Danse Contemporaine D'Afrique à la Villa Médicis de Rome
Par Isabelle Calabre et Africultures
Ils
sont huit. Huit chorégraphes et danseurs du continent africain qui, en
septembre dernier, ont partagé une résidence de création à la Villa
Médicis de Rome. Une triple première : pour la première fois,
l'Académie de France s'ouvrait aux activités chorégraphiques ;
pour la première fois, elle accueillait des artistes africains ;
pour la première fois, huit créateurs tentaient un audacieux
pari : réaliser une performance conçue et interprétée
collectivement dans les jardins de la Villa.
Le
résultat le 15 septembre au soir, sur une partition commandée à
deux musiciens pensionnaires, Malik Mezzadri et Gilbert Nouno, fut dans
ses surprises comme dans ses réussites à la hauteur du travail
accompli. Pourtant, rassembler sur un même projet ces huit artistes
semblait un véritable défi tant ils sont divers dans leur parcours et
leur formation. Le Tunisien Radhouane El Meddeb est venu à la danse par
le biais du théâtre. Ses compatriotes Saifeddin et Oumaima Manaï sont
passés par le Sybel Ballet Théâtre fondé par Syhem Belkhodja, à Tunis,
avant de se former l'un à la danse contemporaine au Centre national de
la Danse (CNDC) d'Angers, l'autre au Performing Arts Research and
Training Studio (PARTS), l'école que dirige Anne Teresa de Kersmaeker
en Belgique. Le hip hopeur algérien Ahmed Khemis, ancien élève lui
aussi du Sybel Ballet et du CNDC d'Angers, a été interprète dans les
compagnies de Montalvo-Hervieu, Georges Momboye, Akhram Khan, Salia
Sanou et Seydou Boro. La Haïtienne Kettly Noël, auteur reconnu de
nombreuses pièces, est la fondatrice à Bamako de l'Espace et de la
compagnie Donko Seko, qui organise chaque année le festival Bamako
Dense Bamako Danse. Le Malien Aly Karembé est l'un de ses ex-élèves,
devenu depuis formateur et passé à la création en solo. La
Sud-Africaine Nelisiwe Xaba a travaillé avec Robyn Orlin et dans des
compagnies londoniennes contemporaines. Enfin le Malgache Junior
Zafialison, lauréat de la dernière biennale Danse l'Afrique danse, a
été formé en danse classique, africaine et hip hop avant de s'initier
au contemporain chez Bernardo Montet à Tours. Rien de commun entre eux,
donc, sinon une même origine africaine et la volonté d'échanger
ensemble expériences et pratiques dans un lieu choisi.
L'idée de cette collaboration inédite est due au responsable du mécénat
et des activités chorégraphiques de l'Académie de France, Karim
Maatoug. Né en Tunisie, de formation scientifique, ce fan de cinéma
fait à Tunis la rencontre de Sihem Belkhodja qui dirige l'École de
cinéma et est enrôlé dans l'organisation des premières Rencontres de
Carthage. Après avoir enrichi son parcours d'un Diplôme d'études
spécialisées (DESS) de management culturel à Paris, Karim travaille
notamment pour Cultures France, où il s'occupe de la biennale Danse
l'Afrique danse. En poste depuis trois ans à la Villa, il a souhaité,
avec l'appui du directeur Éric de Chassey, lui-même amateur de danse,
rendre hommage aux artistes africains et faire connaître leur travail.
S'appuyant sur les trois missions dévolues à l'institution
romaine : résidence d'artistes, programmation culturelle et mise
en valeur du patrimoine de la Villa, il a convié huit danseurs et
chorégraphes à s'inspirer des lieux pour créer en commun une
proposition unique. Confrontant à dessein les "pionniers" - Kettly
Noël, Nelisiwe et Radhouane - à la jeune génération, pour susciter de
nouvelles perspectives, il a misé sur la force d'un travail de groupe.
Le résultat escompté n'était pas seulement d'ordre artistique : il
s'agissait aussi de "créer des liens pour renforcer les réseaux et
institutions existants". De plus, le rayonnement hors les murs de la
manifestation devait contribuer à faire exister, aux yeux des
spectateurs italiens, une danse contemporaine africaine jusqu'alors
quasiment ignorée. D'où l'idée de doubler l'événement par une série de
représentations en plein cœur de Rome, les 19, 20 et 21 septembre,
où chacun des chorégraphes a interprété un solo. Selon Éric de Chassey,
pareille initiative répond tout à fait à la vocation de développement
culturel de l'Académie : "La composante africaine de la population
italienne et française appelle aujourd'hui un regard croisé",
explique-t-il. "Nous avions envie de montrer ce qui bouge sur ce
continent, d'offrir une vision dynamique à un paysage culturel romain
en pleine mutation.". Signe de son acuité, la démarche a aussi suscité
l'intérêt de la fondation Total dont la déléguée générale, Catherine
Ferrant, était venue à Rome suivre la manifestation.
Après un premier temps de mise en commun des idées et intentions, les
répétitions - chaleur romaine oblige - se sont déroulées dans le Grand
Salon ouvrant sur la Loggia plutôt que dans les jardins écrasés de
soleil. Dans une ambiance d'expérimentation permanente, les points de
vue chorégraphiques se sont confrontés. Tandis que Nelisiwe Xaba
trouvait "difficile et compliqué de travailler avec d'autres
créateurs", Radhouane constatait : "La générosité du don physique,
l'exhibition de soi ne suffisent pas. Je suis pour une danse qui porte
du sens, de la pensée, de la dramaturgie, et j'essaie d'apporter ici un
fil narratif. De réaliser l'unité.". Au jour J, pourtant, toutes les
tensions semblaient s'être miraculeusement résorbées. Le spectacle in
situ alternait les interventions dansées des uns et des autres au fil
d'un parcours entre allées et bosquets. On retiendra quelques moments
forts, comme ces images troublantes de Junior chevauchant
successivement les chevaux de marbre des jardins, Ali plongeant dans la
fontaine de pierre, ou les huit évoluant ensemble dans le parterre
central. En mettant en commun leur écriture et leurs références, tous
ont donné à voir une large palette des expressions chorégraphiques en
provenance d'Afrique, et fait la démonstration d'une danse impliquée,
ouverte sur tous les ailleurs.
L'aventure, c'est probable, aura des suites fructueuses. Ne serait-ce
qu'en suscitant - pourquoi pas ? - la venue d'artistes africains
parmi les pensionnaires, comme l'espère le directeur de la Villa, qui
souligne : "Les candidatures sont ouvertes à tous, étrangers
compris. Il suffit juste de parler français !"
Octobre 2011
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