Sept milliards de Terriens
Par Jean-Pierre Robin du Figaro
L'enfant
est né dimanche après 16 heures, heure de Paris, à la date
annoncée. La prévision démographique est une science sûre à dix, vingt
ou trente ans.
Chapeau
bas, mesdames et messieurs les démographes. Vous nous aviez annoncé
depuis des mois et des mois la naissance du sept milliardième citoyen
du monde pour le 31 octobre 2011. Et l'heureux événement s'est
effectivement produit dimanche. Un peu après 16h18 à Paris, et alors
que la journée du 31 venait tout juste de commencer en
Nouvelle-Calédonie, le chiffre rond s'est inscrit sur le cadran-horloge
de l'Institut national d'études démographiques.
La maman, Gaia - du nom de la déesse de la terre - se porte bien. Elle
est certes un peu fatiguée: c'est son 129 millionième accouchement en
douze mois. Quant au papa, il a préféré rester anonyme. On sait
seulement qu'il est très vaillant, même s'il a tendance à vieillir, ce
qui l'oblige à travailler dur. Car on vit de plus en plus longtemps de
nos jours. Les chefs d'État eux-mêmes deviennent pères pendant leur
règne. Cela ne s'était jamais vu depuis la royauté et les empereurs
byzantins, chez qui le phénomène était fréquent, l'accès au pouvoir se
faisant jeune: on appelait alors ces nouveau-nés des porphyrogénètes
(«nés dans la pourpre»).
Le seul reproche qui pourrait vous être adressé, à vous démographes,
est de nous avoir caché l'adresse de la maternité. Les photographes
l'ont cherchée en Afrique subsaharienne. N'est-ce pas sous ces
latitudes, du Sénégal au Kenya, que les femmes sont les plus fécondes
(entre quatre et cinq enfants chacune) ? Il faudra éplucher les
registres d'état civil pour confirmer cette hypothèse.Vous nous aviez
prévenu que ce serait le plus probablement un garçon. Il en naît
toujours un peu plus que de filles. C'est particulièrement
spectaculaire en Chine où on compte 120 garçons pour 100 filles à la
naissance: la politique de l'enfant unique promue par Pékin a incité
les familles à pratiquer l'avortement sélectif, d'autant plus fréquent
avec la diffusion des échographies prénatales. Il apparaît au final que
cela serait plutôt une fille, née aux Philippines.
«Le plus étonnant dans ce chiffre de 7 milliards est qu'on le
sache. Cela aurait été impossible il y a quarante ans, quand de très
nombreux pays n'étaient même pas en mesure de recenser leur
population», souligne Gilles Pison. Ce démographe de l'Ined a construit
une horloge qui donne en temps réel, seconde par seconde, les chiffres
de la population de la planète entière. Son modèle prévisionnel se
fonde sur les recensements nationaux devenus partout la règle que
centralise l'Organisation des nations unies, ainsi que sur les
prévisions démographiques réactualisées régulièrement par l'ONU.
Quatre naissances chaque seconde
À partir de là on peut calculer qu'il y a un peu plus de quatre
naissances chaque seconde dans le monde, et simultanément un peu moins
de deux décès. Soit une différence de 2,47 qui correspond à
l'accroissement démographique. C'est pourquoi le compteur numérique de
l'Ined n'avance pas de façon linéaire ; il fait alternativement un
saut de deux ou trois unités à la seconde. Chaque jour la population
mondiale s'accroît donc de 213.000 - la ville de Saint-Étienne. Et tous
les ans elle augmente de 78 millions, plus que les habitants de
toute la France (65 millions au 1er janvier 2011).
Il ne faut évidemment pas être dupe de ces raffinements statistiques
dont on saoule, dans tous les domaines, l'opinion publique, laquelle
n'en peut mais. «Les recensements de population sont présentés à
l'unité près alors qu'ils sont connus avec une précision de 500.000
dans le cas de la France ! Et leur qualité varie d'un pays à
l'autre. Les informations dont nous disposons permettent d'estimer le
nombre total des êtres humains à quelques pour cent près», rappelle
avec sagesse Gilles Pison.
Le franchissement de la ligne des 7 milliards au 31 octobre
doit être considéré comme un artefact statistique, une maquette
permettant de comprendre les enjeux, et non comme une réalité tangible.
«Il est possible que le seuil de 7 milliards ait été franchi un ou
deux ans plus tôt que 2011, ou un ou deux ans plus tard», reconnaît le
démographe, qui publie une étude spéciale dans Population
& Sociétés d'octobre 2011.
De 6 à 15 milliards en 2100
En revanche il est formel, «les tendances démographiques mondiales sont
bien connues et permettent d'annoncer entre 8 et 10 milliards
d'habitants sur la planète en 2050». Ils n'étaient qu'un milliard en
1800, estiment aujourd'hui les historiens. À l'horizon de dix, vingt,
voire trente ans les projections paraissent assez fiables: la plupart
des hommes et des femmes qui vivront alors sont déjà nés, on peut
estimer sans trop d'erreur la part de ceux qui ne seront plus en vie,
tout comme le nombre des naissances à venir.
Au-delà c'est le brouillard. Les Nations unies viennent de publier
leurs scénarios alternatifs de population mondiale pour la fin du
siècle, allant de 6 milliards à plus de 15 milliards en 2100.
Les démographes ne cachent pas leur étonnement devant la chute
vertigineuse de la fécondité en Asie de l'Est, qui a commencé dans les
années 1960 et 1970. À l'inverse l'essor démographique de l'Afrique,
malgré l'épidémie de sida, surprend tout autant les experts. L'ONU
n'exclut pas que la population africaine avoisine les
3,4 milliards en 2100. S'«il n'est de richesses que d'hommes»,
selon la formule célèbre, l'étendard de tous les populationnistes,
l'Afrique serait le prochain eldorado. Il faudra être bon danseur pour
ne pas se marcher sur les pieds.
Novembre 2011 Abonnez-vous Au Figaro
Retour au Développement
Retour au sommaire |