Des artistes se mobilisent pour l'histoire de l'Afrique
Par Romain Mielcarek
Comment
raconter le continent, sa mémoire, son héritage, au-delà des clichés
hérités de l’époque coloniale ? A l’appel de l’Unesco, des
peintres, musiciens et autres poètes ont promis de relayer le contenu
de l’Histoire générale de l’Afrique, une impressionnante production en
huit volumes, réalisée par l’Unesco depuis 1964.
Ambiance
studieuse mercredi soir à l'Unesco. Des peintres, des chanteurs, des
musiciens, des cinéastes, tous sont là pour faire rayonner l'histoire
de l'Afrique. « Demander aux artistes, qui ont, par définition, la
tête dans les étoiles, de relayer le travail de grands scientifiques...
Cela peut paraître étrange ! », s'amuse Ray Lema. Le
compositeur et interprète congolais a en effet la lourde responsabilité
de servir de porte-parole à cette coalition des artistes pour
l’Histoire générale de l’Afrique, qui a pris officiellement son envol
ce jour.
Tous ces artistes se sont officiellement engagés à relayer dans leurs
travaux et dans leurs activités tout ce qui touche à l'Histoire
générale de l'Afrique. Ce colossal projet lancé par l'Unesco en 1964 a
donné naissance à un monument de données : 8 000 pages
pour raconter le continent, sa mémoire, son héritage, au-delà de
clichés hérités de l'époque coloniale. Il pourra s'agir d'en intégrer
des contenus dans leurs œuvres ou, tout simplement, de mobiliser des
réseaux pour transmettre l'information au public.
Car jusqu'ici, cette Histoire générale de l'Afrique en huit volumes
(bientôt neuf) peine à se faire connaître. Même sur le continent, des
universités continuent parfois d'en ignorer l'existence, regrette
Moussa Iye, chef de la section histoire et mémoire pour le dialogue de
l'Unesco. « Les artistes sont des prescripteurs importants,
explique-t-il. Une chanson en dit parfois beaucoup plus qu'un long
discours : les artistes peuvent toucher le cœur autant que
l'esprit. »
Une histoire des Africains
L'Unesco espère que cette coalition d'artistes pourra relayer le
message principal de l'Histoire générale de l'Afrique : le
continent a un héritage d'une richesse infinie, qui va largement
au-delà de l'épisode des colonies. « L'Afrique a assuré le
leadership de l'humanité pendant les 15 000 premiers siècles,
insiste Moussa Iye. L'homme moderne a ensuite migré vers le reste du
monde. » Les Africains et les descendants d'Africains, partout à
travers le monde, peuvent se réapproprier à travers cette histoire des
pans entiers de leurs mémoires.
« Je me sens tout petit face à la mission, admet humblement Ray
Lema. J'ai essayé de me plonger dans ces ouvrages... On tombe sur des
faits qui vous font sursauter ! » L'Histoire générale de
l'Afrique est en effet riche en récits méconnus, qui pourront
surprendre le lecteur. Mais ce travail est également une innovation
scientifique puisque pour la première fois, l'oralité de la mémoire ou
encore les arts, ont été pleinement intégrés dans l'étude des
chercheurs.
L'ambition est ensuite de transmettre ce patrimoine au grand public,
notamment africain ou afro-descendant. « Ce ne sera pas une
histoire des héros, complète Moussa Iye. L'Histoire générale de
l'Afrique n'est pas une vision romantique. Ce que nous voulons, c'est
permettre aux jeunes d'avoir les moyens de faire eux-mêmes leurs
propres recherches. »
Transmettre le savoir
Et c'est là qu'est tout le défi. Comment transmettre le contenu de
cette imposante production historique à la jeunesse ? Ray Lema
admet son impuissance face à l'ampleur de la tâche : « C'est
l'entreprise de toute une vie ! Je demande à l'Unesco de nous
rendre tout cela plus digeste. » Pour l'organisation, c'est la
prochaine étape : traduire l'Histoire générale de l'Afrique en un
matériau pédagogique, sous la forme de bandes dessinées, de fiches, de
films d'animation, notamment pour l'enseignement dans les écoles.
Les artistes ne manquent pas non plus d'idées. Les propositions fusent
déjà. L’un propose un hymne universel. Celui-là offre d'enregistrer les
sons des baobabs pour raconter l'histoire africaine à travers sa flore.
Fred Ebami, par exemple, se sent très inspiré par le projet. Seul
artiste pop-art d'origine africaine de sa génération, il inclut dans
ses œuvres aussi bien Martin Luther King que Kanye West. « J'ai
envie d'y aller en m'amusant, explique-t-il. L'idée d'un pharaon style
pop-art ou d'un Toussaint Louverture version super héros me plaît
bien ! »
« L'artiste doit se remettre en cause et décoloniser son
esprit », affirme Nicola Lo Calzo. Ce photographe travaille depuis
plusieurs années sur les héritages de l'esclavage dans les pratiques de
différentes populations, à travers le monde. Cet Italien n'a pourtant
rien d'Africain. Il incarne l'ouverture de la coalition qui espère
rayonner au-delà du continent. « Je trouve intéressante cette
approche transnationale, sans repli sur soi », note l'artiste.
Cette volonté de partage est également au cœur de la motivation de
Capitaine Alexandre. Ce slameur et poète, dont les textes se
nourrissent déjà de mémoires africaines, veut transmettre aux plus
jeunes qu'il accompagne dans des ateliers d'écriture : « Nous
sommes là en tant qu'artistes, mais aussi en tant que citoyens. J'ai
envie de parler d'autre chose que des guerres qui sont dans le petit
écran. La poésie parle du monde... Et l'Afrique en fait partie !
Elle n'est pas une lointaine banlieue du monde ! »
2 Novembre 2015
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