Des propositions pour promouvoir le cinéma en Afrique francophone
Par Vincy
Lundi
30 juin, Unifrance a publié un rapport passionnant, qu'on aimerait lire
pour d'autres secteurs culturels comme la musique ou le livre. Pour
l'instant, il s'agit de cinéma.
Le
groupe de travail Francophonie, présidé par le producteur Eric Névé,
constate, d'après les chiffres de l'Organisation Internationale de la
Francophonie que 50% des 220 millions de francophones dans le monde
résident sur le continent africain. Ce chiffre devrait grimper à 85% à
l'horizon 2050 avec 750-800 millions d'habitants. La croissance
économique suivra la croissance démographique avec un PIB multiplié par
15 entre 2020 et 2040 (selon la Banque mondiale).
Autant dire que les opportunités sont énormes pour l'industrie
culturelle française, surtout avec le numérique qui permet d'abolir les
frontières géographiques au profit de territoires linguistiques. Les
Anglais ont toujours profité de leur langue pour s'exporter, certes,
aidés par la puissance américaine, mais aussi en profitant du
Commonwealth. Les Espagnols ne sont pas en reste en ayant vampirisé le
continent latino-américain (à l'exception du Brésil). Face à la
concurrence américaine, turque, indienne et chinoise, le cinéma
français doit s'engager auprès de la filière naissante d'un cinéma en
Afrique francophone pour bénéficier d'un relais de croissance à fort
potentiel.
Mais l'Afrique francophone souffre de multiples carences que n'ont pas
l'Amérique latine ou les puissances émergentes asiatiques. En Afrique
francophone, il n'y a pas de distribution et peu de production de
films, des salles de cinéma très rares et finalement un public à
"former". Il faudrait donc investir dans un réseau complet, des films à
l'exploitation en passant par la promotion.
Le rapport d'Unifrance montre cependant que tout évolue très vite.
L'insuffisance des salles de cinéma
Les pays se ressaisissent : il faut bien divertir les nouvelles classes
moyennes. Au Maroc, la fréquentation n'a jamais retrouvé ses scores des
années 80 (45 millions de spectateurs, 241 salles dans le pays. Alors
on reconstruit. En 2012, il n'y avait que 61 salles dans le pays et
deux millions de spectateurs. Mais Megarama et ses deux nouveaux
multiplexes (Casablanca et Marrakech) a contribué à la construction de
23 de ces 61 écrans et capte la moitié des entrées du pays. En
Tuinisie, le CinéVog vient d'être inauguré près de Kram et d'autres
salles comme le CinéMadart à Carthage ont récemment émergé. A
Kigali (Rwanda), un multiplexe de 8 salles s'est également ouvert.
Dakar, Abidjan, N'Djamena, Bamako... autant de villes où des salles
équipées en numérique ont éclos. A Dakar, le Sea Néma (3 salles)
s'est installé dans le centre commercial le plus moderne de la capitale
sénégalaise. A Abidjan, on a restauré l'antique salle Ivoire qui est
ainsi passée à l'ère numérique. A Bamako (Mali), les deux salles du
Ciné Magic sont flambant neuves. L'Institut français numérise aussi ses
écrans d'Abidjan, Libreville (Gabon) et Yaoundé (Cameroun). Le Cameroun
justement va réouvrir et contruire des salles dans les principales
villes du pays. Le Burkina Faso veut réhabiliter 50 salles.
Le petit écran peut-être une solution
La Vidéo à la Demande reste balbutiante mais elle peut aider à la
diffusion de films francophones dans un si vaste territoire. Un hit en
VàD c'est 1400 téléchargements. Le rapport constate qu'Orange Sénégal a
7,5 millions de clients, mais seulement 1000 en IPTV et 100000 en ADSL.
Africafilm.tv est passé à une formule d'abonnement avec un objecif de
10000 abonnés cette année. Une chaîne très populaire comme TV5 Monde
est un relais inestimable. Et Canal + Afrique peut aussi servir de
tremplin à la promotion et la diffusion de films francophones.
Reste le plus gros problème du continent : la nocivité du piratage.
Comme en Asie, les DVD piratés se vendent au grand jour. Cela condamne
un segment déjà très fragile de la chaîne du cinéma : la vidéo physique.
La distribution condamnée à être innovante
Pas facile de diffuser des films quand le marché de la distribution est
inexistant. Tandis que le belge Cinéart et le suisse Xenix tentent
l'expérience, aucun gros distributeur français ne s'aventure sur ce
terrain. Certes, la rentabilité est faible. Mais on peut aussi
remarquer le manque d'entrain des distributeurs français à aller vers
les marchés étrangers, même européens.
Le box office incite à la prudence. La pirogue, pourtant acclamé dans
les Festivals, n'a séduit que 932 spectateurs au Sénégal et 949 au
Burkina Faso. C'est grâce au cinéma itinérant, le système MobiCiné,
qu'il a pu être vu par 8128 spectateurs au Sénégal.
Pour la sortie d'Aya de Yopougon, il a fallu inventer un système de
distribution. L'agence Onyx s'est improvisée distributeur : elle a
facturée des séances en extérieur (parfois jointes à d'autres
événements comme un défilé de mode à Kinshasa) à des sociétés,
institutions, etc... qui redistribuaient les tickets à leurs clients,
partenaires ou sous forme de jeux concours. 21 273 spectateurs à
Abidjan, 8200 dans le reste de la Cote d'Ivoire, 3898 à Dakar, 3350 à
Kinshasa, 900 à Ouagadougou. Et le film va encore voyager : Libreville,
N'djamena, Douala et Yaoundé.
La production très dépendante de la France
Les choses bougent mais lentement. On le voit chaque année dans les
grands festivals, l'Afrique francophone propose deux à trois films par
an quand il y a un bon cru. Le Maroc a cependant augmenté sa
production de 70% entre 2004 et 2012. Le Sénegal a annoncé une dotation
de 1,5M€ pour le fonds de promotion de l'industrie cinématographique.
Idem pour le Mali. Le Gabon vient de mettre en place un fonds d'aide à
la production audiovisuelle. Et le Tchad a mis en place une taxe sur la
téléphonie mobile pour financer le cinéma.
Mais plus généralement, ce sont les aides européennes et surtout
françaises qui, par l'intermédiaire de coproductions, contribue à la
surive d'un cinéma africain francophone, qu'il soit magrhébin ou
sub-saharien. Les Emirats (Qatar, Emirats Arabes Unis) montent
également en puissance avec l'objectif de favoriser un cinéma
arabophone et surtout diffusable dans le monde musulman.
Pour l'instant, les grands succès africains de ces dernières années -
Les chevaux de dieu, La pirogue, Timbuktu, Grigris - restent dépendants
des fonds d'aides français. Au final, c'est loins d'une dizaine de
films qui sont produits chaque année.
Deux propositions pour faire bouger le cinéma en Afrique francophone
Le rapport d'Unifrance affirme qu'il ne fait pas se contenter d'être un
cinéma simplement exportateur, et de ne pas se contenter des films
français. Il faut aussi inclure le cinéma belge, suisse et québécois
dans la réflexion. D'etre français...
Première proposition : un festival du film francophone itinérant
(Dakar, Bamako, N'djamena, Abidjan) avec 2 films majoritairement
français, 2 films africains, 2-3 films francophones, un film
d'animation et un film de patrimoine. Un festival annuel et
transnational destiné au public.
Seconde proposition : les rencontres du cinéma francophone, qui
auraient lieu à Dakar en novembre prochain, afin de travailler "à la
structuration d'un écosystème favorable à la cinématographie
francophone". "Le Sénégal par exemple a fait un travail de titan en un
an. Ils ont créé un fonds de production, lancé des rénovations de
salles, ils sont en train de créer un centre national sénégalais (sur
le modèle du CNC) et une cité du cinéma dans les nouvelles zones
industrielles de Dakar!" explique Eric Névé. Dakar accueille un sommet
de la Francophonie tous les ans : idéal pour des rencontres
professionnelles. Dakar se veut le carrefour du cinéma francophone en
Afrique de l'Ouest, comme le Nigéria a su bâtir un Nollywood.
L'objectif est évidemment de créer une Soft Power francophone à
l'instar de la Chine, du Japon, de la Corée du sud. La culture est un
parfait vecteur pour soutenir l'économie et étendre sa zone d'influence
politique et diplomatique.
Si on peut comprendre l'intérêt pour le Sénégal concernant les
rencontres du cinéma francophone, on peut s'interroger sur la
concurrence que fera le festival du film francophone itinérant avec LE
grand festival de la région, le Fespaco (à Ouagadougou).
Il faut une politique plus ambitieuse
Il reste cependant plusieurs problèmes à résoudre. Et le rapport ne
s'avance pas sur ce terrain là, limitant ainsi un effet dynamique
vertueux. Sachant que des centres commerciaux dotés de multiplexes vont
s'ouvrir dans les prochaines années dans des métropoles sub-sahariennes
mais aussi au Maghreb, pourquoi les Megarama, UGC, Gaumont-Pathé ou
encore MK2 ne se mettent pas sur les rangs dès à présent?
Sachant que le piratage a tué la vidéo, il faut investir sur la salle
et la télévision pour propager un autre cinéma que celui venu des
Etats-Unis ou d'Asie (Inde, Chine, Moyen Orient).
Sachant qu'il faut créer avant de pouvoir diffuser, il est urgent de
construire un réseau de CNC francophones, de donner des moyens à des
écoles de cinéma, de stimuler la production en créant des filiales ou
en s'associant à des producteurs locaux. De même, il est urgent d'aider
les distributeurs français, trop fragiles sur le marché français
lui-même trop étroit, de se développer dans cette zone linguistique.
En cela, un Festival et des Rencontres professionnelles ne suffiront
pas. Il est impératif que le Ministère des affaires étrangères et le
Ministère de la Culture et de la Communication établissent un plan
d'attaque. "Le cinéma américain se sert de la langue française pour
assécher le marché" explique Eric Névé. Quant aux Chinois, "ils font
venir par avion des acteurs sénégalais à Pékin pour doubler des séries
en wolof qu'ils donnent ensuite gratuitement aux télés sénégalaises!"
Eric Névé lance un cri d'alarme, mais sera-t-il entendu? "On sait très
bien que le cinéma francais est toujours solide quelque part quand à
cet endroit existe un cinéma local dynamique. On sera bien quand il y
aura au Sénégal 30 films en wolof et autant au Mali en bambara". La
chance du cinéma Français c'est la coopération artistique, mais c'est
également l'idée d'imposer son modèle de financement servant la
diversité de la création.
Ce rapport est un premier pas. Mais l'objectif semble encore inateignable.
3 Juillet 2014
Abonnez-Vous à Ecran Noir
Retour à la Culture
Retour au sommaire
|