Plaidoyer pour le réseau culturel français à l'étranger
Par Yves Dauge
« Abandon »,
tel est le mot qui revient le plus souvent dans la bouche des acteurs
de notre réseau culturel pour qualifier la situation de notre réseau de
centres à l'étranger. La sévérité de ces propos en interne contraste
avec l'appréciation généralement flatteuse que l'on entend
habituellement sur l'importance de ce réseau culturel, sa singularité,
son unicité. Alerté de ce dur jugement porté - du moins en privé car
leur statut ne leur permet pas de récriminations ouvertes - par ceux-là
même qui chaque jour s'efforcent de faire partager leur amour de la
culture française, j'ai voulu comprendre les raisons de ce
désenchantement.
A l'heure des satellites, des bouquets
télévisuels, de l'Internet, existe-t-il encore des missions pour un
dispositif culturel à l'étranger ? L'internationalisation de nos
sociétés, la banalisation des voyages - la France accueille par an plus
de soixante millions de visiteurs qui en profitent pour aller voir qui
une exposition, qui une pièce de théâtre, qui un opéra...- ,
l'intensification des relations bi- et multinationales dans tous les
secteurs d'activité, renforcent encore cette interrogation. Les
professionnels de la culture se rencontrent désormais par delà les
frontières sans même que les centres culturels soient tenus informés de
ces échanges. Les liens sont désormais multiples ; ils se forment
au hasard des déplacements et des communications. La chute du mur de
Berlin a donné le coup de grâce aux dernières relations
institutionnelles monopolistiques.
Toutes ces évolutions du
contexte international, liées à ce que l'on appelle « la
mondialisation » - avec tout ce que cette notion contient
d'ambiguïté -, conduisent à s'interroger sur la place et le rôle de
notre réseau culturel à l'étranger, ainsi que sur ses moyens d'action.
Peut-on lui donner d'autres perspectives, en dépit bien sûr de toutes
les dénégations de façade, que celles de gérer son déclin ?
A
l'évidence, notre mission d'information a été bien accueillie par les
directeurs de centres culturels, dont beaucoup ont spontanément tenu à
m'apporter leurs témoignages. De ces multiples dialogues - parfois sous
haute surveillance ! - noués au cours de diverses missions, ou au
hasard de mes déplacements à l'étranger, je retiens d'abord
l'expression d'un réel malaise mêlé de révolte. Ce malaise m'apparaît
d'autant plus important à prendre en considération qu'il touche
généralement des hommes et des femmes d'un dynamisme sans pareil,
habitué à construire à partir de « bouts de ficelles » - et
j'ai vu sur le terrain que cette expression devait parfois être prise
au sens propre - et à susciter les synergies les plus fécondes. Ce
n'est pas du « blues » d'une technocratie - ce qu'elle n'est
pas - déstabilisée par les changements de leur environnement dont je
veux vous entretenir mais bien plutôt de la tristesse et de la
lassitude d'hommes d'action, ressentant durement leur isolement et leur
paupérisation sous une tutelle parfois futile, souvent décalée et
tatillonne, et se désespérant de voir la France gaspiller ses atouts.
« Pour
ce qui est de la culture, il ne faut pas donner l'impression que nous
ne serions là que pour perpétuer le rayonnement d'une étoile éteinte ou
dont le feu décline » écrit le Ministre des Affaires étrangères,
M. Hubert Védrine dans son dernier ouvrage (Les cartes de la
France, Fayard, 2000, p. 45). Or, c'est justement l'impression que la
France donne souvent à l'étranger : un pays de culture certes,
mais d'une culture plus passée que présente, plus figée que vivante,
plus traditionnelle que créative.
Ce rapport, en ces temps de
ralliement à la mondialisation accélérée et de menace d'uniformisation
culturelle, atteindra son objectif s'il attire l'attention sur les
difficultés et les besoins de ceux qui se battent pour maintenir une
diversité culturelle et répondre du mieux possible au désir de France
qui s'exprime sur tous les continents, dans les plus grandes villes du
monde, et tout spécialement dans celles des pays les plus pauvres.
J'ai
choisi de centrer ce rapport sur le fonctionnement des centres
culturels, ce qui nous a amené bien évidemment à aborder la question de
leurs relations avec les Alliances françaises sans toutefois consacrer
à ces dernières une étude détaillée. Ce choix s'explique, non que je
sous-estime le rôle des Alliances, mais parce que, bien au contraire,
je suis convaincu qu'elles constituent un élément majeur de notre
dispositif culturel à l'étranger qui justifierait en lui-même un
rapport complémentaire.
Que l'on ne se trompe pas sur mes
intentions : le but de ce rapport n'est pas de dénoncer et sanctionner.
Il se veut au contraire une contribution positive à la politique
ambitieuse du Ministre des Affaires étrangères en matière de
coopération culturelle. Il prône une clarification des rôles des uns et
des autres et aborde la question très difficile de la réforme de
l'Etat. Le ministère des Affaires étrangères a eu le mérite d'engager
une réforme de son administration ; il lui faut maintenant
l'approfondir pour la faire aboutir. La volonté politique est là, mais
elle ne saurait suffire ; toute réforme est aussi une question de
savoir-faire.
Avant de présenter mes propositions pour essayer
de susciter un nouveau souffle, j'établirai un constat de l'existant
afin de mieux comprendre comment et pourquoi, dans nombre de centres
culturels, le découragement menace de remplacer ce qui était ferveur et
foi dans l'action culturelle de la France.
I - UN RÉSEAU MENACÉ BIEN QU'À FORT POTENTIEL
A - Un réseau d'une réelle richesse
Elle
est lointaine, l'époque où venaient enseigner à Paris les meilleurs
esprits de la Chrétienté et y étudier les jeunes gens de toutes les
nations d'Europe, celle où l'influence culturelle de la France était
assurée par l'essaimage de ses artistes et intellectuels, réclamés par
les cours étrangères : Diderot en Russie, auprès de Catherine
II ; Voltaire à la cour de Prusse, conseiller de Frédéric II...
C'était l'époque - qui dura peu ou prou jusqu'à la veille de la
première guerre mondiale - où le « génie artistique
français » était reconnu de tous, où la vocation universelle de la
culture française allait de soi.
Certes, écrivains et penseurs
français font encore recette à l'extérieur de nos frontières -notamment
dans le domaine des sciences humaines- et de nombreux artistes et
créateurs étrangers continuent de venir trouver inspiration et
consécration en France. Mais Paris n'est plus l'unique nouvelle
Athènes : nombreuses sont les capitales mondiales qui peuvent
légitimement prétendre rivaliser avec elle comme foyer international de
création et de diffusion culturelle. Il est devenu de moins en moins
fréquent - chacun d'entre nous peut s'en rendre compte au cours de ses
voyages - que les élites étrangères aient une connaissance approfondie
de la langue, de la culture et du savoir-vivre français.
1) Un réseau hérité du passé Contre
le déclin de son influence, la France a mis en place - et ce
relativement tôt - un dispositif de défense et d'expansion culturelles
à l'étranger. Ainsi que le dénonce M. Marc Fumaroli dans son pamphlet
- expression d'une vision souvent passéiste - sur « l'Etat
culturel » (Editions de Fallois, 1992) cette nécessité de créer un
outil administratif a d'autant mieux été perçue qu'elle s'inscrivait
dans un contexte de défaite : "Ce fut d'abord un rêve
d'intellectuels, s'éprenant d'un Etat fort, l'image inversée de la
IIIème République jugée aboulique et divisée. Ce fut ensuite une
compensation officielle à la défaite de 1940, puis à la retraite de
l'Empire, et un rempart fictif contre la contagion des moeurs et des
loisirs américains". Faute de pouvoir s'appuyer sur la grandeur
militaire, la puissance économique, et le rayonnement des Lumières, la
défense du « rang » de la France dans le monde est passée par
une politique de promotion et d'exportation massive de la culture
française à l'étranger.
Mais cette nostalgie d'un passé glorieux
n'est pas la seule explication recevable. A la fin du XIXème siècle,
alors que s'exacerbent les rivalités des grandes puissances, la culture
et la langue françaises deviennent des enjeux d'influence politique.
Pendant le premier conflit mondial, les impératifs de la guerre
psychologique et le contrôle des médias, puis la montée des idéologies
pendant l'entre deux guerres justifient une action culturelle
volontariste, permettant à la France de faire valoir ses conceptions de
la démocratie et de la société.
La France a effectivement
derrière elle une histoire de diplomatie culturelle suffisamment riche
pour qu'il ne soit pas inutile - même si ce n'est pas là l'objet de
notre rapport - de rappeler les principales étapes. Certains
commentateurs malicieux font remarquer au demeurant que le
développement du dispositif administratif chargé de garantir la
promotion de la culture française a été inversement proportionnel au
rayonnement effectivement exercé.
Les centres culturels français
trouvent leur origine, au début du siècle et entre les deux guerres
mondiales, dans les antennes qu'ouvrirent à l'étranger les universités
françaises - Grenoble à Prague et Milan, Toulouse à Barcelone...- afin
de permettre à leurs étudiants et chercheurs spécialisés de continuer
leurs travaux dans le pays étudié. Ces antennes, qui prirent
communément le nom d'institut, étaient chargées de surcroît d'organiser
des conférences à destination des étudiants étrangers, voire des cours,
notamment de littérature et de civilisation françaises. C'est ainsi, et
ce ne sont là que quelques exemples, que furent créés l'Institut de
Florence en 1908, celui de Londres en 1910, celui de Lisbonne en 1928
ou encore celui de Stockholm en 1937. Mais très vite, les nombreuses
nominations de lecteurs - comme Raymond Aron à Cologne en 1930 -
et de professeurs détachés directement auprès des universités
étrangères distendirent les liens entre centres et universités et
encouragèrent les premiers à s'émanciper de la tutelle de ces dernières.
Après
la Libération, et plus précisément entre 1946 et 1948, de nombreux
instituts, que l'on pourrait qualifier de seconde génération, furent
chargés spécifiquement de la diffusion de la langue et de la
civilisation françaises à l'étranger. Ils s'installèrent principalement
au Moyen-Orient (Beyrouth, Téhéran...) et en Europe (en Allemagne
notamment).
Ces créations s'inscrivaient dans un mouvement plus
global de renforcement de notre dispositif diplomatique culturel. Une
puissante Direction générale des relations culturelles et des oeuvres
françaises à l'étranger remplaça en 1945 le modeste Service des oeuvres
françaises à l'étranger qui avait vu jour en 1920 au sein du Ministère
des Affaires étrangères. Les premiers postes de conseillers culturels
en ambassade furent créés en 1949. Ce dynamisme fut soutenu par une
ambition clairement exprimée dans le premier rapport d'activité de la
Direction générale : « démontrer la vitalité de la pensée
française à travers les épreuves subies ».
Mais
ce renouveau ne fut pas le fait de la seule sphère étatique. L'Alliance
française, fondée en 1883 sur l'initiative de personnalités françaises
afin de regrouper dans les pays étrangers les « amis de la
France », était sortie considérablement affaiblie de la guerre.
Elle avait pourtant su, depuis sa création, développer de nombreux
comités locaux dans plus d'une cinquantaine de pays, sous l'égide
morale et intellectuelle de l'Alliance française de Paris. La paix
rétablie, et avec l'aide financière de l'Etat, l'Alliance française va
conforter et développer son réseau, notamment en Amérique latine. M.
Maurice Bruézière dans son livre consacré à l'histoire de l'Alliance
qualifie « d'ascension irrésistible » la période 1950-1967.
2) Un réseau très étendu Aujourd'hui,
si l'on met à part la fonction de conseiller culturel en ambassade, ce
que l'on appelle traditionnellement le réseau culturel de la France à
l'étranger est composé d'une double structure : le réseau des
établissements culturels et celui des Alliances françaises.
Le
réseau des établissements culturels était composé au début de l'année
2000 de 151 établissements répartis dans 91 pays. D'un point de vue
juridique, ces établissements, qui ne possèdent pas la personnalité
morale, sont considérés comme des services extérieurs du Ministère des
Affaires étrangères. Créés par arrêté interministériel (Affaires
étrangères et Budget) publié au Journal officiel, ils sont dotés de
l'autonomie financière. Si l'on veut avoir un tableau complet de ce
réseau, il ne faut pas oublier les 68 établissements annexes qui
ne bénéficient pas de l'autonomie financière ainsi que les 4 centres
culturels franco-étrangers créés dans le cadre d'accords de coopération
entre la France et les pays où ils sont implantés (Guinée Conakry,
Mozambique, Namibie et Niger).
Le tableau joint en annexe 1
illustre le déséquilibre géographique dans la répartition de ces
établissements. L'Europe, avec 50% des centres - dont 30% en Union
européenne - est bien représentée, de même que l'Afrique du nord (10%
des centres). En revanche, le continent asiatique est délaissé (moins
de 9% des centres) et le continent américain - terre des Alliances
françaises - ignoré (seulement un établissement en Amérique du nord et
six en Amérique latine et Caraïbes). Cette répartition est un héritage
de l'histoire : la carte n'a que marginalement évolué depuis les
années cinquante. Elle reflète encore trop aujourd'hui les
préoccupations et les priorités d'hier. L'exemple le plus extrême est
probablement celui de l'Allemagne qui compte à elle seule
19 établissements culturels sur les 43 répartis en Union
européenne. Cette prolifération s'expliquait par la volonté d'assurer
une forte présence française en Allemagne de l'Ouest au lendemain de la
guerre afin de l'ancrer du côté des démocraties occidentales. Cela pose
aujourd'hui un certain nombre de questions d'autant que la répartition
des centres culturels sur le territoire allemand est devenue
déséquilibrée depuis la réunification. Un plan d'adaptation de ce
réseau est actuellement à l'étude sans cependant qu'une vision
politique claire n'ait été définie au niveau interministériel. On ne
peut aborder la question du réseau allemand en terme purement
quantitatif ; il faut bien sûr tenir compte à la fois des
structures institutionnelles allemandes et des spécialités des villes
et Länder. Proposer simplement de réduire le nombre de centres serait à
l'évidence une solution inadaptée alors même que l'on souhaite
développer les relations bilatérales franco-allemandes.
Mais il
est évident que pour apprécier la répartition géographique des centres
culturels, il convient de tenir compte de sa complémentarité avec le
réseau des Alliances françaises. Nous l'avons brièvement évoqué, dans
de nombreux pays - au total une cinquantaine, principalement en
Amérique latine et en Asie - il n'y a pas, actuellement d'autres
opérateurs susceptibles de relayer sur le terrain l'action culturelle
française. Plutôt que d'implanter des centres dans ces régions, il a
été jugé plus simple, plus efficace - compte tenu de l'insertion
souvent remarquable des Alliances - et moins onéreux de renforcer
l'effort d'association des Alliances à l'action des postes
diplomatiques : par l'établissement d'un partenariat basé sur des
conventions d'objectifs complétées par des avenants annuels précisant
les engagements de chacun ; par un recrutement et une formation
des agents, analogues à ceux définis précédemment pour les directeurs
de centres ; par une politique systématique d'information et de
formation des dirigeants des Alliances françaises conventionnés.
Le
réseau des Alliances françaises s'étend à 138 pays et comprend 1098
établissements qui sont autant d'associations culturelles de droit
local, à but non lucratif, et qui pour l'essentiel s'inspirent de
l'esprit de la loi française dite de 1901. Chaque Alliance possède
à sa tête un comité élu comprenant exclusivement des nationaux, ce qui
lui permet d'oeuvrer en étroite collaboration avec la société et les
institutions locales. Le label « Alliance française » est
octroyé après accord de l'Alliance française de Paris, avec laquelle il
n'existe pas de liens juridiques formels mais à qui est reconnue une
autorité morale. Dans certains pays, les différentes Alliances se
regroupent en une Fédération nationale, avec à sa tête un président
élu, afin de mieux coordonner leurs diverses activités et assurer une
meilleure visibilité auprès de leurs partenaires.
La création
d'une Alliance française s'organise habituellement à partir d'une
démarche spontanée locale, émanant d'un certain nombre de personnes
francophiles, mais pas nécessairement francophones. Il ne revient donc
pas au Ministère des Affaires étrangères de créer et encore moins de
supprimer une Alliance française. Toutefois, ce dernier est susceptible
d'encourager le phénomène de création par la mise à disposition de
personnel et/ou l'attribution d'une subvention de fonctionnement.
263 Alliances sont ainsi liées avec le Ministère des Affaires
étrangères dans le cadre de conventions de partenariat, et reçoivent
son aide en contrepartie.
Cette première approche permet déjà de
ressentir les principales caractéristiques du réseau culturel
français : double nature, un nombre d'établissements important,
liens très étroits avec l'Etat - y compris pour les alliances -,
stabilité de la carte des implantations. Cette originalité apparaît
d'autant plus grande quand on établit une comparaison avec les réseaux
étrangers similaires, lorsque ces derniers existent.
En effet,
quelques pays seulement peuvent prétendre disposer d'un véritable
réseau culturel international qui rappelle celui de la France :
les Etats-Unis avec le United States Information Agency, l'Allemagne
avec le Goethe Institut et la Grande Bretagne avec le British Council.
Tant les USIA - 200 centres présents dans 143 pays - que le Goethe
Institut - 127 centres répartis dans 75 pays - ou que le British
Council - 160 implantations dans 109 pays - bénéficient du statut
d'agences et disposent en droit et dans les faits d'une plus grande
autonomie par rapport à leur administration respective dont ils ne sont
pas des émanations directes. Moins étoffé, le réseau des instituts
culturels italiens compte 90 établissements, répartis dans 61
pays. Quant à l'Espagne, elle a créé en 1992 les instituts Cervantès
dont le nombre demeure encore modeste : 38 instituts répartis
dans une vingtaine de pays.
3) Un réseau aux multiples fonctions Les centres culturels remplissent traditionnellement quatre fonctions que nous allons rapidement examiner et commenter.
·
La première fonction, la plus connue, est celle d'enseignement du
français : contribuer, comme le précise l'arrêté du 30 avril
1999,"à l'emploi de la langue française par l'apport de méthodes,
d'instruments et d'expertise appropriés". C'est souvent la fonction qui
occupe la plus grande partie des locaux et des personnels, et la taille
d'un institut est couramment appréciée par le nombre d'élèves inscrits
aux cours de langue. Les cours proposés sont généralement des cours
généralistes (en très grande majorité) mais certains instituts
s'efforcent de développer des cours en direction de publics spécialisés
(chefs d'entreprise, hauts fonctionnaires, responsables politiques).
Les centres ne délivrent eux-mêmes aucun diplôme mais préparent au
Diplôme d'études en langue française (DELF) et au Diplôme approfondi de
langue française (DALF) destinés aux personnes de nationalité étrangère
et délivrés par le Ministère français de l'Education nationale.
Certains avantages - peu nombreux à vrai dire - sont reconnus à la
possession du DELF ou du DALF, dont la dispense du test
linguistique d'accès aux universités françaises.
La DGCID n'a
malheureusement pas été en état de nous procurer, en dépit de notre
demande, des statistiques précises sur l'évolution du nombre des élèves
au cours des cinq dernières années dans les centres culturels. Elle a
procédé toutefois à la mise en place systématique de ratios d'activité
à la fin de l'année 2000, ce qui devrait permettre selon elle de
pouvoir disposer de ces chiffres en 2001. On peut rappeler à ce stade
que l'on estime habituellement à 170 000 le nombre d'étudiants inscrits
dans les cours de langue des centres culturels. Faute de données
statistiques précises, nous nous contenterons d'observations empiriques
glanées lors de nos visites à des instituts.
A la fin des années
80 et dans les années 90, les instituts ont été fortement encouragés,
pour des raisons financières, à développer les cours de langue qui
constituent leur principale source d'autofinancement. Cette croissance
de l'activité d'enseignement s'est déroulée dans un manque total de
clarté financière liée à l'absence d'études locales sur leur
rentabilité ; un rapport d'audit sur les actions de coopération
linguistique, éducative et culturelle, rédigé en janvier 1998 par
l'inspection générale des finances et celle des affaires étrangères a
ainsi estimé que « sauf exception », l'activité
d'enseignement était rarement rentable.
La question de la
pertinence du maintien de cette mission d'enseignement est souvent
posée, dès lors qu'il existe des centres de langues dans les
universités et que se multiplient les sociétés de cours privés. Depuis
quelques années, dans de nombreux pays - le cas de la Grèce et de
l'Espagne sont sur ce point caricaturaux - on a assisté à un
renversement des statistiques : le nombre d'inscrits aux cours de
français des instituts a dégringolé, parfois de manière vertigineuse. A
titre d'exemple, le nombre d'élèves inscrits à l'Institut français de
Barcelone est passé de 3000 en 1995 à 2200 pour l'année 2000, soit une
baisse de près d'un tiers qui heureusement aujourd'hui a été stoppée.
La situation est similaire à Porto où le nombre d'élèves inscrits au
centre culturel est passé durant la même période de 1000 à 300. Les
chiffres de l'Institut français d'Athènes sont encore plus préoccupants.
Outre
l'accroissement de la concurrence privée, les raisons d'une telle
situation sont multiples : la priorité de plus en plus grande
accordée à la langue anglaise, la difficulté de répondre aux nouveaux
besoins linguistiques (faible connaissance des besoins des entreprises)
mais aussi, parfois, une certaine perte de dynamisme interne liée à ce
que des directeurs de cours qualifient de sclérose d'un corps
professoral vieillissant. Ces constatations ne doivent pas conduire
pour autant à préconiser la suppression de la fonction d'enseignement,
comme c'est le cas pour les USIA. Cette fonction permet aux centres
d'être des lieux vivants, assurés d'un public à longueur de semaine.
Il
faut donc réaffirmer fortement la fonction d'enseignement tout en la
clarifiant. Certes, on pourrait imaginer la création d'un label de
qualité que le Ministère des Affaires étrangères accorderait à des
organisations privées ; certes il faut reconnaître que le français
ne constitue pas le support et véhicule unique de la connaissance de la
culture française ; certes, il faut admettre a contrario la
demande grandissante d'un français fonctionnel, c'est-à-dire détaché de
la littérature et des belles-lettres. Mais néanmoins, il demeure
capital pour l'image de la France qu'elle offre en permanence la
possibilité d'apprendre sa langue en liaison avec sa culture. Ce n'est
pas tant l'activité d'enseignement du français elle-même qu'il faut
remettre en cause que les conditions dans lesquelles elle est exercée.
Et sur ce plan, des progrès sont à accomplir afin de connaître
précisément l'utilité des cours proposés (étude de la concurrence, de
ses tarifs, des demandes potentielles), leur orientation souhaitable
(français littéraire, français commercial...) et leur conséquence
financière (comparaison entre les coûts complets et les recettes). Dans
tous les cas, il est essentiel de proposer une offre de haut niveau,
par des enseignants décemment traités, afin de défendre et préserver la
spécificité et le renom d'ensemble des instituts. Cette qualité est une
part du « supplément d'âme » que représente l'apprentissage
de la langue dans un centre culturel français. Enfin, nous y
reviendrons, les anciens étudiants constituent un formidable réseau,
que l'on ne sait, malheureusement, ni faire vivre et ni utiliser.
D'une
manière générale, les centres culturels n'ont que peu d'informations
sur les réseaux qui constitueraient pour eux de puissants relais à leur
action : étudiants et stagiaires étrangers en France, étudiants
français à l'étranger, professeurs de français à l'étranger... La DGCID
devrait se préoccuper de constituer ces fichiers pour les mettre à
disposition des centres culturels. Ces derniers pêchent trop souvent
par l'absence d'une politique relationnelle suivie, que ne facilite pas
il est vrai la rotation des directeurs. Toutefois, une de leurs
priorités d'action devrait être la constitution, l'entretien, le
développement et la transmission d'un réseau actif et dynamique
« d'amis de la France ». Ce n'est pas d'ailleurs qu'une
question de moyens ; la constitution de ces fichiers ne servira à
rien si les directeurs ne sont pas incités à les utiliser et les faire
vivre. · La deuxième mission que remplissent les instituts, c'est
bien sûr la diffusion et la programmation culturelle. Il est évident
que l'importance de cette mission varie selon le pays dans lequel est
implanté le centre culturel.
Nous avons eu l'occasion
d'apprécier, lors de nos divers déplacements en Afrique francophone, le
rôle primordial assuré par les centres culturels français dans les pays
francophones à faibles revenus, en tant qu'animateur de la vie
culturelle locale et découvreurs de talents. C'est par exemple sous la
paillote du centre culturel français de Lagos que le chanteur Femi Kuti
a débuté sa carrière internationale.
La tâche est plus
compliquée dans d'autres pays. C'est le cas de manière générale dans la
plupart des pays développés où les événements culturels de l'institut
français entrent en concurrence avec des centaines d'autres, mais c'est
le cas également d'autre pays - comme la Chine - où il n'existe a
priori qu'une faible appétence pour découvrir la culture française.
Dans ce dernier cas, les efforts doivent porter sur la langue et la
coopération économique, dans un premier temps au moins.
Une
difficulté supplémentaire est d'inscrire ces événements dans une
continuité afin de créer une véritable coopération culturelle et
artistique et d'alimenter un réel courant d'échanges. Trop souvent en
effet, une logique de remplissage du programme conduit à un saupoudrage
de manifestations numérotées sur lesquelles ne sont exercées aucune
évaluation ni en terme de fréquentation, ni en terme de degré de
satisfaction. Les centres sont aidés dans leur tâche de
programmation culturelle par l'Association française d'action
artistique (l'AFAA), créée en 1922, qui agit en qualité d'opérateur du
Ministère des Affaires étrangères. L'action de l'AFAA emprunte des
canaux très divers, et la part consacrée au réseau culturel demeure
minoritaire. Le rôle de l'AFAA est d'informer le réseau culturel
français à l'étranger de l'actualité et des évolutions de la vie
artistique en France et de favoriser les mises en relation avec les
professionnels français. Elle apporte aux responsables des centres
culturels un appui souvent précieux en terme d'expertise, de
financement et de logistique, pour la mise en oeuvre de projets définis
dans le cadre de la programmation artistique annuelle.
Le rôle
de l'AFAA sur la politique culturelle extérieure a fait l'objet de très
nombreux rapports. Il a été et demeure irremplaçable. L'AFAA a accompli
ces dernières années, notamment sous le directorat de M. Jean Digne, et
aujourd'hui avec M. Olivier Poivre d'Arvor, des efforts importants pour
renforcer l'efficacité et la transparence de son action. Un reproche
toutefois lui est encore souvent adressé : celui de d'entretenir
des liens trop étroits avec la diplomatie traditionnelle et d'être
encore trop dépendant d'un culturellement correct parisien. Par
ailleurs, beaucoup de postes aimeraient être davantage directement
consultés par l'AFAA et encouragés dans leurs initiatives et
expériences culturelles. S'il est légitime que les services culturels
des ambassades exercent une fonction de coordination, nombre de
directeurs de centre se plaignent qu'un filtrage systématique retarde
souvent des décisions, parfois à prendre dans l'urgence, avec
pragmatisme.
Ainsi que l'a souligné à juste raison devant nous
M. Gérard Fontaine, sous-directeur de la coopération culturelle et
artistique au Ministère des Affaires étrangères, l'une des priorités de
l'action d'un centre culturel ne doit pas être seulement de répondre à
la demande locale - toujours plus ou moins traditionnelle - mais de la
former et de l'informer. Les gens ont naturellement tendance à aimer ce
qu'ils connaissent, ce qui incite parfois à la répétition de
stéréotypes. Il y a un véritable travail de pédagogie et de
communication à promouvoir , afin de susciter une image à la fois plus
moderne et sans doute plus réelle de ce qu'est la France aujourd'hui.
·
La troisième mission des centres culturels concerne la fourniture de
documentation et d'informations sur la France. Un programme de
modernisation et de dynamisation des bibliothèques des établissements
culturels français et des alliances françaises à l'étranger a été lancé
en 1995 afin de pouvoir mettre en place de véritables « centres de
ressources documentaires sur la France contemporaine ». Cette
novation dans le nom fait écho à une novation dans la fonction. La
mission de ces centres est de répondre concrètement aux demandes
d'information de toute nature dans les domaines pratiques, éducatifs,
artistiques, scientifiques, techniques, touristiques... Elle est aussi
de promouvoir une image plus moderne de notre pays en mettant en valeur
les pôles d'excellence de la France, en tâchant de lutter contre les
clichés, et les idées reçues. Pour cela, les bibliothèques sont
appelées - car dans les faits, cela n'est pas parfois explicite - à
être transformées en médiathèques, incluant tous les supports de la
communication culturelle actuelle : imprimés, audiovisuels,
numériques et télématiques. Les bibliothécaires traditionnelles sont
reconverties en assistantes de recherches.
Cet
effort de modernisation n'a pas encore produit partout tous ses effets,
loin s'en faut. Et surtout, on peut regretter que les possibilités
d'interconnexion entre ces centres de ressources avec l'ensemble du
réseau culturel français (notamment les grandes institutions nationales
comme la Bibliothèque de France, les grands musées ou la Cité des
sciences) et européen demeurent insuffisamment explorées. Nous avons pu
constater par exemple que le site d'information Sources d'Europe
(http://www.info-europe.fr/) qui recense la plupart des informations
théoriques et pratiques sur l'Union européenne était peu connu des
documentalistes. A leur décharge, l'univers du net est tellement mobile
qu'il est souvent très difficile de s'y retrouver, ce qui justifierait
la mise à disposition d'un inventaire, régulièrement actualisé, des
sites utiles.
· Enfin, il existe une dernière mission attribuée
à certains centres culturels, la coopération linguistique et éducative,
mais dans les faits cette fonction est assurée par une partie seulement
des établissements culturels. Nous y reviendrons ci-dessous.
Au
total, les missions assignées aux centres culturels sont relativement
claires dans leur principe. Mais, complexes et multiples, elles
demeurent entourées de flou dans leur application. Voilà pourquoi
l'action culturelle extérieure relève à bien des égards de la mission
impossible pour ceux qui, sur le terrain, doivent faire face à un
contexte en permanente évolution.
B - Un réseau en péril
En
1995, M. Jean-David Levitte, alors directeur général des relations
culturelles, scientifiques et techniques, dressait un bilan sévère de
l'action culturelle extérieure : « L'image de la France à
travers le monde, il faut en être conscient, tend à vieillir :
tout se passe comme si, vues de New-York ou de Tokyo, la peinture
française s'était arrêtée aux Impressionnistes, la musique à Debussy et
Ravel, la littérature et la philosophie à Camus ou Sartre, la science à
Pasteur... » (Histoire de la diplomatie culturelle des origines à
1995, La documentation française, 1995). En cinq années, les choses ont
peu changé et le constat est malheureusement toujours valable
aujourd'hui. Tout se passe comme si l'action culturelle de la France
excellait à préserver des acquis mais ne réussissait que médiocrement à
innover. Il nous revient d'essayer d'en comprendre les raisons.
1) Un réseau sans crédits Le
montant des budgets de fonctionnement des 151 établissements
culturels s'est élevé en 1999 à un peu moins de 860 millions de
francs. Ces dépenses ont été financées par trois types de
recettes : les subventions de fonctionnement accordées par le
Ministère des Affaires étrangères pour un montant de 243 millions
de francs, un chiffre bien modeste par rapport aux ambitions
affichées ; des crédits d'intervention utilisés pour des actions
de coopérations auprès de nos partenaires pour 158 millions de
francs ; les recettes propres : droits de scolarité, droits
de participation aux activités culturelles, dons et legs, subventions
d'autorités locales ou d'organismes privés. Seulement neuf
établissements ont un budget supérieur à 20 millions de francs :
Athènes (le plus important avec 70 millions de francs), Le Caire,
Tokyo, Londres, Beyrouth, Tunis, Hanoï, Istanbul et Mexico.
Si
l'on prend en compte l'ensemble des aides - subventions de
fonctionnement, crédits de coopération, crédits immobiliers, mise à
disposition de personnels détachés, aides diverses - accordées par le
Ministère des Affaires étrangères à la totalité des établissements du
réseau qui dépendent de l'Etat (soit 486 implantations y compris
annexes, établissements franco-étrangers et alliances conventionnées),
on atteint la somme de 1 milliard de francs. Ce chiffre est à
rapprocher des quelques quatre milliards de francs (dont les deux tiers
sont d'origine publique) dont dispose chaque année le British Council.
Ce
qu'il importe de souligner, c'est qu'il existe un seuil minimum
au-dessous duquel l'effet levier ne joue plus. Certes, le mécénat
d'entreprise - très courant dans les pays anglo-saxons - se développe
de manière importante ; il n'est plus désormais l'apanage des
grandes structures mais concerne des entreprises très diverses, de par
leur taille, leur secteur et les actions qu'elles choisissent de
parrainer. Il serait sans doute souhaitable de trouver des moyens de
développer et renforcer les liens entre les centres culturels et les
entreprises françaises à l'étranger, via par exemple les postes
d'expansion économique ou les chambres de commerce. Mais ce mécénat ne
peut se substituer au financement public ; il peut tout au plus le
compléter. Il est indispensable pour les centres culturels de pouvoir
mettre une mise de base. Aussi, lorsqu'on constate que
l'autofinancement représente plus de 53 % des dépenses des centres
culturels - avec, il est vrai, de fortes variations entre eux (voir
tableau en annexe) -, on ne peut que s'inquiéter de cette moyenne à nos
yeux trop élevée.
La modestie des budgets, déjà évidente
lorsqu'on considère les chiffres globaux, devient encore plus criante
lorsqu'on examine en détail les budgets consacrés à la programmation
culturelle. Cette partie du budget nous semble en effet tout
particulièrement significative pour deux raisons : flexible, elle
sert de variables d'ajustements en période de « vaches
maigres » - c'est-à-dire chaque année ! - ; symbolique, elle
représente, davantage encore que l'enseignement de la langue, la
spécificité de l'action de nos établissements culturels. Quelle n'a pas
été notre surprise de constater que ces budgets de programmation
représentaient souvent des sommes ridiculement basses et en
régression : 667 000 francs à Barcelone (contre 950 000 francs en
1998, soit une baisse de 30%), 878 000 francs à Munich (contre 937
000francs en 1998) ; 882 000 francs à Berlin (contre 1 800
000 francs en 1999, soit une réduction de plus de la moitié en trois
ans) ; 1 034 000 francs à Milan ; 1 500 000
francs à Amsterdam ; 1 600 000 francs à Tokyo (pour être
correctement interprété, ce dernier chiffre doit être mis en
comparaison avec les prix locaux très élevés). La faiblesse de ces
montants apparaît encore plus choquante lorsque l'on songe à
l'importance des villes en cause et à la nécessité pour la France
d'assurer dans ces lieux une importante visibilité culturelle. De
manière surprenante là encore, lorsqu'on rapporte ces chiffres bruts au
budget global du centre, on est étonné de la faiblesse de la part
représenté par cette programmation culturelle : 5,6% du compte
financier à Tokyo (chiffre de 1999) ; 6% à Barcelone ; 10% à
Munich ; 11% à Milan ; 12% à Berlin. Avec des parts
respectives de 20% et 21%, Londres et Amsterdam font figures
d'exception.
A l'évidence, le Quai d'Orsay, lui-même il est vrai
maltraité par Bercy et Matignon, a durement répercuté sur ses
saltimbanques l'effort de redressement des finances publiques que les
gouvernements successifs lui ont imposé. Le réseau culturel a pâti des
priorités accordées à l'audiovisuel extérieur et aux nouvelles
technologies. Dans les faits, c'est le réseau lui-même qui a dû tenter
de financer son développement. Bref, pour les centres culturels, il
fallait faire toujours plus d'actions avec toujours moins d'argent.
Devenu en quelque sorte le parent pauvre de la direction générale, le
réseau ne pouvait qu'essayer de sauvegarder les acquis.
Le
risque est grand pour de nombreux centres culturels d'entrer dans un
cercle vicieux : moins d'argent, moins d'action, moins de
visibilité, moins de clients/usagers et donc encore moins d'argent...
Certes,
on pourra nous opposer que de telles difficultés budgétaires affectent
aussi les réseaux étrangers, qui ont chacun réagi à leur façon. Le
Goethe Institut a fermé 40 implantations au cours de ces dernières
années contre 18 ouvertures, principalement dans les pays d'Europe
centrale et orientale et les pays émergents d'Asie. Le British Council
a adopté depuis 1996 une stratégie résolument offensive de recherche de
fonds privés afin de compenser la diminution des fonds publics, qui
avait conduit à une réduction importante de ses effectifs - proche de
30% - dans les services centraux. Mais ces stratégies de repli ne
peuvent s'appliquer à la France qui, à juste raison, souhaite se
différencier de ses partenaires par une attention prioritaire accordée
à la culture. La France ne doit pas entrer dans le lot commun. Tous les
beaux discours que l'on entend sur l'exception culturelle française
doivent être suivis d'effets concrets.
Ces difficultés
budgétaires ont été, aux dires de certains, aggravées en France par
deux facteurs : l'importance des rémunérations des personnels
expatriés, et l'ampleur du parc immobilier à l'étranger. On a ainsi
pris l'habitude de parler de « béton-fonctionnaire » pour
évoquer ces contraintes. Il est vrai que les centres culturels ont
souvent été dotés de bâtiments importants, souvent peu fonctionnels,
dans certains cas mis à la disposition de la France à des prix
avantageux mais parfois aussi acquis ou loués à des prix importants.
La
propriété d'un bâtiment représente une contrainte de lieu importante,
quant à l'évolution de la carte internationale du réseau mais également
en cas de transformation de la géographie urbaine. Le cas le plus
caricatural est sans doute celui de Berlin. La destruction du mur a
déplacé le coeur de la ville vers les quartiers historiques de l'Est,
et la maison de France se trouve désormais dans un quartier qui ne
correspond plus à la réalité du nouveau Berlin. Une décision éventuelle
de transfert, pour laquelle militent de nombreux arguments, sera, si
elle est adoptée, assez lourde à mettre en oeuvre. Elle reste néanmoins
à nos yeux nécessaires car l'emplacement du centre culturel dans la
ville est un élément prioritaire.
Mais
il convient de faire la part des choses. On peut certes rêver d'un
centre culturel a minima composé d'un bureau, d'un ordinateur, d'un
cadre et d'une secrétaire. Mais il serait pour le moins paradoxal de
regretter tout à la fois le peu de moyens dont dispose un directeur de
centre pour établir des contacts locaux et lui refuser en même temps un
facteur majeur de visibilité (surtout lorsqu'il s'agit d'immeubles
historiques), d'opportunités de rencontres et de convivialité. Disposer
d'un vaste équipement dans une ville peut constituer un sérieux
avantage dès lors que le bâtiment n'est pas transformé en forteresse
castratrice de toute politique « hors les murs ». Il existe
actuellement un besoin de contacts et de rencontres qui ne soient pas
exclusivement virtuels, d'un lieu d'échanges avec le public. Au reste,
l'existence d'un lieu reconnu, d'une base symbolique ne conduit pas à
refuser tout autre endroit ; au contraire, cette base doit servir
de quartier général pour la constitution d'un réseau de lieux,
« chez les autres », qui seront autant de ramifications et
d'amplificateurs, de possibilités de souplesse et de nuances pour notre
action culturelle.
Une attention toute particulière devrait être
portée à « l'esprit des lieux ». Trop souvent, l'intérieur
d'un centre culturel ressemble à un quelconque bâtiment administratif.
Il faudrait au contraire en faire un élément d'attraction pour que, dès
l'entrée, les usagers se sentent dans une atmosphère originale, qui les
invite à la découverte et à la communication. Les architectes et
décorateurs français devraient être mis à contribution pour créer cet
« esprit des lieux » qui contribuerait au renom du centre
culturel. Le bâtiment du centre lui-même devrait être comme une
manifestation culturelle permanente.
Certes, l'époque héroïque
où certains centres culturels français - comme celui de Barcelone
ou ceux d'Europe de l'Est, Prague notamment - apparaissaient comme une
enclave des libertés et attiraient naturellement l'intelligentsia
locale est, avec la fin de la plupart des dictatures fascistes et
communistes, en grande partie révolue, et l'on peine souvent
désormais à faire venir la population locale dans nos centres. Mais
c'est un défi qu'il convient de relever et nous verrons ci-dessous
comment il peut l'être.
J'estime pour ma part qu'il est urgent
de mettre en oeuvre un plan de redressement financier qui devrait
atteindre au minimum 500 millions de francs supplémentaires (à
francs constants) répartis sur cinq ans. Je donne ci-dessous à titre
indicatif l'utilisation de ces crédits supplémentaires.
Utilisation des crédits (en millions de francs) | Comprenant : Mise à niveau des recrutés locaux Centre culturel en ligne Immobilier Equipements Relance générale de programmes culturels et sociaux Aide aux programmes innovants Centres de ressources Créations de 65 postes/.ouvertures | Total des mesures nouvelles/an | 2002 | 180 | 2003 | 104 | 2004 | 86 | 2005 | 70 | 2006 | 60 |
2) Un réseau sans unité ni mémoire Ce
qui nous a profondément frappés tout au long de notre mission, c'est
l'absence de coordination et de pilotage du réseau. Il n'existe aucun
document définissant ou hiérarchisant les objectifs géographiques,
thématiques, politiques, artistiques assignés au réseau. Nul ne sait,
nul ne peut dire par exemple en quoi consiste la politique culturelle
de la France en Roumanie ou en Allemagne, et en quoi elle se distingue
de celle menée en Hongrie ou en Italie. Car s'il faut une politique
forte affichée, il faut savoir également l'adapter, la moduler aux pays
et au terrain. Certes, un bureau des établissements culturels et des
alliances françaises est chargé au sein de la direction de la
coopération culturelle et du français du suivi des activités des
établissements tandis qu'une sous-direction des personnels des services
et des établissements culturels et de coopération dépendant de la
direction générale de l'administration a en charge la gestion du
personnel. Mais à l'évidence, la mission de réflexion générale sur les
orientations stratégiques du réseau n'est pas assurée dans de bonnes
conditions, les sous-directeurs et directeurs étant accaparés par des
tâches purement administratives. Il est aujourd'hui urgent de pouvoir
disposer à Paris d'une équipe dotée des moyens, en hommes et matériel,
de gérer et d'animer le réseau.
Les lacunes en matière de
coordination concernent aussi bien les relations entre chacun des deux
réseaux d'établissements, centres et alliances, que les relations à
l'intérieur du réseau des centres - y compris dans un même pays - et
les relations entre centres et services culturels.
Des efforts
de coordination ont été accomplis entre le réseau des centres et des
alliances, dont les missions et les modalités d'organisation, nous
l'avons déjà évoqué, sont de plus en plus comparables. Il est devenu de
plus en plus rare qu'un centre culturel cohabite avec une Alliance dans
une même ville. Quelques exceptions toutefois demeurent comme à
Lisbonne (Portugal), à Londres (Grande-Bretagne), à Madrid (Espagne), à
Lagos (Nigeria), à Pékin (Chine) ou à Séoul (Corée).
Mais
cette rationalisation n'a pas encore débouché sur une coopération
étroite entre centres et alliances. Après avoir rappelé les estimations
selon lesquelles une Alliance française coûtait environ dix fois moins
cher en fonctionnement qu'un centre culturel - un ratio qu'il
conviendrait de mettre en parallèle avec les activités - M. Jean
Harzic, le Secrétaire général de l'Alliance française, nous a expliqué
ces difficultés de coopération par une tradition administrative qui a
du mal à admettre que l'action de l'Etat puisse être efficacement
relayée par une association. Une des forces de l'Alliance, c'est sa
capacité à s'adapter et se muer au gré des circonstances locales,
d'allier spécificité et diversité. Une meilleure collaboration entre
les deux réseaux contribuerait pourtant à une meilleure visibilité et
efficacité.
Plus surprenante encore est l'absence d'esprit de
réseau qui existe entre les différents centres d'un même pays. Nous
l'avons constaté en Espagne - un pays il est vrai où les régions sont
fortement individualisées -, les relations entre centres culturels sont
assez formelles ; ils ne travaillent pas ensemble. Et pourtant là
encore, les centres auraient intérêt à partager leurs expériences, à
comparer leurs coûts, à coordonner leur communication. Lorsqu'une
initiative rencontre du succès dans un centre, il faudrait la proposer
aux autres. Il est vrai aussi que la continuité au sein d'un même
centre entre deux directeurs successifs n'est qu'imparfaitement
assurée ; une évaluation systématique devrait être établi en fin
de mandat et transmise au successeur.
Car ce qui manque
également cruellement au réseau culturel français, c'est tout
simplement une mémoire. A partir de ressources à l'origine souvent
similaires, de nombreux centres ont développé des réalisations
différentes et multiples. L'observation de ces réalisations, le
recensement des méthodes employées, l'appréciation des répercussions
sont autant d'éléments qui, si ils étaient mémorisés et partagés,
pourraient inspirer d'autres tentatives. Il ne s'agit pas bien sûr de
sous-estimer les facteurs qui tiennent à une spécificité locale, non
reproductibles ailleurs, mais la particularité de chaque cas ne nous
apparaît pas un obstacle à une analyse sérieuse sur ce qui pourrait ou
devrait être systématisé. Il y a là à la fois un devoir de mémoire et
une valorisation utile du travail des directeurs d'instituts culturels. Enfin,
nous reviendrons ci-dessous sur les principes qui devraient selon nous
présider aux relations entre conseillers culturels et directeurs des
centres culturels. Ces relations, nous avons pu le constater sur le
terrain, ne sont pas simples et souvent teintées de tensions, notamment
dans la capitale. Berlin en est un bon exemple : après quelques
mois de cohabitation avec le conseiller culturel en provenance de Bonn,
le directeur du centre culturel a souhaité anticiper son départ. De
même, il y a eu en l'an 2000 nombre de démissions au sein du réseau en
Amérique latine en raison de querelles de personnes. A Londres, en
revanche, les choses se passent parfaitement... mais le conseiller
culturel est également directeur du centre.
3) Un réseau sans vision d'avenir Ce
qui fait cruellement défaut aujourd'hui à la France, c'est un projet
politique culturel extérieur sur lequel arrimer tous les efforts. Ce
projet nous apparaît devoir constituer le préalable nécessaire pour
mettre un terme à la démobilisation qui guette les acteurs culturels.
Sans stratégie globale, on perd la vision du long terme voire la
justification des efforts entrepris ; on se focalise uniquement
sur la gestion comptable à court terme et le remplissage sans cohérence
d'un agenda culturel. Il est dommage que les interrogations sur les
modes d'action l'aient emporté au sein de la direction générale sur une
réflexion concernant les objectifs et le contenu de la politique
culturelle extérieure. On a fait des réformes institutionnelles sans
les fonder sur une vraie politique, sans les prolonger par un travail
de fond. Ayant déstabilisé l'institution, la logique budgétaire se
trouve alors en position de force pour justifier les coupes dans les
ressources.
Il est évident que l'on ne peut assigner à
l'ensemble des établissements les mêmes objectifs et les mêmes
activités. Le choix doit prendre en compte un certain nombre de
critères : situation de l'offre culturelle (importante ou pas), de
la place du français dans le pays, de la demande locale pour telle
activité culturelle... Le rôle du centre culturel est plus important à
Cotonou ou Timisoara qu'à Salzbourg ou La Haye, dont les habitants
peuvent facilement se rendre en France et disposent d'une offre
culturelle importante. Il est donc important de définir une stratégie
de la France modulable selon les régions géographiques.
Faut-il
développer une offre généraliste ? Faut-il au contraire insister
sur quelques points forts ? Il n'y a pas de réponse uniforme à ces
questions. M. Bernard Cassen, le directeur général du Monde
diplomatique, a par exemple regretté que les centres culturels français
en Europe ne soient pas utilisés comme vecteurs d'un espace public
européen qui fait aujourd'hui cruellement défaut, et sans lequel la
construction politique européenne est dépourvue de fondement. M. Cassen
a donc particulièrement insisté sur l'importance qu'il conviendrait
d'accorder aux relations bilatérales intra-européennes.
Un
projet culturel extérieur de la France a déjà été publié dans le passé
(La documentation française, 1984), dont les orientations ont été
approuvées en Conseil des ministres du 19 octobre 1983. Ce document
recensait un certain nombre d'objectifs sectoriels et géographiques. Il
n'a pourtant jamais été un instrument de référence et n'a jamais fait
l'objet d'une actualisation.
M. Hubert Védrine l'expliquait
justement dans son dernier livre sur « les cartes de la
France » : "Pour avoir de l'influence, il faut d'abord être
capable d'avoir ses propres idées. Qu'influencerions-nous si nous nous
contentions de répéter le langage convenu du «politiquement
correct »du moment et celui des consensus ? Exercer plus
d'influence, cela veut dire apporter au débat une valeur ajoutée.
L'indépendance d'esprit et de projet est non seulement possible, mais
indispensable". Ce jugement est encore plus véridique pour la
diplomatie culturelle. Le principe de présence est à lui seul
insuffisant pour définir les fondements de notre politique culturelle
extérieure. Nous l'avons clairement indiqué au nouveau directeur
général de la coopération internationale et du développement, la
priorité première consiste à traduire la volonté politique que l'on
sent confusément exister à travers les discours des uns et des autres
en véritable projet, conçu avec l'ensemble des responsables de nos
instituts culturels.
Bâtir l'architecture de ce que pourrait
être un nouveau projet culturel extérieur dépasse bien évidemment le
cadre de ce rapport. Il serait au reste souhaitable que ce projet ne
sorte pas tout armé des bureaux de l'administration centrale mais fasse
l'objet d'un vaste débat avec les acteurs de la vie culturelle, les
postes à l'étranger, les élus locaux et nationaux. Si la stratégie
n'est pas partagée, elle ne sera pas appliquée, faute pour
l'administration centrale d'avoir mesuré le décalage entre la
perception de Paris et la réalité vécue sur le terrain. Les quelques
idées qui suivent doivent donc être simplement considérées comme une
modeste contribution pour encourager l'ouverture d'une consultation
plus large.
En s'inscrivant dans la durée, le dialogue entre les
cultures doit constituer l'un des éléments fondamentaux de la
coexistence pacifique et du développement. La France a contribué à
l'adoption par l'Unesco en avril 1998 à Stockholm d'un « plan
d'action sur les politiques culturelles pour le développement »
qui recommande aux Etats membres de « faire de la politique
culturelle l'un des éléments clés de la stratégie de
développement ». Tout projet culturel extérieur de la France
devrait clairement inclure la nécessité de contribuer à la créativité
culturelle des pays les plus pauvres, et de manière plus générale de
favoriser toutes actions en faveur de la diversité culturelle. C'est en
multipliant et fédérant les contre-pouvoirs culturels que l'on pourra
lutter contre la domination américaine, potentiellement monopolistique.
Il ne s'agit pas bien sûr de tomber dans l'anti-américanisme
primaire : l'affirmation de notre identité ne doit pas être
exclusive de collaborations avec les Américains sur des projets
communs. Au demeurant, plus nous serons sûr de nous et de nos valeurs,
moins nous craindrons un travail en commun.
Les hésitations que
j'ai rencontrées chez certains de nos ambassadeurs, qui se demandaient
s'il entrait dans leurs attributions de participer à la connaissance
des cultures et la promotion des talents locaux, me semblent être
totalement déplacées. L'un d'entre eux nous a même affirmé qu'il
n'était pas payé pour cela. Notre diplomatie culturelle ne doit pas
être conçue - avec parfois une fierté ou arrogance bien dangereuse -
comme une projection de la culture française dans un espace supposé
vierge mais comme une multiplication des occasions de rencontres et de
création entre d'une part la culture française et d'autre part une
culture étrangère qu'il convient de connaître, et reconnaître, à part
entière. Il est primordial de défendre et promouvoir l'image de la
France comme lieu de reconnaissance des cultures. Il convient, pour
reprendre les mots de M. Olivier Poivre d'Arvor, de ne pas se
satisfaire d'une simple « logique de diffusion » mais de
promouvoir une « préoccupation majeure de coopération ». Pour
être efficace en tant que découvreurs et promoteurs de talents locaux,
les directeurs de centres culturels ont besoin de s'appuyer sur des
relais français. C'est notamment l'un des principaux avantages des
saisons culturelles étrangères en France - créées en 1994 à
l'instigation notamment de Jean Digne, alors directeur de l'AFAA - et
des saisons françaises à l'étranger que de permettre la rencontre de
futurs partenaires à travers la mise en valeur des aspects vivants de
chacun de leur patrimoine. A titre d'exemples, se sont ainsi
succédé : « la Jordanie à Paris » en 1997,
« l'année culturelle France-Egypte » en 1998, « l'année
du Maroc » en 1999 ou encore, en sens inverse, « la saison du
théâtre français à Londres » en 1997 ou « l'année de la
France au Japon » en 1998.
Il est également nécessaire
d'approfondir la réflexion sur le public visé par les centres
culturels. Par nature, et c'est même depuis la Révolution française
l'une de ses caractéristiques, le message français est destiné à tous
et par conséquent les centres culturels, émanation directe de la
« mère des arts » et de la « patrie des droits de
l'Homme » avaient vocation à s'adresser au plus grand nombre. Pour
ce faire, la politique culturelle de la France a souvent emprunté son
style et ses accents au Grand Siècle : il s'agissait
d'impressionner, d'exercer un ascendant, d'éblouir l'autre par un
« rayonnement ». Le risque est alors grand de s'épuiser dans
l'agitation fébrile d'une agence de spectacles, dont les manifestations
éphémères ne laissent que peu de traces.
La
prise en compte de cette limite a suscité un intérêt nouveau pour les
actions de plus en plus ciblées, en direction cette fois des décideurs
et des futurs décideurs. On abandonnait - en partie au moins et non
totalement - la perspective d'évangélisation du monde pour entrer, via
la formation des futurs dirigeants, dans une logique de part de marché
et de retour sur investissement. L'enjeu majeur devient dans cette
perspective marchande la préservation de sa sphère d'influence face à
la concurrence américaine, allemande... Il s'agit moins alors de
conduire une politique culturelle que de mettre à la disposition d'un
public choisi une autre culture dont on présume par avance qu'il saura
la saisir et en tirer parti par lui-même. Dans cette optique, les
centres culturels, appelés à agir dans un espace mondialisé de plus en
plus professionnel et concurrentiel, deviennent des acteurs parmi
d'autres d'actions de coopération et d'échanges. La culture elle-même
n'est appelée à jouer qu'un rôle supplétif dans la politique extérieure
de la France afin de favoriser les dialogues politiques et les échanges
économiques : c'est l'application du principe de subordination.
Prise
entre les contradictions d'un messianisme « gratuit » dont le
contenu devient de plus en plus flou et de moins en moins audible, et
d'une réponse utilitaire à des besoins politiques et économiques (du
développement à l'industrie des loisirs), la politique culturelle
française est à la recherche d'un nouveau modèle qui soit adapté à
l'ère de la mondialisation, des réseaux et des services.
Ce
modèle doit renoncer à toute tentation hégémonique et aux artifices
d'échanges officiels pour privilégier ce que François Furet appelait
« le subtil artisanat de la médiation », c'est-à-dire l'acte
de mise en relation des hommes, des institutions et des cultures, la
promotion du dialogue et de l'échange. A la difficulté de définir les
axes prioritaires dans le foisonnement des besoins, des contraintes et
des ambitions, doit répondre une attention accrue aux méthodes et aux
pratiques. « Et, si comme la guerre, l'action culturelle était
d'abord un art d'exécution ? » écrivait M. Xavier North.
« Si tel était le cas, ce ne seraient pas les objectifs qu'il
faudrait privilégier, les quatre priorités et les cent mesures chères
aux politiques et aux technocrates, mais les démarches. Ce serait de
l'efficacité de l'action menée sur le terrain - de la philosophie
qu'elle implique, des qualités qu'elle suppose - qu'émanerait un
rayonnement français, comme une aura ou un supplément d'âme »
(Xavier North, Portrait du diplomate en jardinier, Le Banquet, 1997).
Dans
le même esprit , M. Bernard Cassen, déjà cité, a plaidé devant
nous pour une action culturelle à l'étranger accordant une priorité non
pas aux décideurs mais aux médiateurs d'opinion (professeurs,
journalistes, syndicalistes, élus, chercheurs). Il a illustré le succès
d'une telle stratégie en s'appuyant sur le « phénoménal
succès » à l'étranger de l'association ATTAC - Association pour la
taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens - dont
il est le Président et qui milite pour un message universaliste contre
les ravages de la mondialisation et pour un nouvel internationaliste.
II - UN RÉSEAU QUI DOIT ÉVOLUER VERS DES ESPACES DE DIALOGUE ET DE LIBERTÉ
A - Les conditions d'un nouveau souffle
1) Plus d'autonomie Pourquoi
préconisons-nous une plus grande autonomie des centres culturels ?
Cette autonomie nous semble à la fois une question de fond, celle de la
liberté qui doit présider à la mise en place de toute action
culturelle, et une condition de procédure importante pour l'efficacité
de cette action. Il existe deux visions de l'avenir des centres
culturels : les transformer en centre de sécurité sociale de la
culture française qui distribuerait des prestations quantifiées et
calibrées ou au contraire en faire des lieux d'innovation et
d'indépendance, à l'image de ces qualités qui, à l'étranger, vous font
tomber amoureux de la culture française.
Cette autonomie fait
souvent peur aux ambassadeurs et plus encore à certains conseillers
culturels car ils y perçoivent une menace pour la cohérence de leur
action et de l'image de la France à l'étranger. Pour eux, revendication
d'autonomie rime avec constitution de baronnie. Il est vrai que la
décentralisation fait généralement d'autant plus peur que l'on n'a pas
été capable au préalable de définir une politique claire. Il existe
cependant des exceptions et certains diplomates ont su parfaitement
gérer cette relation, mais ces cas restent exceptionnels.
Cette
crainte nous semble non fondée et dangereuse. Pour développer une
action dans des domaines qui touchent l'imaginaire et qui peuvent avoir
une sensibilité politique très grande, il importe de maintenir les
centres à une distance pertinente du dispositif officiel de
représentation de la France. C'est cette distance qui autorise et
conditionne les indispensables prises de risque de toute action
culturelle.
C'est pourquoi des opérateurs disposant d'une
véritable autonomie et dotés d'une direction responsable sont
indispensables. Un tel dispositif présente en outre de nombreux
avantages : meilleure capacité à oeuvrer en concertation avec les
institutions et les organismes locaux, meilleure appréhension des
besoins et par conséquent meilleure adaptation de l'offre... Nous avons
eu l'occasion de constater la tentation présente chez certains
conseillers culturels d'ambassade de se substituer aux centres
culturels, ou en tout cas d'exercer une tutelle inadéquate sur la
liberté de manoeuvre nécessaire à toute action culturelle menée par les
instituts. Une telle tentation est malsaine et il est nécessaire de
savoir s'en garder. Au-delà de la qualité des hommes, ce qui en jeu et
ce qu'il importe de sauvegarder, c'est cet outil irremplaçable que
constitue dans un pays le réseau des centres ou des alliances. Vouloir
tout centraliser, tout personnaliser au niveau du service culturel de
l'ambassade, c'est démotiver les cadres des instituts, rogner leur
vitalité et mettre en danger la pérennité de la présence française.
Il
existe aujourd'hui un certain nombre de procédures qui constituent
autant de garanties d'une concertation entre le centre culturel et
l'ambassade. A son arrivée en poste, chaque directeur de centre se voit
remettre une lettre de mission lui indiquant les priorités de son
action. Il est alors tenu, dans les six mois qui suivent sa prise de
fonction, d'établir un projet d'établissement qui respecte les axes
fixés par l'ambassadeur et qui définit les objectifs et les moyens à
mettre en oeuvre. Ce projet est soumis à l'approbation d'un conseil
d'orientation qui réunit l'ambassadeur, le conseiller culturel et
l'ensemble des agents responsables rémunérés par l'Etat français et
associés à notre présence culturelle dans le pays.
Si des
objectifs clairs ont été définis en termes de priorités (arts
contemporains, architecture et urbanisme, artistes et écrivains en
résidence, spectacles de rue...), en termes de partenaires et de
moyens, une réelle autonomie d'action peut et doit être consentie aux
instituts. Un contrôle a posteriori doit être bien sûr, nous y
reviendrons, assuré alors que l'on peut considérer tout nouveau
contrôle a priori comme nuisible tant pour la cohérence que la rapidité
de l'action.
Force est de constater que le plus souvent des
interventions inopportunes de l'ambassade vont de pair avec une
faiblesse du contenu du dialogue préalable. Si les orientations sont
claires et partagées, il n'y a aucune raison de redouter une autonomie
du centre dans leur mise en oeuvre, bien au contraire si elle
s'accompagne d'une plus grande responsabilité.
Disons-le
nettement, même si nous sommes conscients que cette affirmation en
choquera certains, les directeurs de centres culturels ne sont pas des
collaborateurs du conseiller culturel, comme ce dernier par exemple est
celui de l'ambassadeur. Les fonctions de conseiller culturel et de
directeur de centre sont fondamentalement différentes. L'empiétement
des uns sur les autres n'est pas sain. Il faut identifier les métiers,
les terrains et les modalités d'actions. Pour prendre une métaphore
agraire chère au fils d'agriculteur que je suis, chacun doit cultiver
son champ. Aucun exploitant agricole ne s'avise de mélanger différentes
productions sur un même terrain, même s'il a besoin de l'ensemble de
ces productions pour vivre.
L'action
d'un directeur de centre s'inscrit dans une politique - d'où la
nécessité de la connaître - et doit être évaluée au regard de cette
politique. Mais il faut lui reconnaître une autonomie, qui va de pair
avec une véritable responsabilité. La tentation existe pour certains
conseillers culturels de récupérer à leur profit la fonction de
directeur culturel, et d'en déposséder le légitime détenteur. Le danger
alors devient la déviation de la politique culturelle au profit d'une
administration marquée plus que d'autres par un état d'esprit où ce qui
compte avant tout, c'est ce qui touche à la « Carrière ».
Nous devons passer d'un Etat aristocratique où l'on joue pour soi à un
Etat démocratique où ce qui prime avant tout, c'est l'action collective
au service d'une politique que l'on doit s'efforcer de faire perdurer
au-delà des aléas des nominations.
En matière de culture, dans
une société médiatique, le danger est évident : il tient à la
tentation d'utiliser l'action culturelle comme un moyen de faire parler
de soi en passant à la télévision ou en ayant sa photo dans les
journaux. Dès lors, les choix se portent sur ce qui fera le plus de
bruit, suscitera le plus de paillettes. Peu importe que ce soit
éphémère pourvu que l'on en parle ! Or c'est justement le
contraire que l'on souhaite : du travail en profondeur avec les
autres, le développement d'un réseau non pas pour soi mais pour les
causes que l'on défend - la pensée, la création, les droits de l'homme,
la lutte contre les inégalités, la diversité culturelle...- autant de
sujets qui ne peuvent être traités uniquement par des notes et des
télégrammes.
Nous ferons brièvement remarquer que les questions
soulevées ici pour les centres culturels se posent aussi à ceux qui
interviennent dans le champ de la coopération technique. La
problématique est la même. Comme l'indiquait un document de travail de
décembre 2000 des représentants du personnel au conseil de surveillance
de l'AFD, ce secteur doit être préservé « d'une navigation à vue,
sans stratégie autre que de suivi de modes décidées dans d'autres
forums ou issues du résultat temporaire de rapport de force entre ses
tutelles ».
Notre réflexion sur l'autonomie des directeurs
de centres culturels s'inscrit donc plus largement dans la question
dans la question de la transformation du rôle de l'Etat et de la
démocratisation de la société. La fonction de directeur d'un centre
culturel a changé ces dernières années, un peu à l'image de celle du
maire. L'un et l'autre ne peuvent plus venir devant les habitants d'une
ville avec un programme bien ficelé comprenant 100 ou 200 propositions.
Ils doivent au contraire venir avec des idées qui touchent directement
les citoyens car elles sont au coeur de leurs préoccupations. Ces
idées, bien sûr, il faut les illustrer et il convient d'expliquer
comment ils entendent travailler, comment ils vont s'efforcer
d'associer et de responsabiliser chacun.
La faiblesse du
dispositif actuel réside dans le caractère incomplet et lacunaire de
l'évaluation des centres culturels. Ce contrôle est assuré aujourd'hui
par deux types de documents : le compte financier et le rapport
d'activités. Le compte financier est censé donner une vue d'ensemble de
l'activité et de l'établissement au cours de l'exercice ; il
permet notamment de faire apparaître les conditions dans lesquelles
s'est réalisé, en fait, l'équilibre des dépenses et des recettes. Quant
au rapport d'activités qui accompagne le compte financier, il dresse le
bilan des activités de l'établissement menées au cours de l'exercice et
explique la manière dont elles ont été conduites, les objectifs
recherchés et ceux réellement atteints. Il faut ajouter à ces documents
les rapports de fin de mission et ceux de l'inspection générale.
Un
tel dispositif de contrôle est difficilement utilisable parce qu'il
manque de transparence, parce qu'il est incomplet - l'administration
centrale a été incapable de nous fournir des statistiques sur les
ratios d'activité des centres, faute de les avoir au préalable définis
- et parce qu'il n'est pas conçu pour être utilisé comme un tableau de
bord. Il serait souhaitable que chacun des centres culturels complète
le rapport d'activité par un tableau annoté unique retraçant en
chiffres l'activité et surtout la fréquentation de l'établissement au
cours des cinq dernières années et que ce document soit rendu public.
Un centre culturel fonctionne comme une petite entreprise, il devrait
être normal et naturel que son équipe dirigeante ait un minimum de
connaissances de gestion, ce qui est trop rarement le cas. Il est
urgent qu'elle soit dotée des outils d'évaluation nécessaires qui
permettent à la fois un jugement objectif sur l'efficacité du centre,
sa capacité à remplir ses missions et qui contribuent à une
amélioration de son offre.
2) Plus de professionnalisme et d'ouverture La
comparaison d'un centre avec une entreprise culturelle ne va pas sans
conséquences sur la définition des profils du poste des équipes
dirigeantes.
Les personnels des centres culturels et des
instituts se divisent en deux catégories, les personnels rémunérés sur
le titre III et les personnels recrutés locaux.
Les agents
rémunérés sur le titre III occupent les fonctions d'encadrement des
établissements à savoir les fonctions de directeur, directeur-adjoint,
directeur de cours, chargé de mission culturelle, agents comptables...
Ils sont au nombre de 700. Ils peuvent être soit titulaires de la
fonction publique (et très majoritairement des agents de catégorie A),
soit contractuels, soit coopérant du service national (197 sur 700).
Cette dernière catégorie est appelée à disparaître avec la suppression
du service national ; la mise en place du volontariat civil
devrait permettre d'y remédier. Il faudra y veiller vite.
Ces
personnels sont nommés par la direction des ressources humaines du
ministère des affaires étrangères sur la base d'un contrat de la durée
du détachement pour les titulaires de la fonction publique, ou à durée
déterminée pour les contractuels. Les missions sont de deux ans
renouvelables une fois dans un même poste. A l'issue des quatre ans,
les agents peuvent postuler pour une deuxième mission dans un autre
poste.
A côté de ces personnels rémunérés sur le titre III, les
directeurs de centres et instituts peuvent recruter des agents soumis à
la législation locale du travail. Le nombre de ces agents recrutés
localement s'élèvent à 5841. Ils se répartissent en trois
catégories : personnel de service, personnel administratif,
personnel enseignant. Ils sont soit mensualisés (pour 3049 d'entre eux)
soit vacataires (pour les 2432 restants). Leur situation est souvent
très précaire et le contraste avec celle des personnels rémunérés sur
titre III est parfois choquant.
Près d'un tiers des agents recrutés localement est de nationalité française dont 300 titulaires de la fonction publique.
Nous
nous félicitons de l'importance des recrutés locaux, car nous y voyons
plusieurs atouts. Au-delà de l'avantage budgétaire évident - un
recruté local coûte beaucoup moins cher qu'un expatrié - il ne faut pas
négliger celui que représente la possibilité de recruter des personnes
connaissant le milieu local et pouvant mettre immédiatement à la
disposition du centre leur expérience et leur réseau. Il serait faux de
croire - et l'expérience des Alliances le montre - qu'un non-Français
serait a priori moins efficace qu'un agent national pour la promotion
de la culture française. Le choix du coeur provoque en matière
culturelle tout autant de dynamisme et de dévouement que la nationalité.
Le
recrutement des directeurs de centres est un élément important car de
la qualité de ce recrutement dépend l'efficacité et le dynamisme du
centre. La majorité des agents recrutés sur titre III est originaire de
l'éducation nationale. Cette proportion s'élevait à 75% en 1997, ce qui
est à l'évidence un pourcentage trop important.
Il est très
difficile de tracer le profil type de ce que devrait être un directeur
de centre culturel tant on lui demande de compétences : un savoir
culturel éclectique bien sûr mais aussi des compétences de
gestionnaire, d'animateur d'équipe, de négociateur et de communication.
A l'évidence, la sur-représentation de l'Education nationale n'est pas
justifiée, d'autant que la procédure de recrutement a pendant longtemps
été dénoncée comme peu transparente - voire totalement opaque - et
favorisant les choix discrétionnaires.
Depuis l'automne 1998
toutefois, une nouvelle procédure de sélection des candidats a été mise
en place pour permettre une meilleure ouverture et professionnalisation
des recrutements et assurer une meilleure transparence de cet exercice.
Tout
d'abord, les profils de poste à pourvoir sont désormais publiés sur les
sites Internet du Ministère des Affaires étrangères et du Ministère de
l'éducation nationale (Bulletin officiel de l'Education nationale
-BOEN- voir un exemple en annexe). En 1998, les profils publiés ne
concernaient qu'une quarantaine de postes ; en 1999, ce sont tous
les postes qui l'ont été. Pour l'année 2000, les profils des quelque
500 postes d'assistants techniques et de coopérants le sont également
pour la première fois. Ils sont aussi diffusés parmi les personnels des
ministères de la Culture, de l'Equipement, de la Justice, de l'Emploi
et des Affaires sociales et de l'Agriculture. Une annonce a également
été faite cette année par le Ministère des Affaires étrangères sur le
site Internet de « La gazette des communes » à l'intention du
réseau des collectivités locales.
Le Ministère de l'Education nationale a par ailleurs instauré depuis 1998 une présélection de ses propres agents.
Ces
diverses mesures ont fait baisser la proportion des directeurs de
centre issus de l'éducation nationale à 60%. Ce pourcentage est encore
trop important à notre sens car les enseignants n'ont que peu
d'expérience de gestion et ne connaissent souvent qu'une spécialité, à
savoir la langue du pays qu'ils visent. Ce que l'on cherche, c'est
moins des diplomates policés, formés à la rédaction de synthèses et de
comptes rendus, ou des professeurs certifiés ou agrégés que des hommes
et des femmes de projets, des producteurs de réseaux, des agitateurs
d'idées ouverts sur la jeunesse et les cultures étrangères. Ce second
profil doit aller de pair avec la capacité à gérer un établissement,
mais il n'y a aucune contradiction à cela. Certes, on peut cumuler les
deux profils, et l'ancien Président de notre Commission, M. Jack Lang,
en est l'illustration la plus convaincante. Mais le second profil se
rencontre sans doute plus aisément dans les milieux associatifs, les
animateurs de centres dramatiques, les directeurs culturels des
collectivités territoriales, les clubs culturels de toutes sortes et
les entreprises. Il serait donc nécessaire de continuer une
diversification du recrutement vers ces milieux. « En matière
culturelle, le chaos est créateur », nous a un jour rappelé M.
Bruno Delaye. Et les diplomates ou les professeurs sont plus connus
pour préférer l'ordre au désordre, la prudence au risque, la réflexion
à l'action.
Une carence importante dans la gestion des
responsables des centres culturels est l'absence de formation
professionnelle digne de ce nom. Tout ce que nous essayons d'expliquer
sur ce que devrait être l'évolution du rôle des centres culturels
suppose nécessairement un préalable : que leurs responsables
connaissent la langue et la culture du pays, ce qui est loin d'être
toujours le cas. Cela demandera de la part de l'administration centrale
un effort important de gestion prévisionnelle des postes. Il faut
arrêter de désigner des directeurs de centres quelques semaines
seulement avant leur prise de fonction. Une telle désinvolture, outre
qu'elle exprime clairement le manque de considération que l'on porte à
ces fonctions, est source importante d'échecs. Il faut permettre à un
directeur de centre de se préparer à ces futures fonctions en
l'avertissant plusieurs mois à l'avance de son affectation.
Une
réflexion approfondie devrait être lancée sur la formation des
responsables en cours de fonction. En créant les Universités d'été de
l'AFAA, M. Jean Digne avait pour objectif d'améliorer et approfondir la
connaissance entre les acteurs culturels français et le réseau à
l'étranger ainsi que de permettre à chacun des participants de
renouveler ces contacts professionnels et personnels. C'est dans cette
voie qu'il importe de travailler.
Nous l'avons déjà précisé, la
durée de mandat pour un directeur de centre est au maximum de deux fois
deux ans, avec une possibilité d'une seconde nomination dans un autre
poste pour une même durée. Cela veut dire concrètement qu'au bout de
huit ans maximum les personnes assurant ces fonctions doivent songer à
leur reclassement. Une telle limitation de durée - que l'on pourrait
toutefois porter à deux fois trois ans, ce qui était la situation
antérieure ou encore à trois fois deux ans - est une garantie de
renouvellement des agents. Cet avantage a bien sûr une
contrepartie : l'obligation de se séparer de tous, y compris des
meilleurs éléments à un moment où ils ont acquis une forte expérience.
Nous estimons toutefois que le bilan de cette règle est au total
positif et elle ne semble pas représenter un obstacle pour le
recrutement. Une structure spécifique a au demeurant été créée à la
Délégation aux relations internationales et à la coopération du
Ministère de l'Education nationale pour améliorer les conditions de
réintégration en France de ses fonctionnaires au terme de leur mission
à l'étranger. Mais le fonctionnement de cette Délégation ne donne pas
toute satisfaction.
Nous regrettons toutefois l'absence d'un
organisme dans lequel le « corps » culturel à l'étranger
- nous mettons le mot corps entre guillemets car celui-ci n'a aucune
existence juridique - serait représentée pour évaluer, redéployer,
réinsérer ou remettre en fonction des personnes trop souvent
taillables, corvéables, et licenciables à merci. Un tel organisme
contribuerait à une meilleure organisation du personnel du réseau
culturel, un objectif qui ne semble pas prioritaire pour le Quai
d'Orsay...
3) Plus de diversité et d'adaptabilité De
fait, le réseau des centres culturels est assez disparate comme le
laisse entrevoir la diversité des appellations usuelles :
institut, centre culturel, centre culturel et de coopération
linguistique (CCCL), centre culturel et de coopération (CCC). Même si
tous ces établissements à vocations pluridisciplinaires sont régis par
le décret n°76-832 du 24 août 1976, la grande diversité de leurs
statuts locaux ainsi que l'ancienneté de certains accords régissant les
conditions de leur installation et de leur fonctionnement dans les
Etats étrangers, imposent la tenue à jour, pour chaque établissement,
de données précises pouvant servir de référence lorsque des questions
de statut viennent à être posées, notamment au regard des règles
d'emploi, de l'application du droit du travail, de la fiscalité, de la
nature des activités culturelles et linguistiques couvertes par les
accords, ou encore des questions touchant à la propriété et aux baux de
location.
Le problème vient de ce que cette diversité ne
correspond plus aujourd'hui à aucune logique. Le développement des CCCL
à partir de 1993 puis des CCC à compter de 1996 correspondait à la
volonté louable de réunir en une seule main la diffusion culturelle et
linguistique ainsi que la coopération linguistique et éducative.
L'objectif était de favoriser la déconcentration des crédits de
coopération et la cohérence des interventions, et au surplus de générer
des économies de personnel. Mais la réforme des structures issue de la
fusion au 1er janvier 1999 des Ministères des Affaires étrangères et de
la Coopération, ainsi que la réforme des procédures comptables à
l'étranger vers une déconcentration accrue des crédits d'action
extérieure tendent toutes deux à renforcer le rôle de l'Ambassadeur en
en faisant l'ordonnateur secondaire unique des dépenses dans son poste
et en lui donnant la capacité d'exercer pleinement sa mission de
coordination et d'animation de l'ensemble des services de l'Etat dans
le pays où il est accrédité, ce qui est une bonne chose. Dans ce
nouveau contexte, le département ne donne plus suite depuis le début de
l'année 2000 aux demandes d'élargissement des compétences de leurs
établissements dotés de l'autonomie financière tendant à en faire des
CCC.
Le risque nous apparaît grand d'une remise en cause de
l'avancée qu'a constituée en 1993 la prise en compte dans une même main
de la diffusion culturelle et linguistique et de la coopération
linguistique et éducative. Le mouvement de déconcentration engagé par
le Département au profit des chefs de postes ne doit pas se faire au
détriment des directeurs de centres culturels, comme cela semble être
aujourd'hui la tendance.
La recherche d'une diversité
opérationnelle entre les centres doit être en prise directe avec le
contexte géopolitique. Les besoins et les structures sont bien sûr
différents selon les zones où sont implantés les centres culturels. Il
est urgent de définir une stratégie politique pour chaque continent ou
sous-ensembles régionaux, pays par pays, ville par ville. Des
modulations doivent être prévues tant dans le contenu que dans les
modes opératoires. Il existe de par le monde une quinzaine de villes
qui peuvent prétendre être des lieux mondiaux de création
culturelle ; nous nous essaierons à dresser une liste dans notre
conclusion. Il est nécessaire que la France soit fortement présente
dans ces lieux afin de faire connaître la création française et
d'influencer les nouveaux courants.
Mais le renforcement de ces
lieux ne doit se faire au détriment des autres centres culturels. Le
nécessité d'un centre culturel français n'est pas plus ou moins
importante dans une capitale d'un pays africain que dans un pays
développé, elle est autre.
B - Les axes à privilégier
Ce
dont les centres culturels ont aujourd'hui besoin, c'est avant tout
d'une explicitation et d'une valorisation de leur rôle. Il faut en
effet prendre conscience - y compris en France- du caractère
extraordinaire que représente son réseau culturel pour notre pays. En
cette époque où la promotion des nouvelles technologies est parfois
considérée comme une réponse à tous les maux, certains voudraient faire
croire qu'un site virtuel Internet sur la culture française traduit
dans les principales langues pourrait avantageusement remplacer nos
centres culturels et nos alliances françaises. Une telle perspective
dénote un manque d'ambition pour la France et un reniement à l'égard de
son histoire. On peut s'interroger sans fin pour savoir si la France
est ou non une grande puissance économique ou militaire ; en
revanche, la réponse ne souffre pas d'hésitation dans le domaine
culturel dès lors que la France s'ouvre sur le monde, qu'elle révèle
aux autres leur propre culture et coproduit avec eux. De la révolution
des Lumières dans le domaines des idées à l'école de Paris dans celui
de la peinture, la France a toujours jusqu'à ces dernières années
assumé un rôle à la fois d'influence et d'attraction ; le génie
français a toujours été alimenté par les créateurs venus d'ailleurs.
Lorsque l'International Herald Tribune, quotidien de langue anglaise, a
décidé de s'installer en Europe, c'est Paris qu'il a choisi. L'enjeu
des années actuelles et futures est le maintien et la présence de ce
rôle qui, si l'on ne change rien, disparaîtra totalement. Nous voudrions indiquer quels sont selon nous les axes à privilégier.
1) Développer le partenariat La
revalorisation du réseau culturel passe par le développement du
partenariat tous azimuts. Ce partenariat constituera la garantie de
l'adaptation permanente de notre réseau aux problèmes et aux méthodes
du monde actuel. Un centre culturel ne peut plus se contenter de
répondre à des demandes d'aide qui leur sont adressées par des porteurs
de projets. Il doit définir lui-même des projets et des méthodes
d'action et chercher des partenaires culturels ou artistiques pour les
mener à bien. Pour plagier une formule de Jacques Rigaud qu'il
appliquait au mécénat (voir notamment Jacques Rigaud,
« l'exception culturelle, culture et pouvoirs sous la Vème
République », Grasset, 1995), il est temps de passer
d' « une action culturelle de contribution » à une
« action culturelle d'initiative ».
Si les centres
culturels ont quelque chose à apprendre des Alliances françaises, c'est
tout d'abord leur capacité à baigner dans le milieu local. Il faut en
finir avec une conception obsolète d'une culture française à vocation
universelle que nos centres culturels seraient chargés de diffuser au
monde. La culture française ne se visite pas comme un musée ;
certes, l'héritage culturel historique français est d'une richesse
infinie et il est de la responsabilité des centres de faire connaître
cet héritage. Mais la culture française n'est pas simplement une
affaire du passé, elle est vivante et contemporaine, on le constate
tous les jours, notamment par exemple dans le secteur de l'architecture
ou de la danse.
Le
rôle essentiel des centres culturels, qui s'exprime dans leurs
différentes missions, est de privilégier le dialogue et les rencontres
entre la culture française, passée et actuelle, et les cultures
locales. Ce rôle nécessite que le centre culturel baigne dans la
culture locale, qu'il s'en imprègne et qu'il y participe, qu'il mette
en relation des institutions et des cultures. Le premier partenariat à
développer est donc un partenariat avec les collectivités
territoriales, les associations et les entreprises locales (maisons
d'édition, théâtres...). Et si cela signifie que la culture française
ne sera pas exclusivement - voire principalement - diffusée en
français, il faut l'accepter et le souhaiter. Faisons preuve
d'ouverture et de pragmatisme ; donnons aux étrangers des raisons
actuelles d'aimer et d'apprendre à connaître la culture française. La
motivation pour étudier la langue en sera d'autant plus forte.
Un
autre partenariat à développer est celui qui concerne les collectivités
territoriales et les entreprises françaises. Ce partenariat pourrait,
au cas par cas, être développé, à condition que des moyens financiers
puissent y être explicitement dédiés. L'AFAA s'y est essayée en créant
deux types de club : le club des entreprises et le club des
collectivités territoriales ; c'est un exemple à développer et à
suivre. Il faudrait dans cette optique non pas privilégier les
initiatives partant de Paris mais favoriser et aider les demandes
spécifiques nées à l'étranger et les diriger sur d'éventuels
partenaires, sollicités par exemple dans le cadre de coopération
inter-régionales ou inter-communautés territoriales.
Une
meilleure implication des collectivités locales dans la politique
culturelle extérieure doit constituer une priorité. J'y vois au moins
deux avantages : procurer un nouvel apport financier et sortir
d'une atmosphère un peu trop « parisianiste » . Le vieux
cliché selon lequel la France serait un désert culturel en dehors de
Paris est aujourd'hui totalement dépassé. Il faut sans doute encore
mieux faire connaître ce qui se crée en province, dans nos villes
grandes et moyennes avec le soutien actif des régions.
Les
collectivités locales consacrent aujourd'hui autant sinon plus d'argent
que l'Etat à la culture. Elles sont au premier chef intéressées à ce
que les projets spécifiques qu'elles élaborent puissent être également
destinés à l'étranger pour un autre public local. Cela ne signifie pas
que les collectivités territoriales doivent subventionner les centres
culturels à la place de l'Etat qui se défausserait ainsi sur elles de
ses responsabilités. Au contraire, un tel partenariat doit
systématiquement déboucher sur plus de moyens. Notre souci est plutôt
de valoriser ce que font déjà les collectivités locales, de donner à
leurs actions un potentiel supplémentaire et une visibilité encore plus
large. C'est une façon d'enrichir le dialogue de la France avec les
cultures du monde, de contribuer à ce que M. Hubert Védrine appelait
devant l'AFAA « cette polyphonie que nous souhaitons dans le monde
de demain ».
Les
centres culturels auraient également beaucoup à gagner à tisser des
relations étroites avec les universités - et même les collèges et
lycées -, renouant ainsi avec les origines de leur création. Certes,
les universités entretiennent désormais des relations directes entre
elles par delà les frontières. Mais il demeure de multiples
possibilités de rôles pour les centres : une action de promotion
de l'offre universitaire française, en association avec
Edufrance ; un rôle de relais des universités françaises auprès de
leurs homologues étrangères dans le cadre d'échanges, d'intégration de
cursus ; la diffusion de recherches françaises dans des secteurs
ou disciplines pour lesquels des contacts seraient utiles... Nos
centres culturels doivent être capables d'intégrer la dimension
universitaire en proposant la vision du monde de nos philosophes et
sociologues. Pour développer ces liens, il nous semblerait opportun
de mettre à la disposition des grands centres culturels un attaché
universitaire, de formation universitaire, à côté du directeur, par
définition plus polyvalent. Rien de mieux en effet qu'un universitaire
pour s'adresser à ses pairs, surtout s'il a été choisi également pour
son dynamisme et son ouverture d'esprit !
Par exemple, M.
Bernard Cassen a regretté devant nous l'effritement de nos positions en
Amérique latine alors même qu'il existe de nombreuses opportunités pour
la France d'affirmer sa présence face à l'hyperpuissance voisine. Il a
rappelé le rôle important que jouait sur ce continent « Le Monde
diplomatique » en apport de réflexions et confrontations de points
de vue. Ne serait-il pas possible de s'appuyer sur le réseau des
professeurs de français - souvent conjoints de cadres nationaux
importants - en les alimentant en écrits sur les débats de société,
tels qu'ils sont perçus et vécus en France ? Tous ceux qui, à des
titres divers, s'intéressent, de l'étranger, à notre langue et à notre
culture, attendent de nous des images certes, mais aussi de l'écrit et
de la réflexion de fond. La France doit être partout présente dans les
débats concernant les questions que les gens se posent ; son
influence doit s'appuyer sur des réseaux susceptibles de relayer ses
idées.
Bien sûr, ce partenariat peut prendre divers visages.
L'un des plus prometteurs me semble être la signature de contrats Etat,
région, ville et université comme j'ai eu l'occasion de l'expérimenter
avec l'université de Nankin.
Enfin, le développement du
partenariat doit impérativement prendre en compte la dimension
européenne, sur le plan bilatéral et multilatéral. Beaucoup d'actions
communes sont possibles pour intégrer la culture dans la construction
européenne. Nous avons eu l'occasion de rencontrer des responsables du
British Council et du Goethe Institut et avons pu constater que les
problèmes qu'ils rencontraient étaient souvent semblables à ceux de nos
centres culturels. Toute coopération entre eux - et notamment avec le
Goethe Institut dont le réseau est très suivi - ne pourra être que
fructueuse.
Il
serait assez logique au demeurant que la volonté de coopération entre
services diplomatiques et consulaires exprimés au niveau européen, et
qui s'est traduite par différentes formules de gestion intégrée
(Consulat franco-allemand à Calcutta par exemple) ou de partage
d'installations matérielles, ait également une traduction concrète au
niveau des centres culturels. Il nous semblerait très pertinent, dans
certains pays asiatiques notamment, de créer et développer une formule
de centres culturels européens qui présenteraient le double avantage de
mobiliser des ressources plus importantes et de créer une dynamique
culturelle européenne.
Il nous apparaît par ailleurs
indispensable que les budgets conséquents dont disposent les
délégations de la Commission européenne dans les pays tiers soient
utilisés en concertation - et ce serait le moins - avec les ambassades
des Etats membres. L'autonomie dont dispose la Commission en ce domaine
est très choquante ; il y a là une voie de rationalisation et de
d'efficacité importante à explorer.
2) Redéfinir la notion de centre culturel Un
centre culturel est trop souvent conçu comme une vitrine de la France
avant d'être considéré comme un acteur du tissu local dans lequel il
s'insère. L'amélioration de la visibilité du centre culturel sera
d'autant plus grande qu'il saura se transformer en une véritable
plate-forme d'échanges et de production, un lieu de rendez-vous ouvert
aux cultures d'ici et d'ailleurs. Il faut rompre avec l'image d'une
France donneuse de leçons. M. Jean Digne souhaitait que les centres
culturels se transforment en « fabriques d'essai aux ressources
multiples : techniques, logistiques, relationnelles,
informatives... ». C'est vers ce dispositif qu'il faut tendre.
D'ores
et déjà, beaucoup de centres culturels ont réorganisé leur bâtiment
pour créer des espaces de rencontres et d'échanges, qui ne soient pas
seulement limitées à la salle traditionnelle consacrée aux expositions.
Nombreux sont les centres qui ont créé en leur sein des bars ou des
cafés de France ; certains - beaucoup moins nombreux - y ont
ajouté une librairie française, une boutique de produits de
France ; d'autres encore accueillent un restaurant français, une
agence de voyage spécialisée sur la France et organisent des soirées,
que l'on n'hésitait pas à intituler rave-parties à Mexico. Ce dernier
centre culturel va jusqu'à abriter dans ses locaux une école de mode et
une autre de gastronomie. Certains centres accueillent également de
jeunes artistes en résidence pour quelques semaines.
Bien sûr,
tous les centres culturels ne peuvent accueillir autant d'équipements
et ce dispositif n'est pas applicable dans son intégralité et à
l'identique dans tous les contextes. Gardons-nous de faire tout et
n'importe quoi et cette garantie repose sur la personnalité du chef de
centre. Il faudrait tout au moins que les instituts situés dans les
quinze grandes agglomérations qui comptent le plus en matière de
création culturelle de par le monde puissent constituer ces prototypes
de nouveaux centres culturels et tester ces nouvelles pratiques
d'échanges et de confrontations, de mises en relation des acteurs
français et étrangers. Dans ces villes, nous ne sommes pas actuellement
au niveau ; il faudrait aujourd'hui y aller avec un plan
quinquennal de développement à élaborer avec les centres culturels.
« La
vitrine culturelle au pavillon national devrait laisser place à des
formes inédites de connivences où chaque partenaire se sentirait chez
lui tout en étant un peu ailleurs » souhaitait devant nous M. Jean
Digne. C'est là un objectif pour les années à venir : redonner
sens et vie à nos centres culturels, en faire des lieux de médiation et
de confrontation animés, des foyers de création susceptibles d'attirer
les jeunes générations des 18-30 ans.
Certains
sont très réticents devant cette évolution car ils craignent le risque
de « phagocytage » ou de dilution de l'action du centre
culturel. Cette crainte ne nous apparaît pas justifiée, dès lors que
notre action s'inscrit dans un projet politique fort. Ce n'est pas du
« saupoudrage » que nous préconisons, mais au contraire des
actions visibles et permanentes qui nous feront considérer comme un
partenaire imaginatif et fiable.
3) Identifier une tête de réseau La
revalorisation du réseau culturel passe nécessairement par une refonte
de l'organisation et des moyens. Il est nécessaire d'identifier
clairement une instance de commandement et d'élaboration d'une
stratégie qui n'apparaît pas aujourd'hui.
En ce qui concerne
l'organisation, la principale faiblesse à laquelle il conviendrait de
remédier est celle de l'interministériel. Alors que l'action culturelle
extérieure devrait être un domaine partagé entre les Ministères des
Affaires étrangères, de la Culture, de l'Education nationale, de la
Recherche, le Quai d'Orsay veille jalousement à conserver un
quasi-monopole en la matière. Les tentatives de rapt n'ont cependant
pas manqué, de Malraux en 1959 à Jack Lang dans les années 80, mais
elles ont toutes échoué. M. Michel Debré explique dans ses Mémoires le
refus qu'il a opposé à Malraux : « Je n'ai pas voulu céder à
sa demande de lui confier la direction des Affaires culturelles qui
demeure au Quai d'Orsay, car il me paraît indispensable de conserver
l'unité de notre action à l'étranger. Son génie n'a pas besoin de ces
services pour affirmer la présence culturelle de la France hors de nos
frontières ! ». L'argument, toujours repris, de la nécessaire
cohésion de notre diplomatie, dont l'action culturelle ne serait qu'une
modeste partie, a servi abondamment pour maintenir la suprématie du
Quai d'Orsay. Encore aujourd'hui, ce dernier est prompt à alléguer
certain arrêté du 22 Messidor an VII - dont M. Xavier North a écrit non
sans humour qu'il est « à la diplomatie ce que le droit divin
était à la noblesse d'Ancien régime »- pour se réserver
l'exclusivité des rapports avec l'étranger et exiger un entier contrôle
de l'ensemble des moyens de l'action extérieure.
Cette situation
d'exclusivité est parfois dommageable car elle entraîne par réaction
des comportements de contournement de la part des autres ministères et
des collectivités locales essayant malgré tout, par le truchement
d'associations diverses, de mener des actions de coopération culturelle.
Le
renforcement de l'interministériel pourrait prendre de multiples
visages : création d'une délégation interministérielle à l'action
culturelle extérieure, mise en place d'un Haut conseil à l'action
culturelle à l'étranger qui associerait les représentants de la société
civile, ou encore constitution d'une Agence en charge des centres
culturels à l'étranger et des alliances françaises associant au sein de
son conseil d'administration les divers ministères concernés, ou plus
simplement encore, maintien de la structure actuelle mais mise en place
de procédures identifiées de concertation. Il ne nous appartient pas de
trancher en la matière. Le pragmatisme doit primer mais il faut que le
Quai d'Orsay, qui met volontiers en avant les risques de dilution de
responsabilité qu'entraînerait toute remise en cause de ses
compétences, fasse preuve de plus d'ouverture et de concertation à
l'égard des autres ministères.
CONCLUSION
Nous
avons essayé dans ce rapport de souligner une urgence de redonner à
notre réseau culturel une dynamique et une cohérence, de l'animer d'un
nouveau souffle qui lui donne la possibilité de promouvoir une vision
actuelle et vivante de la culture française. La notion d'exception
culturelle, inventée par la France pour exprimer sa philosophie de la
culture et combattre une approche purement commerciale, doit aller de
pair avec une ouverture au monde qui fit jadis la grandeur de la
France. « Sinon, prédit Jacques Julliard, nous deviendrons un pays
de petits frileux rabougris, ou un dernier carré de souverainistes
quinteux tisanneront leurs imparfaits du subjonctif dans l'indifférence
de l'univers ».
Notre mode de fonctionnement est, par
certains côtés, une pesante machinerie qui se retourne parfois contre
la culture et la stérilise. « La propagande culturelle, en
prétendant le promouvoir, écrase le principe du rayonnement
français. » écrivait M. Marc Fumaroli dans son ouvrage déjà cité
sur l'Etat culturel. « Or c'est ce naturel français éclipsé, c'est
sa capacité traditionnelle de répondre avec esprit au défi des
modernités successives, que le monde souhaite reconnaître et retrouver
en France, dont le monde a besoin. Un énorme bonnet d'âne
bureaucratique nous stérilise et paralyse, loin d'être notre émanation
et notre manifestation ». Certains voudraient en conséquence
tailler dans ce réseau et proposent la fermeture de divers centres.
C'est là une attitude de courte vue qui revient à « jeter le bébé
avec l'eau du bain ». Les centres culturels et les Alliances
françaises constituent un privilège de puissance que la France aurait
tort de vouloir détruire. Le véritable défi est d'introduire des
méthodes plus souples, une organisation plus décentralisée, des
démarches plus spontanées et les moyens financiers correspondants aux
projets politiques.
Le nouveau directeur général de la
coopération internationale et du développement, M. Bruno Delaye, nous a
fait part de sa détermination pour actualiser le fonctionnement des
centres culturels, pour lancer un nouveau projet avec l'intervention
directe des personnels concernés et pour retrouver ensemble le
dynamisme auquel ils aspirent. Nous lui faisons confiance et espérons
qu'il trouvera dans ce rapport quelques idées à reprendre et mettre en
application.
L'ancien directeur général, M. François Nicoullaud,
a vécu une dure période de réformes. Il faut saluer le courage du
Ministère des Affaires étrangères et de ses fonctionnaires d'avoir
ainsi osé apporter une pierre à la réforme de l'Etat. Une étape a été
franchie, il faut maintenant aller jusqu'au bout. Il faut désormais
donner du sens, du contenu à un projet si l'on ne veut pas qu'il
demeure à un stade purement institutionnel et ouvre la porte aux coupes
budgétaires. Le Gouvernement, par la voix du Premier ministre et des
Ministres, ont déjà fait part d'un certain nombre d'idées ; la
traduction reste à faire pour les inscrire dans un projet lisible.
Vous
l'avez certainement compris, ce rapport a été écrit avec la volonté de
mettre en cohérence le discours, les ambitions avec les actes. La
réforme, c'est désormais définir une démarche avec les acteurs
eux-mêmes, c'est construire. Jusqu'à maintenant, on a trop donné le
sentiment qu'on remettait en cause, qu'on demandait plus sans définir
quoi et avec quels moyens. Pour réussir le renouveau de l'action
culturelle extérieure, il faut d'abord être crédible à l'intérieur du
réseau et démontrer à l'extérieur que l'on sait bouger, créer, avancer
en accord avec un monde qui bouge, crée, avance.
Faisons
confiance à tous ceux qui composent le réseau, associons-les vite au
projet, mobilisons les sur des objectifs clairs et explicites, et l'on
verra que nous détenons les meilleures des ressources, celles des
compétences et des passions au service d'une belle cause.
En
guise de conclusion, nous rappellerons une dernière fois les
recommandations sur lesquelles nous avons insisté tout au long de ce
rapport, les actions prioritaires qu'il nous semble aujourd'hui urgent
d'entreprendre :
1. Rédiger le texte fondateur d'une politique culturelle extérieure.
Ce texte devra réaffirmer les ambitions de la France et les préciser.
Il ne devra pas se limiter à définir quelques axes de coopération avec
les pays étrangers mais définir un projet politique : pour la
France bien sûr, mais aussi pour sa jeunesse et pour l'Europe. Il devra
définir le rôle nouveau que la France entend jouer dans le monde
d'aujourd'hui. On peut certes considérer que ce texte est de niveau
ministériel - et il a déjà en partie été élaborée par les interventions
successives de M. Hubert Védrine - mais il faudrait que son contenu
fasse l'objet d'une communication du Gouvernement au Conseil des
Ministres, de préférence avant l'été, ou à la rentrée de septembre. Le
Premier ministre pourrait ensuite le présenter solennellement au réseau
lors d'une rencontre réunissant l'ensemble des conseillers, des
directeurs de centres culturels et des alliances françaises.
2. Elaborer le projet du réseau culturel. Ce
travail est bien sûr de la compétence de la Direction générale de la
coopération internationale et du développement mais cet exercice n'aura
d'intérêt que s'il est l'expression d'une démarche radicalement
différente de ce que l'on fait d'habitude : il devra être
l'expression du réseau lui-même. La méthode d'élaboration est une
question essentielle : ce projet devra être arrêté en commun et
mettre en son coeur les moyens humains. Nous insistons tout
particulièrement sur ce point, ce projet devra être le projet du réseau
et non un projet pour le réseau, le tout bien sûr dans le respect du
cadre politique défini précédemment. Le temps du projet sera ainsi
celui de la remobilisation et de la rénovation.
3. Organiser une tête de réseau de façon plus lisible et plus forte. La
tête du réseau, c'est à la fois du politique et de l'opérationnel. Pour
être politique, cette tête de réseau devra être composée de
personnalités reconnues, diversifiées, à la fois de terrain et de
réflexion. Pour être opérationnelle, cette tête de réseau devra être
une « mission » en prise directe avec l'ensemble des
partenaires concernées : ministères (affaires étrangères, culture,
éducation, équipement,...), collectivités territoriales, entreprises,
syndicats, Europe, UNESCO, agences et instituts nationaux et
internationaux. La position de cette mission dans l'organigramme
administratif m'apparaît secondaire : elle peut être placée
indifféremment auprès du Premier ministre, du Ministre des Affaires
étrangères ou du Directeur de la coopération internationale et du
développement, cela a peu d'importance. Ce qui lui faut en priorité,
c'est un minimum de moyens et de crédibilité.
4. Etablir un audit complet de notre réseau culturel en termes de moyens physiques et de personnel.
Construire un plan de redressement financier pour les cinq années à
venir sur une base minimum de 500 millions de francs de mesures
nouvelles.
5. Clarifier les rôles. J'ai
déjà longuement insisté sur cette question dans le corps de ce
rapport : il importe de savoir qui fait quoi., en responsabilisant
au maximum les directeurs de centres. Il faut que chacun connaisse la
règle du jeu qui ne peut être fondée que sur un double principe :
le principe d'autonomie et le principe de responsabilité pour les
directeurs de centre culturel. Il y a urgence à intervenir en la
matière si l'on ne veut pas décourager les meilleurs.
6.
Moduler volontairement les modes, types et géographie d'intervention
des centres culturels en fonction des continents, des pays et des
villes. A un certain moment, il faut viser le sur mesure. Qui
peut-nous dire aujourd'hui en quoi consiste notre politique culturelle
en Europe, en Allemagne ou en Afrique ? Là encore, pour faire cet
exercice, il faut aller sur le terrain, parler aux responsables du
réseau mais aussi aux interlocuteurs étrangers afin de définir une
stratégie régionale adéquate. Je sais que l'on a déjà commencé à le
faire, c'est une pratique qu'il convient de systématiser et
généraliser. L'étude des missions des centres devraient permettre
d'établir une typologie qui distinguerait, par exemple :
- les établissements symboliques (voir ci-dessous) ; -
les antennes en milieu universitaire destinées à séduire les futurs
décideurs là où ils sont, c'est à dire les universités et les grandes
écoles, et centrées sur un ensemble associant un centre de ressources
(médiathèque) et un lieu convivial ; - les maisons de
coopération culturelle installées dans les pays de la zone de
solidarité prioritaire, dans lesquels l'absence de structure locale
nous oblige à une présence forte, et qui développeraient des gammes
d'activités allant de l'enseignement du français dans les pays où c'est
utile à l'organisation de spectacle, tout en servant de relais aux
diverses formes de coopération souhaitées par le poste ; - les
antennes culturelles légères à vocation spécialisée qui compléteraient
le dispositif dans certains pays, dans certaines villes à vocation
marquée.
7. Identifier la
quinzaine de villes au monde où la création culturelle est très forte
(Rio, Sao Paulo, Mexico, New-York, San Francisco, Los Angeles, Chicago,
Montréal, Berlin, Munich, Francfort, Londres, Milan, Barcelone, Madrid,
Shanghai, Bangkok, Moscou, Saint-Pétersbourg, Tokyo, Hongkong,
Sydney...) et calibrer nos centres à un niveau qui leur permette d'être
réellement à la hauteur. Plutôt que de fermer les yeux sur ces
enjeux majeurs en réduisant chaque année leurs moyens budgétaires,
sachons être lucides et aller jusqu'au bout de notre discours en
mettant en place les outils et les moyens pour agir comme un vrai
partenaire, reconnu comme tel par nos interlocuteurs étrangers. Ces
centres « symboliques » constitueraient les relais
opérationnels de nos services selon une gamme d'activités plus ou moins
complètes, allant des cours sur objectifs aux programmes culturels
organisés « hors les murs ».
8. Identifier les champs d'action et les partenaires.
La politique culturelle, comme la politique environnementale, doit
s'appuyer sur la connaissance des milieux et la gestion des ressources.
Il s'agit de répondre aux questions que nous avons soulevées dans ce
rapport, dont nous ne rappelons ici que les principales. Comment
associer le monde universitaire et sur quels domaines ? Quel type de
partenariat construire avec les régions, les villes (écriture d'une
charte) et l'UNESCO ? Comment la France conçoit-elle sa politique
culturelle en articulation avec sa dimension européenne ? Comment,
au-delà de l'AFAA, mieux connecter les centres culturels avec la
création contemporaine, grâce notamment à une meilleure association
avec les grands musées, les établissements comme La Cité des Sciences
ou le Palais de la Découverte ? Comment mieux intégrer les champs
scientifiques et techniques ? Comment travailler efficacement sur le
patrimoine urbain et la gestion des villes ?
9. Animer et faire vivre le réseau des centres en lui fournissant les informations dont il a besoin,
par exemple : le fichier des étudiants français dans les universités
étrangères, le fichier des anciens et actuels étudiants et boursiers
étrangers en France, le fichier des étudiants en thèse dont le sujet
intéresse directement un pays, le fichier des professeurs de français
dans les pays étrangers.
Telle est l'ossature du plan d'action
que nous proposons au ministère des Affaires étrangères et à la DGCID.
A eux maintenant d'aller plus loin. Encore une fois, il est
inadmissible que l'on en soit à gérer un repli de notre réseau alors
que la priorité nous semble au contraire de le densifier dans des pays
à privilégier délibérément.
Juillet 2008
Démission diplomatique
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