sociologues.
Pour développer ces liens, il nous semblerait opportun de mettre à la disposition des grands centres culturels un attaché universitaire, de formation universitaire, à côté du directeur, par définition plus polyvalent. Rien de mieux en effet qu'un universitaire pour s'adresser à ses pairs, surtout s'il a été choisi également pour son dynamisme et son ouverture d'esprit !

Par exemple, M. Bernard Cassen a regretté devant nous l'effritement de nos positions en Amérique latine alors même qu'il existe de nombreuses opportunités pour la France d'affirmer sa présence face à l'hyperpuissance voisine. Il a rappelé le rôle important que jouait sur ce continent « Le Monde diplomatique » en apport de réflexions et confrontations de points de vue. Ne serait-il pas possible de s'appuyer sur le réseau des professeurs de français - souvent conjoints de cadres nationaux importants - en les alimentant en écrits sur les débats de société, tels qu'ils sont perçus et vécus en France ? Tous ceux qui, à des titres divers, s'intéressent, de l'étranger, à notre langue et à notre culture, attendent de nous des images certes, mais aussi de l'écrit et de la réflexion de fond. La France doit être partout présente dans les débats concernant les questions que les gens se posent ; son influence doit s'appuyer sur des réseaux susceptibles de relayer ses idées.

Bien sûr, ce partenariat peut prendre divers visages. L'un des plus prometteurs me semble être la signature de contrats Etat, région, ville et université comme j'ai eu l'occasion de l'expérimenter avec l'université de Nankin.

Enfin, le développement du partenariat doit impérativement prendre en compte la dimension européenne, sur le plan bilatéral et multilatéral. Beaucoup d'actions communes sont possibles pour intégrer la culture dans la construction européenne. Nous avons eu l'occasion de rencontrer des responsables du British Council et du Goethe Institut et avons pu constater que les problèmes qu'ils rencontraient étaient souvent semblables à ceux de nos centres culturels. Toute coopération entre eux - et notamment avec le Goethe Institut dont le réseau est très suivi - ne pourra être que fructueuse.

Il serait assez logique au demeurant que la volonté de coopération entre services diplomatiques et consulaires exprimés au niveau européen, et qui s'est traduite par différentes formules de gestion intégrée (Consulat franco-allemand à Calcutta par exemple) ou de partage d'installations matérielles, ait également une traduction concrète au niveau des centres culturels. Il nous semblerait très pertinent, dans certains pays asiatiques notamment, de créer et développer une formule de centres culturels européens qui présenteraient le double avantage de mobiliser des ressources plus importantes et de créer une dynamique culturelle européenne.

Il nous apparaît par ailleurs indispensable que les budgets conséquents dont disposent les délégations de la Commission européenne dans les pays tiers soient utilisés en concertation - et ce serait le moins - avec les ambassades des Etats membres. L'autonomie dont dispose la Commission en ce domaine est très choquante ; il y a là une voie de rationalisation et de d'efficacité importante à explorer.

2) Redéfinir la notion de centre culturel
Un centre culturel est trop souvent conçu comme une vitrine de la France avant d'être considéré comme un acteur du tissu local dans lequel il s'insère. L'amélioration de la visibilité du centre culturel sera d'autant plus grande qu'il saura se transformer en une véritable plate-forme d'échanges et de production, un lieu de rendez-vous ouvert aux cultures d'ici et d'ailleurs. Il faut rompre avec l'image d'une France donneuse de leçons. M. Jean Digne souhaitait que les centres culturels se transforment en « fabriques d'essai aux ressources multiples : techniques, logistiques, relationnelles, informatives... ». C'est vers ce dispositif qu'il faut tendre.

D'ores et déjà, beaucoup de centres culturels ont réorganisé leur bâtiment pour créer des espaces de rencontres et d'échanges, qui ne soient pas seulement limitées à la salle traditionnelle consacrée aux expositions. Nombreux sont les centres qui ont créé en leur sein des bars ou des cafés de France ; certains - beaucoup moins nombreux - y ont ajouté une librairie française, une boutique de produits de France ; d'autres encore accueillent un restaurant français, une agence de voyage spécialisée sur la France et organisent des soirées, que l'on n'hésitait pas à intituler rave-parties à Mexico. Ce dernier centre culturel va jusqu'à abriter dans ses locaux une école de mode et une autre de gastronomie. Certains centres accueillent également de jeunes artistes en résidence pour quelques semaines.

Bien sûr, tous les centres culturels ne peuvent accueillir autant d'équipements et ce dispositif n'est pas applicable dans son intégralité et à l'identique dans tous les contextes. Gardons-nous de faire tout et n'importe quoi et cette garantie repose sur la personnalité du chef de centre. Il faudrait tout au moins que les instituts situés dans les quinze grandes agglomérations qui comptent le plus en matière de création culturelle de par le monde puissent constituer ces prototypes de nouveaux centres culturels et tester ces nouvelles pratiques d'échanges et de confrontations, de mises en relation des acteurs français et étrangers. Dans ces villes, nous ne sommes pas actuellement au niveau ; il faudrait aujourd'hui y aller avec un plan quinquennal de développement à élaborer avec les centres culturels.

« La vitrine culturelle au pavillon national devrait laisser place à des formes inédites de connivences où chaque partenaire se sentirait chez lui tout en étant un peu ailleurs » souhaitait devant nous M. Jean Digne. C'est là un objectif pour les années à venir : redonner sens et vie à nos centres culturels, en faire des lieux de médiation et de confrontation animés, des foyers de création susceptibles d'attirer les jeunes générations des 18-30 ans.

Certains sont très réticents devant cette évolution car ils craignent le risque de « phagocytage » ou de dilution de l'action du centre culturel. Cette crainte ne nous apparaît pas justifiée, dès lors que notre action s'inscrit dans un projet politique fort. Ce n'est pas du « saupoudrage » que nous préconisons, mais au contraire des actions visibles et permanentes qui nous feront considérer comme un partenaire imaginatif et fiable.

3) Identifier une tête de réseau
La revalorisation du réseau culturel passe nécessairement par une refonte de l'organisation et des moyens. Il est nécessaire d'identifier clairement une instance de commandement et d'élaboration d'une stratégie qui n'apparaît pas aujourd'hui.

En ce qui concerne l'organisation, la principale faiblesse à laquelle il conviendrait de remédier est celle de l'interministériel. Alors que l'action culturelle extérieure devrait être un domaine partagé entre les Ministères des Affaires étrangères, de la Culture, de l'Education nationale, de la Recherche, le Quai d'Orsay veille jalousement à conserver un quasi-monopole en la matière. Les tentatives de rapt n'ont cependant pas manqué, de Malraux en 1959 à Jack Lang dans les années 80, mais elles ont toutes échoué. M. Michel Debré explique dans ses Mémoires le refus qu'il a opposé à Malraux : « Je n'ai pas voulu céder à sa demande de lui confier la direction des Affaires culturelles qui demeure au Quai d'Orsay, car il me paraît indispensable de conserver l'unité de notre action à l'étranger. Son génie n'a pas besoin de ces services pour affirmer la présence culturelle de la France hors de nos frontières ! ». L'argument, toujours repris, de la nécessaire cohésion de notre diplomatie, dont l'action culturelle ne serait qu'une modeste partie, a servi abondamment pour maintenir la suprématie du Quai d'Orsay. Encore aujourd'hui, ce dernier est prompt à alléguer certain arrêté du 22 Messidor an VII - dont M. Xavier North a écrit non sans humour qu'il est « à la diplomatie ce que le droit divin était à la noblesse d'Ancien régime »- pour se réserver l'exclusivité des rapports avec l'étranger et exiger un entier contrôle de l'ensemble des moyens de l'action extérieure.

Cette situation d'exclusivité est parfois dommageable car elle entraîne par réaction des comportements de contournement de la part des autres ministères et des collectivités locales essayant malgré tout, par le truchement d'associations diverses, de mener des actions de coopération culturelle.

Le renforcement de l'interministériel pourrait prendre de multiples visages : création d'une délégation interministérielle à l'action culturelle extérieure, mise en place d'un Haut conseil à l'action culturelle à l'étranger qui associerait les représentants de la société civile, ou encore constitution d'une Agence en charge des centres culturels à l'étranger et des alliances françaises associant au sein de son conseil d'administration les divers ministères concernés, ou plus simplement encore, maintien de la structure actuelle mais mise en place de procédures identifiées de concertation. Il ne nous appartient pas de trancher en la matière. Le pragmatisme doit primer mais il faut que le Quai d'Orsay, qui met volontiers en avant les risques de dilution de responsabilité qu'entraînerait toute remise en cause de ses compétences, fasse preuve de plus d'ouverture et de concertation à l'égard des autres ministères.

CONCLUSION

Nous avons essayé dans ce rapport de souligner une urgence de redonner à notre réseau culturel une dynamique et une cohérence, de l'animer d'un nouveau souffle qui lui donne la possibilité de promouvoir une vision actuelle et vivante de la culture française. La notion d'exception culturelle, inventée par la France pour exprimer sa philosophie de la culture et combattre une approche purement commerciale, doit aller de pair avec une ouverture au monde qui fit jadis la grandeur de la France. « Sinon, prédit Jacques Julliard, nous deviendrons un pays de petits frileux rabougris, ou un dernier carré de souverainistes quinteux tisanneront leurs imparfaits du subjonctif dans l'indifférence de l'univers ».

Notre mode de fonctionnement est, par certains côtés, une pesante machinerie qui se retourne parfois contre la culture et la stérilise. « La propagande  culturelle, en prétendant le  promouvoir, écrase le principe du rayonnement français. » écrivait M. Marc Fumaroli dans son ouvrage déjà cité sur l'Etat culturel. « Or c'est ce naturel français éclipsé, c'est sa capacité traditionnelle de répondre avec esprit au défi des modernités successives, que le monde souhaite reconnaître et retrouver en France, dont le monde a besoin. Un énorme bonnet d'âne bureaucratique nous stérilise et paralyse, loin d'être notre émanation et notre manifestation ». Certains voudraient en conséquence tailler dans ce réseau et proposent la fermeture de divers centres. C'est là une attitude de courte vue qui revient à « jeter le bébé avec l'eau du bain ». Les centres culturels et les Alliances françaises constituent un privilège de puissance que la France aurait tort de vouloir détruire. Le véritable défi est d'introduire des méthodes plus souples, une organisation plus décentralisée, des démarches plus spontanées et les moyens financiers correspondants aux projets politiques.

Le nouveau directeur général de la coopération internationale et du développement, M. Bruno Delaye, nous a fait part de sa détermination pour actualiser le fonctionnement des centres culturels, pour lancer un nouveau projet avec l'intervention directe des personnels concernés et pour retrouver ensemble le dynamisme auquel ils aspirent. Nous lui faisons confiance et espérons qu'il trouvera dans ce rapport quelques idées à reprendre et mettre en application.

L'ancien directeur général, M. François Nicoullaud, a vécu une dure période de réformes. Il faut saluer le courage du Ministère des Affaires étrangères et de ses fonctionnaires d'avoir ainsi osé apporter une pierre à la réforme de l'Etat. Une étape a été franchie, il faut maintenant aller jusqu'au bout. Il faut désormais donner du sens, du contenu à un projet si l'on ne veut pas qu'il demeure à un stade purement institutionnel et ouvre la porte aux coupes budgétaires. Le Gouvernement, par la voix du Premier ministre et des Ministres, ont déjà fait part d'un certain nombre d'idées ; la traduction reste à faire pour les inscrire dans un projet lisible.

Vous l'avez certainement compris, ce rapport a été écrit avec la volonté de mettre en cohérence le discours, les ambitions avec les actes. La réforme, c'est désormais définir une démarche avec les acteurs eux-mêmes, c'est construire. Jusqu'à maintenant, on a trop donné le sentiment qu'on remettait en cause, qu'on demandait plus sans définir quoi et avec quels moyens. Pour réussir le renouveau de l'action culturelle extérieure, il faut d'abord être crédible à l'intérieur du réseau et démontrer à l'extérieur que l'on sait bouger, créer, avancer en accord avec un monde qui bouge, crée, avance.

Faisons confiance à tous ceux qui composent le réseau, associons-les vite au projet, mobilisons les sur des objectifs clairs et explicites, et l'on verra que nous détenons les meilleures des ressources, celles des compétences et des passions au service d'une belle cause.

En guise de conclusion, nous rappellerons une dernière fois les recommandations sur lesquelles nous avons insisté tout au long de ce rapport, les actions prioritaires qu'il nous semble aujourd'hui urgent d'entreprendre :

1. Rédiger le texte fondateur d'une politique culturelle extérieure. Ce texte devra réaffirmer les ambitions de la France et les préciser. Il ne devra pas se limiter à définir quelques axes de coopération avec les pays étrangers mais définir un projet politique : pour la France bien sûr, mais aussi pour sa jeunesse et pour l'Europe. Il devra définir le rôle nouveau que la France entend jouer dans le monde d'aujourd'hui. On peut certes considérer que ce texte est de niveau ministériel - et il a déjà en partie été élaborée par les interventions successives de M. Hubert Védrine - mais il faudrait que son contenu fasse l'objet d'une communication du Gouvernement au Conseil des Ministres, de préférence avant l'été, ou à la rentrée de septembre. Le Premier ministre pourrait ensuite le présenter solennellement au réseau lors d'une rencontre réunissant l'ensemble des conseillers, des directeurs de centres culturels et des alliances françaises.

2. Elaborer le projet du réseau culturel. Ce travail est bien sûr de la compétence de la Direction générale de la coopération internationale et du développement mais cet exercice n'aura d'intérêt que s'il est l'expression d'une démarche radicalement différente de ce que l'on fait d'habitude : il devra être l'expression du réseau lui-même. La méthode d'élaboration est une question essentielle : ce projet devra être arrêté en commun et mettre en son coeur les moyens humains. Nous insistons tout particulièrement sur ce point, ce projet devra être le projet du réseau et non un projet pour le réseau, le tout bien sûr dans le respect du cadre politique défini précédemment. Le temps du projet sera ainsi celui de la remobilisation et de la rénovation.

3. Organiser une tête de réseau de façon plus lisible et plus forte. La tête du réseau, c'est à la fois du politique et de l'opérationnel. Pour être politique, cette tête de réseau devra être composée de personnalités reconnues, diversifiées, à la fois de terrain et de réflexion. Pour être opérationnelle, cette tête de réseau devra être une « mission » en prise directe avec l'ensemble des partenaires concernées : ministères (affaires étrangères, culture, éducation, équipement,...), collectivités territoriales, entreprises, syndicats, Europe, UNESCO, agences et instituts nationaux et internationaux. La position de cette mission dans l'organigramme administratif m'apparaît secondaire : elle peut être placée indifféremment auprès du Premier ministre, du Ministre des Affaires étrangères ou du Directeur de la coopération internationale et du développement, cela a peu d'importance. Ce qui lui faut en priorité, c'est un minimum de moyens et de crédibilité.

4. Etablir un audit complet de notre réseau culturel en termes de moyens physiques et de personnel. Construire un plan de redressement financier pour les cinq années à venir sur une base minimum de 500 millions de francs de mesures nouvelles.

5. Clarifier les rôles. J'ai déjà longuement insisté sur cette question dans le corps de ce rapport : il importe de savoir qui fait quoi., en responsabilisant au maximum les directeurs de centres. Il faut que chacun connaisse la règle du jeu qui ne peut être fondée que sur un double principe : le principe d'autonomie et le principe de responsabilité pour les directeurs de centre culturel. Il y a urgence à intervenir en la matière si l'on ne veut pas décourager les meilleurs.

6. Moduler volontairement les modes, types et géographie d'intervention des centres culturels en fonction des continents, des pays et des villes. A un certain moment, il faut viser le sur mesure. Qui peut-nous dire aujourd'hui en quoi consiste notre politique culturelle en Europe, en Allemagne ou en Afrique ? Là encore, pour faire cet exercice, il faut aller sur le terrain, parler aux responsables du réseau mais aussi aux interlocuteurs étrangers afin de définir une stratégie régionale adéquate. Je sais que l'on a déjà commencé à le faire, c'est une pratique qu'il convient de systématiser et généraliser. L'étude des missions des centres devraient permettre d'établir une typologie qui distinguerait, par exemple :

- les établissements symboliques (voir ci-dessous) ;
- les antennes en milieu universitaire destinées à séduire les futurs décideurs là où ils sont, c'est à dire les universités et les grandes écoles, et centrées sur un ensemble associant un centre de ressources (médiathèque) et un lieu convivial ;
- les maisons de coopération culturelle installées dans les pays de la zone de solidarité prioritaire, dans lesquels l'absence de structure locale nous oblige à une présence forte, et qui développeraient des gammes d'activités allant de l'enseignement du français dans les pays où c'est utile à l'organisation de spectacle, tout en servant de relais aux diverses formes de coopération souhaitées par le poste ;
- les antennes culturelles légères à vocation spécialisée qui compléteraient le dispositif dans certains pays, dans certaines villes à vocation marquée.

7. Identifier la quinzaine de villes au monde où la création culturelle est très forte (Rio, Sao Paulo, Mexico, New-York, San Francisco, Los Angeles, Chicago, Montréal, Berlin, Munich, Francfort, Londres, Milan, Barcelone, Madrid, Shanghai, Bangkok, Moscou, Saint-Pétersbourg, Tokyo, Hongkong, Sydney...) et calibrer nos centres à un niveau qui leur permette d'être réellement à la hauteur. Plutôt que de fermer les yeux sur ces enjeux majeurs en réduisant chaque année leurs moyens budgétaires, sachons être lucides et aller jusqu'au bout de notre discours en mettant en place les outils et les moyens pour agir comme un vrai partenaire, reconnu comme tel par nos interlocuteurs étrangers. Ces centres « symboliques » constitueraient les relais opérationnels de nos services selon une gamme d'activités plus ou moins complètes, allant des cours sur objectifs aux programmes culturels organisés « hors les murs ».

8. Identifier les champs d'action et les partenaires. La politique culturelle, comme la politique environnementale, doit s'appuyer sur la connaissance des milieux et la gestion des ressources. Il s'agit de répondre aux questions que nous avons soulevées dans ce rapport, dont nous ne rappelons ici que les principales. Comment associer le monde universitaire et sur quels domaines ? Quel type de partenariat construire avec les régions, les villes (écriture d'une charte) et l'UNESCO ? Comment la France conçoit-elle sa politique culturelle en articulation avec sa dimension européenne ? Comment, au-delà de l'AFAA, mieux connecter les centres culturels avec la création contemporaine, grâce notamment à une meilleure association avec les grands musées, les établissements comme La Cité des Sciences ou le Palais de la Découverte ? Comment mieux intégrer les champs scientifiques et techniques ? Comment travailler efficacement sur le patrimoine urbain et la gestion des villes ?

9. Animer et faire vivre le réseau des centres en lui fournissant les informations dont il a besoin, par exemple : le fichier des étudiants français dans les universités étrangères, le fichier des anciens et actuels étudiants et boursiers étrangers en France, le fichier des étudiants en thèse dont le sujet intéresse directement un pays, le fichier des professeurs de français dans les pays étrangers.

Telle est l'ossature du plan d'action que nous proposons au ministère des Affaires étrangères et à la DGCID. A eux maintenant d'aller plus loin. Encore une fois, il est inadmissible que l'on en soit à gérer un repli de notre réseau alors que la priorité nous semble au contraire de le densifier dans des pays à privilégier délibérément.

Juillet 2008

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