Festival de Cannes
"Timbuktu" : Vibrant plaidoyer contre le djihad
Par Le Point.fr
Le
film du Mauritanien Abderrahmane Sissako raconte toute l'absurdité et
la violence de la prise de pouvoir par les islamistes de Tombouctou en
2012.
C'est
le premier choc de la compétition officielle : Timbuktu, du réalisateur
mauritanien Abderrahmane Sissako, raconte comment, au nord du Mali, les
islamistes ont pris le contrôle des corps et des esprits. Un scénario
inspiré de l'occupation de Tombouctou pendant près d'un an en 2012 par
al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et Ansar Dine (Défenseurs de
l'islam), avant qu'ils soient délogés par les forces françaises début
2013 via l'opération Serval. Mais les cicatrices sont profondes :
amputations, coups de fouet aux couples "illégitimes", aux fumeurs,
brimades et humiliations...
Dans les rues de Tombouctou, baignées de la lumière du désert, des
djihadistes armés d'AK-47 parlant l'arabe font régner la terreur :
cigarettes et musique interdites, plus de football, gants, chaussettes
et voile obligatoires pour les femmes, mariages forcés... Pour les
habitants, de bons musulmans vivant en paix, le choc est rude. D'autant
que les nouvelles règles édictées par ces hommes parlant l'arabe
frôlent souvent l'absurde. "Comment veux-tu que j'arrose mes poissons
si je porte des gants ?" s'exaspère une commerçante, pas impressionnée.
"Où est Dieu dans tout ça ?"
Dans une autre scène savoureuse, une patrouille de nuit traque de la
musique qui s'élève d'un foyer, comme on chercherait un ennemi. Les
combattants se rendent finalement compte qu'il s'agit de "louanges à
Dieu et son prophète"... "Je les arrête quand même ?" interroge au
téléphone une jeune recrue. D'autres, qui parlent entre eux de Zidane
et Messi avec passion, condamnent quelques heures plus tard un jeune
homme à 20 coups de fouet pour avoir joué au football. Pour les
offenses jugées plus graves, c'est la mort. "Où est le pardon, la
clémence ? Où est Dieu dans tout ça ?" interpelle en vain l'imam local.
À l'écart de cette folie, sous leur tente en plein désert, Kidane
(Ibrahim Ahmed), sa femme Satima (Toulou Kiki) et leur fille Toya
vivent heureux en compagnie d'Issan, le petit garçon qui garde leur
bétail. Mais leur destin bascule quand un pêcheur voisin tue une des
vaches de la famille. Kidane, en colère, commet l'irréparable et tombe
entre les mains des djihadistes...
Combat silencieux
Un fait divers survenu au Mali a décidé le réalisateur à écrire
Timbuktu, tourné dans la ville-oasis mauritanienne de Oualata, inscrite
au patrimoine mondial de l'Unesco. "L'élément déclencheur a été la
lapidation d'un couple non marié dans un village au nord du Mali (en
2012, NDLR), a-t-il expliqué lors d'une conférence de presse à Cannes.
Parce qu'on n'en a pas parlé, alors que quand un nouveau téléphone
sort, la presse le filme. On devient indifférent à l'horreur si on ne
fait pas attention", a-t-il lancé. Évoquant les autres sources
d'inspiration de son film, Abderrahmane Sissako a dû s'interrompre un
instant, tête entre les mains, voix cassée par l'émotion.
"Je pleure à la place de ceux qui ont vécu cette réelle souffrance",
s'est-il justifié. "Le vrai courage, c'est ceux qui ont vécu un combat
silencieux. Tombouctou n'a pas été libérée par Serval. La vraie
libération, c'est ceux qui chantaient au quotidien dans leur tête une
musique qu'on leur avait interdite, ceux qui jouaient au foot sans
ballon."
17 Mai 2014
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