«Il faut empêcher la lapidation de Sakineh»
PAR WOLE SOYINKA, BERNARD-HENRI
LEVY, PATRICK MODIANO, MILAN KUNDERA, JORGE SEMPRUN , SÉGOLÈNE ROYAL,
RACHIDA DATI, SIMONE VEIL, MARJANE SATRAPI,
JULIETTE BINOCHE, MIA
FARROW, BOB GELDOF, TASLIMA NASRIN, AYAAN HIRSI ALI, JODY WILLIAMS,
ELISABETH BADINTER...
Libération publie
un appel d'intellectuels pour sauver cette femme iranienne condamnée à
la peine capitale par lapidation par le régime. A lire aussi dans
Libération en kiosque et dans notre zone abonnés lundi trois pages sur
le sujet.
«Sakineh Mohammadi Ashtiani attendait dans la prison de Tabriz, dans
l’ouest de l’Iran, où elle croupit depuis cinq ans, la réponse à une
demande de réexamen de son cas –prévue, initialement, pour le 15 août.
Son “crime” (qu’elle n’a avoué, rappelons-le, que sous la torture et
qui consisterait, selon ses accusateurs, à avoir eu deux relations
amoureuses hors mariage) avait déjà été puni par 99 coups de fouet
administrés en présence de l’un de ses deux enfants. Mais voilà qu’une
nouvelle et nébuleuse accusation a débouché, il y a quelques mois, sur
une condamnation à mort –et pas n’importe quelle mort puisqu’il devrait
s’agir d’une mort par lapidation!
«L’opinion internationale, touchée par l’horreur de cette menace qui
pèse sur Sakineh, attendait avec elle la révision d’un verdict aussi
inique que barbare quand, le 11 août au soir, se produisit l’un de ces
coups de théâtre dont l’Iran commence à être coutumière: le régime
diffusait à la télévision, dans une émission de grande écoute, les
prétendus “aveux” de la jeune femme qui, couverte par un tchador noir
qui ne laissait voir que son nez et l’un de ses yeux, tenant une
feuille de papier entre les doigts comme si elle récitait une leçon mal
apprise, une voix off en farsi couvrant sa propre voix qui s’exprimait
dans sa langue maternelle, l’azéri, confessait sa supposée “complicité”
dans le meurtre de son mari.
«Son actuel avocat, Hutan Kian, a affirmé que cette déclaration,
contraire à toute vraisemblance, a été arrachée à nouveau sous la
torture, et rapporte que les enfants de Sakineh sont, quant à eux,
“complètement traumatisés” par l’émission. Outre le fait que l’on peut
avoir des doutes sur l’identité de la femme qui est apparue ce soir-là
sur les écrans, dissimulée sous un tchador étonnamment couvrant, ces
propos vont par ailleurs clairement à l’encontre de ceux rapportés par
le Guardian, la semaine dernière, et où Sakineh expliquait que les
autorités iraniennes l’avaient déjà, en 2006, lavée de cette accusation
infâme; qu’elles mentaient donc sciemment en revenant ainsi sur une
charge abandonnée depuis longtemps et ce dans le seul but de semer la
confusion dans les médias et de les préparer à une exécution à la
sauvette; et que la “justice” ne s’obstinait sur son cas que “parce
qu’elle est une femme” et qu’elle vit “dans un pays où les femmes sont
privées de leurs droits les plus élémentaires”.
«Ne
pas fermer les yeux sur une mise en scène aussi grossière»
«Que Sakineh soit privée de ses droits les plus élémentaires, cela
ressort du fait qu’elle n’a même pas eu droit, dans cette affaire, à un
jugement limpide, dans une langue qu’elle puisse comprendre: “Quand le
juge a prononcé la sentence, a-t-elle déclaré au Guardian, je n’ai même
pas réalisé que j’allais être lapidée à mort car j’ignorais ce que
signifiait le mot “rajam”; ils m’ont demandé de signer la sentence, ce
que j’ai fait, et quand je suis retournée en prison et que mes
codétenues m’ont avertie que j’allais être lapidée, je me suis
immédiatement évanouie.” Cela est confirmé par les mésaventures de son
ancien avocat, Mohammad Mostafaei, qui avait attiré l’attention
internationale sur son cas et qui s’est vu, pour cela, menacé
d’emprisonnement (il n’a dû son salut qu’à la fuite en Turquie où il
attend un visa pour la Norvège –mais non sans que son épouse, Fereshteh
Halimi, ait été retenue en otage et emprisonnée). Cela est enfin
attesté par le fait que, nonobstant l’horreur de la chose même, et
quitte à entrer dans les détails les plus scabreux, une mise à mort par
lapidation n’est possible en “droit” iranien que lorsque la famille de
la victime en fait la demande (ce qui, dans le cas de Sakineh et de sa
famille, n’est pas le cas).
«Mais par-delà ces considérations dans lesquelles nous n’avons ni le
goût ni peut-être, désormais, vraiment le temps d’entrer, il est urgent
d’intervenir pour empêcher une mise à mort dont les observateurs de la
scène iranienne ont tout lieu de redouter l’imminence. Il est urgent de
répondre à l’appel des enfants de Sakineh, Fasride et Sajjad Mohammadi
Ashtiani, nous adjurant de ne pas fermer les yeux sur une mise en scène
aussi grossière et de ne pas laisser leur “cauchemar devenir réalité”.
Il est urgent d’exiger des autorités, pour Sakineh, le renoncement à
toute forme d’exécution, une remise en liberté sans délai et la
reconnaissance de son innocence. Des dizaines de femmes sont, chaque
année, en Iran, condamnées au fouet, à la lapidation ou à d’autres
peines dont la barbarie glace, tout autant, les sangs: il est urgent,
au-delà même du cas de Sakineh, que l’ONU rappelle au régime des
mollahs les promesses faites, en 2002 et en 2008, quant à l’abolition
de ce type de châtiments. La vie d’une femme est jeu. La liberté et la
dignité de milliers d’autres se jouent également là. Et il s’agit enfin
de l’honneur d’un grand pays, doté d’une culture aussi magnifique
qu’immémoriale, et qui ne peut se voir résumer, sous les yeux du monde,
au visage ensanglanté, réduit en bouillie, d’une femme lapidée. Pitié
pour Sakineh. Pitié pour l’Iran.
Les
premiers signataires
Wole
Soyinka, Bernard-Henri Lévy, Patrick Modiano, Milan Kundera, Jorge
Semprún, Ségolène Royal, Rachida Dati, Simone Veil, Marjane Satrapi,
Juliette Binoche, Mia Farrow Bob Geldof, Taslima Nasrin, Ayaan Hirsi
Ali, Jody Williams, Sussan Deyhim, Yann Richard, Elisabeth Badinter...
Le site de BHL est ici.
Août
2010
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