En finir avec la peur de l'autre, la leçon de l'historien Pap
Ndiaye
Par Frédéric Joignot
En
2010, la planète a continué sa course folle propulsée par le moteur aux
trois visages mondialisation-occidentalisation-développement
qu'alimentent science, technique, profit sans contrôle ni régulation.
Nous
le savons tous, nous vivons dans une société multiculturelle,
multiconfessionnelle, mondialisée, où la cohabitation peut s'avérer
difficile. Cette réalité implique une politique attentive au
vivre-ensemble qui ne va pas sans heurts, sans peur, sans crainte des
ghettos communautaires, sans réactions racistes.
C'est pour
discuter de cette situation que Frédéric Joignot, du "Monde Magazine",
a rencontré l'historien Pap Ndiaye, maître de conférence à l'Ecole des
hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur de La Condition
noire. Essai sur une minorité française (Calmann-Lévy, 2008), où il
montre combien l'ostracisme envers les Noirs résiste dans la société
française, même s'il ne se dit plus "racial".
Que nous dit Pap
Ndiaye ? D'une part, il constate la montée d'un nouvelle extrême
droite européenne, qui brouille les pistes : "Ces mouvements ne
s'appuient plus explicitement sur l'appareil idéologique ouvertement
raciste issu du premier XXe siècle, mais sur la défense radicale de
thèmes souvent marqués à gauche, en tout cas clairement opposés aux
obsessions recuites de l'extrême droite historique : les 'valeurs
républicaines', la laïcité, les droits des femmes, voire des
homosexuels, etc., menacés par 'eux'. Le 'eux' incluant les immigrés
post-coloniaux et leur descendance, dont on déplore avec hypocrisie le
'manque d'intégration', le 'comportement délinquant', etc."
Pap
Ndiaye rappelle aussi que tous les clichés de la nouvelle extrême
droite sur l'impact économique désastreux de l'immigration – qui
volerait du travail aux nationaux – comme sur une nouvelle "invasion"
associée aux crises politiques et au réchauffement climatique ont été
contredits par toutes les enquêtes.
Pap Ndiaye montre encore que
ces discours sur l'immigré incapable de s'intégrer et d'accepter les
mœurs ou la démocratie européenne supposent un Autre à jamais
"étranger", borné et incapable de changer ou d'apprendre. "Une telle
conception néglige les changements profonds que connaissent les pays et
les populations du Sud avec la mondialisation du commerce, l'incroyable
brassage des cultures et des informations via Internet, l'urbanisation
rapide, la diffusion massive des nouvelles technologies de
communication. Une telle vision méconnaît encore ce que l'expérience
migratoire apporte aux migrants, les bouleversements qu'elle suscite,
les reconfigurations culturelles, religieuses, familiales, et ses
effets sur les cultures européennes, particulièrement celles des jeunes
urbains."
Enfin,
sans renier les problèmes soulevés par le "vivre-ensemble" dans une
société multiculturelle, Pap Ndiaye soutient la nécessité d'une
politique qui défendrait certains droits d'expression des minorités."
Mars 2011
Abonnez-vous au Monde
Retour à la Culture
Retour au sommaire
|