Zebda : "Une société moderne est forcément multiculturelle"
Propos recueillis par HASSINA MECHAÏ
Il en a offert quelques plages au Festival Mawazine 2014 de Rabat. Le
groupe Zebda livre la genèse de son dernier album. Entretien.
Ils
sont de retour et cela s'entend. Les Toulousains du groupe Zebda
sortent en effet leur sixième album, Comme des Cherokees. Un album plus
rock, plus funk aussi, mais qui garde toujours la signature originale
de ce groupe nourri aux inspirations ragga et word music. Pour réaliser
cet album, le groupe a fait appel à Yarol Poupaud, prodigieux
guitariste funk qui a su, à l'évidence, apporter cette dimension
électrique nouvelle. Les textes sont toujours aussi engagés et fins,
qu'ils abordent, dans "Fatou", le scandale parfois meurtrier des
marchands de sommeil ("Quand on est noir, c'est les travaux d'Hercule
de se loger dans le Paris qui brûle") ou, dans "Les Chibanis", la
misère profonde des vieux immigrés maghrébins restés en France. Mais
l'album, dans la veine festive de Zebda, en appelle tout autant au
corps qu'à la tête, à ces "petits pas de danse" qui font avancer, comme
les idées. Avec cet album, les Zebda réussissent le joli tour de force
de se renouveler dans une continuité et liberté artistique évidente.
Le Point Afrique : Vous
aviez été silencieux pendant dix ans jusqu'à l'album Second Tour. Vous
revenez après deux ans seulement. Avez-vous retrouvé définitivement
l'envie ?
Zebda : Ces dix ans avaient été un break voulu, c'était une décision
collective de mettre Zebda entre parenthèses pour aller explorer
d'autres projets artistiques plus personnels, mais non pas d'arrêter la
musique. À partir du moment où on s'est retrouvé pour Second Tour, on
avait enchaîné avec une tournée magnifique et dans la foulée on a
réattaqué cet album. Cela a été très rapide, on était très inspirés, on
a été étonnés, cet album est si évident que sa conception a été la plus
rapide de notre histoire.
Les sonorités sont plus rock, cuivrées, presque dans la veine du Nougayork de Nougaro...
Cela s'est imposé à nous naturellement ; on avait envie d'une énergie
musicale, de quelque chose d'instinctif ; le rock ou musique
nord-américaine très jouée, avec basse et batterie, a ce côté-là qui
correspondait à ce que nous voulions porter à ce moment-là. Yarol
Poupaud a été important dans son apport à cet album. Il a complètement
confirmé cette énergie.
Et cette rencontre artistique avec ce musicien s'est faite comment ?
On cherche toujours une personne extérieure pour travailler sur nos
disques. Le nom de Yarol s'est imposé naturellement. On connaissait son
travail au sein du groupe de funk FFF, c'est un guitariste
extraordinaire et on avait ce besoin d'avoir ces guitares de haut
niveau, très marquées. Mais il n'a pas seulement apporté cela, il a
aussi réalisé le disque et y a apporté toute cette énergie rock funk.
Mais il ne vous a pas emmenés là où vous ne vouliez pas aller ?
Non vraiment ; on a beaucoup d'expérience et la dynamique du groupe
permet de travailler avec d'autres artistes sans se perdre. L'idée de
l'apport extérieur est d'amener des choses qu'on ne peut pas voir par
soi-même. C'est notre sixième album ; il n'y avait donc vraiment aucun
risque qu'on nous fasse faire ce que nous ne voulions pas.
Comment travaillez-vous parce que la dynamique du groupe peut parfois être compliquée ?
Cela dépend des morceaux ; Magyd (Cherfi, NDLR) écrit les textes et on
les met en valeur. On travaille un peu à la manière des rappeurs
hip-hop. Les trois chanteurs ne sont pas musiciens à la base. Mais nous
faisons des recherches sur les instrumentaux, puis on les propose aux
musiciens du groupe qui traduisent musicalement nos pistes. Il y a
besoin d'une forme d'unanimité, mais elle n'est pas dictatoriale ou
rigide. Le groupe suppose une forme nécessaire d'échanges, et chacun
doit étayer son refus, il ne suffit pas de dire non comme un veto
absolu. C'est comme cela que Zebda travaille, et ça nous a toujours
plutôt réussi. Un des moyens les plus simples pour voir si un morceau
est bon est qu'on sent de toute façon toujours l'enthousiasme, il n'y a
pas de secret....
Et pourquoi ce titre, Comme des Cherokees ?
Le titre est arrivé assez tard. On débattait sur les textes, et on
s'est rendu compte que dans cet album, trois ou quatre chansons
faisaient référence à l'histoire des Indiens. En fait plus jeunes, nous
avions vite compris que nous n'étions pas des cow-boys, alors que la
logique culturelle dominante nous disait que le cow-boy était un gentil
et l'Indien, un méchant. Et nous, nous étions plus Geronimo que John
Wayne ; à partir de cette constatation, notre besoin de parole est
devenu une évidence. L'histoire appartient au vainqueur et le dominant
a une capacité incroyable à utiliser les mythes et l'histoire pour te
faire croire qu'il a raison de te maltraiter. Et ce schéma est valable
pour toutes les formes de domination.
Votre ambition est de
parler de l'universel à partir du particulier : racisme,
mondialisation, immigration. Mais vous abordez peu de l'individu dans
sa psychologie, comme le couple par exemple, l'amour, l'amitié...
C'est dû à la logique collective ; Zebda s'est construit sur cette idée
de prise de parole à partir d'une histoire. Or, cette prise de parole
nous condamne au politique : notre histoire est ce qui nous rassemble
et qui fait l'essence de nos textes. Mais cela ne veut pas dire que la
dimension de l'intime ne sera pas abordée un jour, mais, pour le
moment, ce sont les thèmes politiques qui émergent quand nous nous
engageons dans un processus créatif. Cela participe aussi d'une
conviction profonde que la revendication se doit d'être collective pour
apporter au plus grand nombre un regard qui pourra ainsi être le plus
juste possible. Et puis Zebda se nourrit de cela, au-delà de la scène
où on aime chanter, danser. Il nous faut cette dimension politique. On
n'aurait pas eu la même énergie maintenant si on avait été légers dans
nos textes.
Vos textes sont toujours politiques, mais peut-être plus nuancés sur ce fameux "Grand Soir" comme unique solution...
Notre père n'avait pas le droit de vote, mais il s'était engagé dans
l'action syndicale, car on voulait avoir la parole. On suit ce chemin.
En tant qu'artistes, nos convictions sont un trésor d'inspiration : des
conditions de vie meilleures tout simplement. En musique, en chanson,
on ne fait pas de promesses. On donne une grille de lecture possible à
ceux qui ont ce ressenti d'injustice mais qui sont perdus dans la
complexité des choses et n'envisagent aucune solution. Parce que la
dimension économique, sociale, sociétale est si complexe que le
discours politique est de plus en plus réduit à un discours de bar PMU.
Tous les problèmes actuels de la France sont ramenés, par les hommes
politiques tout aussi dépassés par la situation, à un seul problème
d'intégration, des musulmans, des Gitans, des Roms... On se demande
toujours à quoi servent nos chansons. Notre idée de l'engagement est de
faire les choses dans une idée de partage et, de fait par notre
histoire, de multiculturalisme. Pour nous, une société moderne est
forcément multiculturelle, car c'est le seul moyen d'effacer la
domination d'une partie du monde sur une autre.
Vous avez chanté les
soldats africains tombés à Monte Cassino, les "Chibanis", vieux
immigrés fatigués... Vous tenez à porter cette mémoire ?
Ce ne sont pas les Américains qui ont libéré la Provence, mais nos
aïeux africains. Et aujourd'hui quelle reconnaissance ont-ils ? Nos
grands-parents ont été chair à canon, nos parents chair à patron, et
maintenant on veut faire de certains descendants de ces tirailleurs
africains de la chair à prison. La France ne regarde pas son histoire
en face et les quartiers populaires sont devenus l'épouvantail de la
société française. On a aussi raté de formidables opportunités
d'ouverture d'un espace public où les classes populaires auraient pu
s'exprimer : ladite Marche des beurs en 1983 qui était en fait une
marche pour l'égalité contre le racisme, il n'en reste rien. Et plus on
avance dans le temps, plus on crée des illusions de désert politique,
alors que ce n'est pas la réalité. Et puis il y a aussi tous ces
amalgames qui se font dans la tête de ces jeunes qui associent les
notions d'identité et de religion, alors que, pour nous, cela n'a rien
à voir. Pour nous, la religion n'est pas une identité...
REGARDEZ le groupe Zebda au Festival Mawazine 2014 de Rabat
1er Septembre 2014
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