Retour du Traité sur la Tolérance de Voltaire
Par ISF
Voltaire
est un écrivain du XVIIIème siècle. Le siècle des Lumières est
caractérisé par une progression des sciences, une facilitation de la
diffusion des savoirs, l’écriture de l’Encyclopédie qui recense tous
les savoirs et une remise en cause du pouvoir absolu.
Les
philosophes et la censure sont importants. La relation entre Dieu et le
savoir se change en relation entre l’homme et Dieu car l’homme est à
l’origine du savoir. Les philosophes de l’époque ont un savoir quasi
universel et une culture phénoménale. Les écrivains cherchent à déjouer
la censure, très forte à l’époque, en utilisant l’apologue, l’ironie ou
le procédé du regard neuf pour satisfaire leur besoin d’expression.
Voltaire prend des risques en dénonçant l’intolérance religieuse. Pour
cela, il construit un dialogue fictif où il met en scène des
personnages appartenant à des religions différentes : un imam pour
les musulmans et un talapoin (moine bouddhiste de Thaïlande ou de
Birmanie). Puis il écrit le discours d’un inquisiteur (en rapport
direct avec l’affaire Calas).
Voltaire écrit au conditionnel, ce qui confère au texte une
certaine irréalité. Le texte est une fiction qui implique la vérité et
l’ironie. Le traité sur la tolérance dénonce l’intolérance religieuse
due à la révocation de l’édit de Nantes et démontre l’incapacité des
différents personnages à s’entendre. Il relativise les jugements.
Comment à travers un dialogue Voltaire construit-il et met-il en scène l’intolérance religieuse ?
La première phrase renvoie à l’Ancien Testament et le discours de
l’inquisiteur à l’affaire Calas. La thèse de Voltaire est que tous les
hommes sont frères puisqu’ils sont tous fils d’un même père. Son
premier argument est que l’homme est peu de chose comparé à l’univers
mais que pourtant il a la prétention de détenir la vérité de la
révélation, il est illustré par la métaphore de l’homme/fourmi par
induction. Son deuxième argument est qu’il faut admettre les
différentes approches religieuses car ce n’est pas remettre en cause la
foi en Dieu et il est illustré par la métaphore des langues par
analogie.
Chapitre XXII - De la tolérance universelle (extrait)
Il ne faut pas un grand art, une éloquence bien
recherchée, pour prouver que des chrétiens doivent se tolérer les uns
les autres. Je vais plus loin : je vous dis qu'il faut regarder
tous les hommes comme nos frères. Quoi! mon frère le Turc ? mon
frère le Chinois ? le Juif ? le Siamois ? Oui, sans
doute; ne sommes-nous pas tous enfants du même père, et créatures du
même Dieu ?
Mais ces peuples nous méprisent; mais ils nous
traitent d'idolâtres! Hé bien! je leur dirai qu'ils ont grand tort. Il
me semble que je pourrais étonner au moins l'orgueilleuse opiniâtreté
d'un iman ou d'un talapoin, si je leur parlais à peu près ainsi :
"Ce petit globe, qui n'est qu'un point, roule dans
l'espace, ainsi que tant d'autres globes; nous sommes perdus dans cette
immensité. L'homme, haut d'environ cinq pieds, est assurément peu de
chose dans la création. Un de ces êtres imperceptibles dit à
quelques-uns de ses voisins, dans l'Arabie ou dans la Cafrerie :
"Ecoutez-moi, car le Dieu de tous ces mondes m'a éclairé : il y a
neuf cents millions de petites fourmis comme nous sur la terre, mais il
n'y a que ma fourmilière qui soit chère à Dieu; toutes les autres lui
sont en horreur de toute éternité; elle sera seule heureuse, et toutes
les autres seront éternellement infortunées."
Ils m'arrêteraient alors, et me demanderaient quel
est le fou qui a dit cette sottise. Je serais obligé de leur
répondre : "C'est vous-mêmes." Je tâcherais ensuite de les
adoucir; mais cela serait bien difficile.
Je parlerais maintenant aux chrétiens, et
j'oserais dire, par exemple, à un dominicain inquisiteur pour la
foi : "Mon frère, vous savez que chaque province d'Italie a son
jargon, et qu'on ne parle point à Venise et à Bergame comme à Florence.
L'Académie de la Crusca a fixé la langue; son dictionnaire est une
règle dont on ne doit pas s'écarter, et la Grammaire de Buonmattei est
un guide infaillible qu'il faut suivre; mais croyez-vous que le consul
de l'Académie, et en son absence Buonmattei, auraient pu en conscience
faire couper la langue à tous les Vénitiens et à tous les Bergamasques
qui auraient persisté dans leur patois ?"
L'inquisiteur me répond : "Il y a bien de la
différence; il s'agit ici du salut de votre âme : c'est pour votre
bien que le directoire de l'Inquisition ordonne qu'on vous saisisse sur
la déposition d'une seule personne, fût-elle infâme et reprise de
justice; que vous n'ayez point d'avocat pour vous défendre; que le nom
de votre accusateur ne vous soit pas seulement connu; que l'inquisiteur
vous promette grâce, et ensuite vous condamne; qu'il vous applique à
cinq tortures différentes, et qu'ensuite vous soyez ou fouetté, ou mis
aux galères, ou brûlé en cérémonie. Le Père Ivonet, le docteur
Cuchalon, Zanchinus, Campegius, Roias, Felynus, Gomarus, Diabarus,
Gemelinus, y sont formels et cette pieuse pratique ne peut souffrir de
contradiction."
Je prendrais la liberté de lui répondre :
"Mon frère, peut-être avez-vous raison; je suis convaincu du bien que
vous voulez me faire; mais ne pourrais-je pas être sauvé sans tout
cela ?".
Voltaire - Traité sur la tolérance (1763).
La Tolérance est une vertu qui rend la Paix possible (Kofi Annan)
20 Janvier 2015
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