L’islam victime des tueurs
Par Tahar Ben Jelloun
L’attaque
de Charlie Hebdo est un fait de guerre. Sauf que les journalistes qui
ont été assassinés n’étaient pas des guerriers. Ils étaient sans haine,
sans préjugés. Ils étaient des poètes, des moqueurs, des fous de
liberté, des génies dont les armes étaient des crayons de couleur, de
l’intelligence de la fantaisie et de la lumière. C’est une guerre
contre la liberté d’écrire, de dessiner et de créer. Une guerre sans
visage contre la laïcité, contre la tradition de la satire, de
l’humour, de la dérision, de la critique acerbe et féconde. Ils
auraient voulu déterrer Voltaire, Montaigne et Rabelais et faire de
leurs œuvres un feu assassin.
La
France est engagée dans des combats importants. Elle est la cible de
ceux qu’elle combat au nom des valeurs qui sont son patrimoine et son
honneur. Ses soldats font la chasse aux terroristes qui, au nom de
l’islam, commettent des massacres de grande barbarie, égorgent des
innocents, kidnappent des femmes et des filles, les violent puis les
vendent comme esclaves. La France pensait qu’elle ne serait pas
éclaboussée par cette horreur. Hélas, elle vient de l’être de la façon
la plus odieuse. Nous avons tous perdu des amis dans cette tuerie. La
liberté a perdu des citoyens parmi ses meilleurs éléments, des
éclaireurs qui décryptaient l’actualité avec une rare pertinence.
Les tueurs ont agi contre l’islam
Si les tueurs ont crié « Allah Akbar », c’est aussi contre
l’islam et les musulmans qu’ils ont agi. C’est une guerre déclarée
contre la démocratie dont les institutions et les lois rendent possible
un islam républicain. Cela fait longtemps que les musulmans de France
l’ont compris ; peut-être ne se mobilisent-ils pas assez pour
dénoncer avec fermeté ces assassins qui salissent l’islam et le message
du Prophète. C’est rare qu’ils soient invités dans les émissions de
grande audience. Aujourd’hui, plus qu’avant, ils savent qu’ils
n’échapperont pas aux amalgames, au soupçon. Ce serait faire le jeu de
ces tueurs sans état d’âme, déterminés et cruels que de suivre cette
dérive.
Ces
derniers temps, on aurait dit qu’une chasse était ouverte contre
l’islam et les musulmans, montrés du doigt chaque fois qu’une certaine
France perd confiance ou se laisse aller à trouver des boucs émissaires
pour expliquer la crise morale ou pour gagner des électeurs. Il y avait
dans l’air quelque chose de mauvais, des rumeurs et des humeurs où le
racisme suintait des pages de livres qui ont eu pas mal d’échos. Un
racisme décaféiné, qui n’a pas l’air de faire mal, mais qui se cachait
derrière des suppositions, des anticipations.
On a fait commerce de peur et de haine, de fantasmes et de crise
d’identité. Les immigrés extracommunautaires étaient visés. Aujourd’hui
ils ont mal, parce que des barbares ont commis un crime atroce au nom
de leur religion.
« Nous devons tous résister, car nous sommes tous concernés. »
Il faut que la France saisisse le message de cette nouvelle
terreur : la guerre est portée sur son territoire. Dans quelle
mesure est-elle préparée pour affronter des tueurs hyper-armés, bien
entraînés et décidés à semer la mort ?
Au-delà de cette épreuve, au-delà de l’émotion et de la colère, au-delà
du besoin de justice, il faut que la société française, ses partis
politiques, sa société civile, que nous tous prenions conscience que
les fondements de notre pays, ses valeurs et ses traditions sont visés
et menacés, que ce n’est pas une dérive de quelques voyous en mal de
vengeance, mais c’est une volonté radicale et féroce d’empêcher que des
musulmans puissent vivre leur religion en terre laïque, dans le respect
des lois de la République, de les isoler et d’en faire les ennemis de
la France. C’est pour cela que nous devons tous résister, car nous
sommes tous concernés.
15 Janvier 2015
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