Pourquoi j'ai dévoré le dernier Rifkin
Par
Anne-Sophie
Jeremy
Rifkin est en France ces jours-ci pour présenter son dernier ouvrage,
La Troisième Révolution Industrielle. J’ai eu la chance de lire son
ouvrage en avant-première… et je l’ai dévoré en quelques heures
seulement. Voilà pourquoi.
PARCE
QUE RIFKIN EST UN ÉCONOMISTE DE SON TEMPS
Jeremy Rifkin est un économiste de son temps, il est même en avance sur
son temps. Profondément ancré dans les réalités d’aujourd’hui, il
décrit le XXIe siècle que je rêve de voir émerger un jour.
Son concept de Troisième Révolution Industrielle (TRI) est celui d’un
nouveau paradigme économique qui va ouvrir l’ère post-carbone. En
décortiquant les grandes révolutions économiques et les deux
précédentes révolutions industrielles, il fait le lien entre
l’apparition de nouvelles technologies de communication et la mise en
place de nouveaux systèmes énergétiques (hier imprimerie/charbon ou
ordinateur/ ; aujourd’hui Internet & les énergies
renouvelables).
Que se passe-t-il aujourd’hui ? La Seconde Révolution Industrielle
se meurt, laissant peu à peu place à un avenir proche où les humains
génèreront leur propre énergie verte. Pire, ils la partageront comme
ils créent et partagent déjà leurs propres informations sur Internet.
Ainsi qu’il l’explique en début d’ouvrage :
« Dans l’ère qui vient, des centaines de millions de personnes
produiront leur propre énergie verte à domicile, au bureau, à l’usine,
et ils la partageront entre eux sur un « internet de
l’énergie », exactement comme nous créons et partageons
aujourd’hui l’information en ligne.
La démocratisation de l’énergie s’accompagnera d’une restructuration
fondamentale des relations humaines, dont l’impact se fera sentir sur
la conception même des rapports économiques, du gouvernement de la
société, de l’éducation, des enfants et de la participation à la vie
civique ».
La solution pour survivre dans ce nouveau contexte : mettre Adam
Smith à la retraite. Analysant avec pertinence l’influence de la pensée
de Newton et la manière dont la philosophie des Lumières ont façonné
les modes de raisonnement de l’économie classique, Rifkin souligne les
insuffisances actuelles de ce système de pensée :
« L’idée même que l’accélération de l’activité économique pouvait
avoir pour résultats un environnement dégradé et un sombre avenir pour
les générations à naître eût été inconcevable ».
Conséquence ? La théorie économique a perdu sa
pertinence. Nous devons sortir de la notion de productivité, et
revoir notre prisme d’analyse des réalités de ce monde !
PARCE
QU’IL A BIEN CERNÉ LA PROBLÉMATIQUE ÉNERGÉTIQUE
Comment ? En sortant de la notion de productivité et en réalisant
qu’aller plus vite ne fait pas économiser d’énergie. Toute grande ère
économique se caractérise par l’introduction d’un nouveau régime
énergétique. Et toute activité économique est un emprunt aux réserves
énergétiques et matérielles de la nature.
La crise énergétique, le changement climatique et le développement
durable représentent un triple défi.
Ces défis seront relevés en mettant fin à une énergie divisée pour
laisser place à une énergie distribuée. Pour cela, la TRI repose sur 5
piliers fondateurs :
1. Le passage aux énergies
renouvelables.
2. La transformation des bâtiments
sur chaque continent en mini-centres énergétiques, créant de nombreux
emplois.
3. La possibilité donnée à chaque
bâtiment de conserver cette énergie.
4. L’utilisation de la technologie
internet pour créer un réseau similaire d’énergie. Chaque bâtiment
ayant de l’énergie en trop pouvant la vendre sur ce réseau.
5. La création de réseaux
électriques continentaux dans lesquels les véhicules électriques
puissent vendre leurs surplus d’énergie en se branchant à une prise,
tout en étant garés.
Vaste programme qui a une chance : la crise économique est une
véritable opportunité, l’économie sera en mesure d’exploiter tout son
potentiel ! De quoi nous faire passer de la mondialisation à la
« continentalisation » du monde.
PARCE
QU’IL PRÔNE UNE CONTINENTALISATION DU MONDE
La TRI va fondamentalement modifier tous les aspects de la façon dont
nous travaillons, vivons et sommes gouvernés. Comme les deux
révolutions industrielles ont donné naissance au capitalisme et au
développement des marchés intérieurs ou aux Etats-nations, la troisième
révolution industrielle verra des marchés continentaux, la création
d’unions politiques continentales et des modèles économiques différents.
Cette révolution encourage l’échange d’énergie entre les continents.
Cela requiert une gouvernance continentale et en réseau, reflétant le
caractère de la Troisième Révolution Industrielle. L’Union Européenne
est le projet le plus abouti, et va devenir un seul marché intégré et
indivisible, une communauté continentale. Il en sera de même (cela a
déjà commencé) avec l’Afrique, L’Amérique Latine, l’Asie et l’Amérique
du Nord vers 2050.
Il faudra aussi joindre les continents et se diriger vers un retour au
monde Pangéen (du nom du grand continent que la Terre a connu il y a
250 millions d’années) - une nouvelle ère pour
l’humanité. Rifkin pose tout de même quelques questions, comme sur
la Chine, au système politique extrêmement centralisé. Mais il conclut
avec optimisme que la jeune génération chinoise, élevée au biberon
d’internet et de ses échanges, mettra la pression nécessaire.
PARCE
QU’IL PARLE VRAI
Et il fait part de ses échanges avec les grands de ce monde, ce qui
enlève la crainte que j’ai eue en lisant l’introduction d’avoir là un
ouvrage légèrement utopiste et déconnecté des réalités politiques.
En avril 2008 par exemple, l’économiste a réuni les nombreuses
compagnies impliquées dans au moins l’un des cinq piliers de la
Troisième Révolution Industrielle. La « table ronde des PDG
mondiaux pour la TRI » a d’ailleurs été instaurée dans le but de
mettre en place, avec les principales villes, régions et gouvernements,
ces cinq piliers. Ce groupement mène des conversations avec les Etats
pour promouvoir le nouveau modèle économique et développer des plans
stratégiques pour les collectivités qui les sollicitent, en mettant un
ensemble d’experts autour de la table. Ils conseillent sur l’agencement
des villes et une nouvelle organisation urbaine, pour reconnecter les
espaces de vie, de travail et de loisirs existants à la « bande de
biosphère » plus large dont ils font partie.
A lire Rifkin, on entre dans les coulisses des politiques publiques et
privées menés à San Antonio, Monaco, Rome et dans la province
d’Utrecht, où des plans de développement économique à long-terme ont
été imaginés. Ces plans adressent la sécurité énergétique et le
changement climatique, transformant des « dépenses
publiques » en « investissements économiques ».
PARCE
QU’IL A TOUT COMPRIS À LA GÉNÉRATION Y ET À LA MENTALITÉ P2P
Comment ne pas approuver Rifkin quand il explique pourquoi le monde se
divise aujourd’hui entre « les personnes et institutions qui
pensent en terme de hiérarchie, de barrières, de propriété, et celles
qui pensent en termes de latéralité, de transparence et
d’ouverture ». Il en appelle même à en finir avec le machisme
(l’anecdote de son échange avec José Luis R. Zapatero est d’ailleurs
fort intéressante à cet égard) : « le machisme est ce qui
maintient l’ordre ancien. Avec les réseaux sociaux, l’autorité
hiérarchique et le pouvoir venu d’en haut sont dépassés ».
N’est-ce pas cette génération que l’on qualifie de « génération
Y » qui prône une vision horizontale du monde ? On ne peut
qu’approuver les propos du penseur quant il affirme que le
« chacun pour soi » n’est plus possible et nous devons
repenser la propriété.
Pour Rifkin :
« La génération qui a grandi sur Internet se soucie peu de
l’aversion des théoriciens classiques de l’économie pour le partage de
la créativité, du savoir et des compétences, et même des biens et
services dans des communaux ouverts en vue de l’intérêt commun »
Out, donc, les économistes classiques ! Faisons place à une
vision de l’humain autre que celle d’une créature intéressée toujours
en quête d’autonomie : aujourd’hui l’économie s’horizontalise et
devient plus distribuée, cela valorise les relations en pair à pair (et
non les échanges autonomes), les entreprises doivent donc transformer
la nature même de leurs méthodes d’acquisition de revenus.
PARCE
QU’IL CROIT EN L’HOMME ET EN L’ESPRIT COLLABORATIF
Cette vision remet donc l’homme au cœur du système :
« l’activité économique restera essentielle à la survie, mais elle
ne suffira plus à définir les aspirations humaines ». En ce sens,
« l’énergie coopérative libérée par la conjonction de la
technologie d’Internet et des énergies renouvelables restructure
fondamentalement les relations humaines : elles ne vont plus de
haut en bas mais côte à côte, et les conséquences sont immenses pour
l’avenir de la société »
Par conséquent : « La TRI est la dernière des grandes résolutions
industrielles et elle va poser les bases d’une ère coopérative
émergente. La mise en place de son infrastructure va créer pendant
quarante ans des centaines de milliers d’entreprises nouvelles et des
centaines de millions d’emplois nouveaux. Son achèvement marquera la
fin d’une saga économique de deux cents ans définie par la pensée
industrieuse, les marchés et la main-d’œuvre de masse, et le début
d’une ère nouvelle caractérisée par le comportement coopératif, les
réseaux sociaux et les petites unités de main-d’œuvre technique et
spécialisée »
L’essentiel est de voir ce tout comme un système vivant : Rifkin
le cerne bien d’ailleurs quand il explique que l’ère continentale va
transformer l’approche géopolitique des relations internationales en
une approche de la biosphère-politique. Les scientifiques commencent à
voir la planète comme une créature vivante, une entité autorégulatrice
qui se maintient dans un état permettant la continuation de la vie.
Selon cette nouvelle façon de penser, l’adaptation et l’évolution des
êtres vivants fait partie d’un processus plus large : l’adaptation
et l’évolution de la planète elle-même. Si de nombreuses guerres ont
éclaté dans la poursuite de la sécurité énergétique, cela sera moins le
cas avec ces nouvelles énergies abondantes et disponibles partout. La
biosphère-politique est basée sur un sens de la responsabilité
collective pour sauvegarder les écosystèmes.
PARCE
QU’IL A COMPRIS L’IMPORTANCE DE LA QUALITÉ DE VIE
Les écosystèmes, parlons-en. Sans préservation de nos écosystèmes,
notre avenir sera de plus en plus difficile. Or la Troisième Révolution
Industrielle, pour Rifkin, nous permet de voir, à présent, notre
condition commune : cela créé un « sentiment d’identité de
l’espèce » et « cette prise de conscience de notre
interconnectivité et de notre insertion dans la biosphère engendre déjà
un nouveau rêve, en particulier dans la jeunesse mondiale : celui
de la qualité de vie ».
Ce rêve nous donne une nouvelle vision de l’avenir fondée sur l’intérêt
coopératif, la connectivité et l’interdépendance :
« Nous finissons par comprendre que la véritable liberté ne
consiste pas à s’affranchir des autres pour devenir une île, mais à
participer en profondeur à leur existence. Si la liberté d’un être est
l’optimisation de sa vie, elle se mesure à la richesse et à la
diversité de ses expériences et à la force de ses liens sociaux. Une
vie solitaire est une vie moins vécue (…)
Le rêve de la qualité de vie ne peut être vécu que collectivement. Il
est impossible de jouir de la qualité de vie isolément, en excluant les
autres. On n’y parviendra que si chacun participe à la vie collective
et se sent profondément tenu de faire en sorte que nul de soit
négligé ».
Pour la jeune génération d’ailleurs, le confort économique est
essentiel, mais le bonheur est également proportionnel à l’accumulation
d’un capital social. Il ne reste plus qu’à promouvoir cette vision du
monde maintenant… et là est toute l’importance du rôle donné à
l’éducation…
PARCE
QU’IL INTÈGRE LA PROBLÉMATIQUE DE L’ÉDUCATION
La fin de l’ouvrage de Rifkin se consacre aux questions d’éducation.
Alors que nous sommes au début de la conscience de la biosphère nous
allons vite nous rendre compte que le modèle vertical d’éducation
actuel n’est plus compatible dans la Troisième Révolution Industrielle.
La main d’œuvre de demain doit être formée aujourd’hui, il est donc
crucial d’initier les élèves aux compétences professionnelles et
techniques dont ils auront besoin pour vivre et travailler dans une
économie durable de troisième révolution industrielle, pour les
sensibiliser aux notions de réseaux intelligents.
Attention : il est surtout important, met en garde Rifkin, de ne
pas transmettre des compétences techniques et professionnelles sans
privilégier auparavant un travail sur la conscience des changements de
fond qui s’opèrent actuellement. L’idée à terme n’est pas d’avoir
« une population active dont la vision de l’activité économique
restera engluée dans l’esprit utilitariste des deux révolutions
industrielles précédentes. Les élèves qui ont pris conscience de la
biosphère, en revanche, ne verront pas les qualifications de troisième
révolution industrielle comme de simples outils professionnels pour
devenir des travailleurs plus productifs, mais comme des techniques
écologiques qui les aident à gérer notre biosphère commune ».
Et Rifkin d’ajouter un peu plus loin, en reprenant les idées qu’il a
développées en parlant de la civilisation de l’empathie :
« La mission première de l’éducation est de préparer les élèves à
penser et à agir en tant qu’éléments d’une biosphère commune »…
Tout est dit, il me semble… Et je l’avoue : cet ouvrage, pour moi, fut
comme du petit lait (d’amandes, bio)… ! Merci merci Jeremy !
21
mai 2013
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