Mille Collines, la radio de la haine
Par Didier Méreuze
Près de vingt ans après le génocide au Rwanda, un spectacle met en lumière noire le rôle de la station hutue.
« Hate
Radio ». La « Radio de la haine ». C’est le nom
donné à la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM), lors du
génocide rwandais, en 1994. En cent jours, entre 800000 et
un million de Tutsis et de Hutus modérés furent massacrés.
« Des « cafards », des « cancrelats » comme
les nommait la station, appelant à leur dénonciation, exhortant à leur
« élimination ».
La campagne débuta le 6 avril, quelques heures à peine après
l’annonce de la mort du président hutu, Juvénal Habyarimana, dont
l’avion avait été abattu par deux missiles au-dessus de l’aéroport de
Kigali. Elle ne s’achèvera qu’avec la victoire des rebelles hutus du
FPR et leur prise de Kigali, le 4 juillet. Parmi les animateurs en
fuite, l’un des plus connus était Georges Ruggiu, le « Hutu
blanc ». Né en 1957, à Verviers, en Belgique, ce fils d’un mineur
d’origine italienne, était venu chercher fortune au Rwanda quelques
années plus tôt. En 1993, le hasard le mit sur la route du président
Habyarimana qui le fit entrer à la Radio des Mille Collines. Il était
engagé pour animer des émissions en français.
SPECTACLE ÉTRANGE, TROUBLANT, SANS VRAIE PIÈCE
Arrêté au Kenya en 1997, Georges Ruggiu sera transféré en Tanzanie, au
Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) d’Arusha, et
condamné, trois ans plus tard, à douze années de réclusion. Sur le
plateau du Théâtre Paris-Villette, il figure en bonne place de Hate
Radio, un spectacle étrange, troublant, aux allures d’OTNI (objet
théâtral non identifié). Sans histoire. Sans vraie pièce, au sens
traditionnel du terme, non plus.
Comme le précise le sous-titre, il s’agit d’une « reconstitution
théâtrale d’une émission de la RTLM, la radio rwandaise ». Réalisé
par le Suisse Milo Rau, avec le concours de l’International Institute
of Political Murder, à partir de documents, d’extraits
d’interrogatoires et d’interviews, il raconte une heure de la vie de la
station, à la période la plus noire du génocide.
Parois de verre, tables, micros… Le décor est celui d’un studio au
réalisme « comme si vous y étiez ». Georges Ruggiu y officie,
en compagnie d’un technicien et de deux autres animateurs
« vedettes » hutus, Habimana Kantano et Valérie Bemeriki.
Tous riant, éructant en bons camarades, à grand renfort de bouteilles
de bière. Tous, surtout, s’en prenant aux ennemis et aux traîtres avec
une virulence que rien ne saurait freiner. Tutsis, mais aussi puissance
et médias étrangers sont moqués, vilipendés, jetés dans le même
sac : RFI et Muhabura, la radio du FPR, les États-Unis et la
France, Bernard Kouchner et le général Dallaire, commandant les forces
de l’ONU…
PROXIMITÉ AVEC L’AUDITEUR ET EXCITATION AU MEURTRE
De la plaisanterie à la menace, de la hargne aux grands élans
patriotiques, les tons et postures s’entremêlent, ponctués de musiques
de groupes américains qui ont fait la popularité de la RTLM dès sa
naissance, en 1993. L’atmosphère se veut bonne enfant, jouant sur la
proximité avec l’auditeur, invité à s’exprimer. Soit pour dévoiler, à
l’antenne, la cache d’un dernier groupe de Tutsi survivant ; soit,
pour demander, comme cet enfant de 10 ans, comment participer au
grand nettoyage général ; soit, encore, pour apprendre comment ne
pas tuer trop vite sa victime afin de la laisser le plus longtemps
souffrir… Échauffés par ces appels et par l’alcool, les animateurs
répondent, dans un souffle chargé chaque fois d’un peu plus de haine,
d’excitation au meurtre.
UN THÉÂTRE DOCUMENTAIRE
Hotel Rwanda
On est entre choses vues et choses vécues, sur le mode d’un théâtre
documentaire qui fait froid dans le dos : ce que le spectacle est
censé faire vivre au spectateur, en direct, n’est qu’illusion
théâtrale, interprétée par cinq acteurs rwandais et belges, sidérants
de justesse : Afazali Dewaele, Nancy Nkusi, Diogène Ntarindwa,
Estelle Marion et Sébastien Foucault, le Hutu blanc. Mais il est aussi
réalité. Les faits ont « pour de vrai » existé.
En prologue et postface de Hate Radio, deux séquences font apparaître
une suite de personnages qui témoignent et se confessent, projetés sur
écran vidéo. On y retrouve Georges Ruggiu, ainsi qu’une Rwandaise et un
Rwandais, tous deux tutsi. Le plus insoutenable n’est pas dans
l’horreur des récits de ce qu’ils ont vécu. Il est dans leur incapacité
à comprendre ce qui a été, le voisin devenu tortionnaire, l’ami
métamorphosé en bourreau. Et qui, là-bas, au Rwanda, se dit prêt à
redevenir voisin, ami. Comme si ces cent jours n’avaient pas été.
13 Décembre 2012 / 16
Octobre 2013
Abonnez-vous à La Croix
Retour à la Culture
Retour au sommaire
|