Journée Mondiale de la Femme - La femme africaine et le développement
La Femme est l'Avenir de l'Afrique !
Par Marie-Louise Diouf-Sall
Le « féminisme
» à proprement parler est né dans les années 1960-70 dans la veine des
contestations globales des systèmes économiques et sociaux en vigueur,
considérés comme causes des inégalités et des oppressions que subissent
les femmes. Il s’énonce d’abord comme une revendication pour la
revalorisation de la position sociale de la femme, de libération d’une
idéologie patriarcale qui règne sur les relations matrimoniales et dans
le système de l’économie politique. Ce courant est fortement influencé
en France par S. de Beauvoir (« on ne naît pas femme on le devient »)
et, par K. Millet (« la politique du mâle ») aux Etats-Unis, et A.
Schwartzer (« die erwachsene Frau », la Femme adulte) en Allemagne.
Il
devient la question « Genre » ou « Gender », apparue dans les années
1980-90 dans le cadre des discussions des féministes du Nord et du Sud
(notamment E. Boserup et L. Beneria/G. Sen) relativement à l’aspect
plus spécifiquement politique et économique du Développement social.
Elle s’imposa de façon décisive au sein des programmes de développement
des Nations-Unies pour le développement social et économique.
Quatre décades pour la Femme ont été instituées au sein de ces
programmes, la première à partir de 1975, la seconde à partir de 1985,
la troisième 1995, et la quatrième 2005, qui vit la naissance de
réseaux d’organisations féministes locales en Afrique pour influencer
et impulser les politiques et programmes nationaux de développement.
En même temps qu’il implique le sens de génération et de reproduction,
le Genre est pris comme le paramètre qui conditionne une évolution
sociale équilibrée, juste et soutenue ou alors inégalitaire, oppressive
et conflictuelle. Le Genre doit être la lentille de vue du niveau et de
la qualité de développement de la Société. Il doit être au centre de
toute considération du Développement social ; au niveau politique,
économique, juridique, social, pour être pris en compte dans les
différents sous-secteurs du développement. C’est ce centrage que l’on
nomme encore en langue anglaise dans lequel elle est parue, «
mainstreaming », le fait de « mettre la femme dans le courant central
des politiques et programmes nationaux de développement économique et
social » : c’est le résultat de la Conférence de Pékin 1995, un
tournant, pris en compte par la Commission Economique pour l’Afrique
qui créa le Centre Africain pour Genre et Développement.
Les femmes africaines se font agents de développement : « women
empowerment », accès à la majorité économique et sociale pour les
femmes.
Lorsque les femmes occidentales s’investissaient de plus en plus dans
les aspects idéologiques du « fait de nature » et du « fait social »,
dans les considérations plutôt théoriques des mutations sociologiques
induites par la libération sexuelle, l’épanouissement de la sexualité
féminine et de son corps, les problèmes de la représentation des femmes
dans les instances de décision et de pouvoir, les violences faites aux
femmes au sein du couple, du harcèlement sexuel, du viol, ne viennent
que récemment en ligne de front et créent ainsi un renouveau du «
féminisme » qui était jusqu’alors en dépérissement.
Les femmes africaines prennent davantage la mesure des enjeux de
développement économique, et de la triple oppression qu’elles subissent
dans les conflits qui embrasent le continent. Cette oppression est de
nature économique liée à la mondialisation, à la domination économique
des marchés mondiaux par l’Occident, elle est aussi culturelle et
machiste.
A ce niveau est pris en compte, ce qui freine et inhibe le continent
africain dans ses efforts de développement. Les vecteurs principaux
sont :
1. le sous-développement économique engendre la pauvreté.
L’Afrique n’est pas encore considérée comme « continent émergent ».
Parmi les pays dits pauvres, le continent vient en première ligne :
alors que la population rurale pauvre représente 63 % de la population
rurale mondiale, cette proportion atteint 65 à 90 % en Afrique
sub-saharienne. Parmi les couches les plus pauvres dans les nations, la
paysannerie vient en tête, et en son sein, les femmes sont les plus
pauvres : les femmes rurales représentent plus d’1/4 de la population
mondiale (FMI 2001), là où la population féminine mondiale est de 52 %.
Dans certains pays, 70 à 80 % de la population féminine vit en milieu
rural. Ce chiffre a tendance à la baisse compte tenu de l’exode vers
les villes du fait de la précarité accrue par la crise mondiale
actuelle et de l’émigration croissante des femmes vers les pays riches
du Nord.
• A ce niveau se pose le problème
de la surcharge de travail : au travail domestique, aux grossesses
nombreuses et rapprochées, s’ajoute le travail de production : 80 % de
la production vivrière est faite par les femmes. Les femmes sont
écartées des cultures de rente cependant et des profits ainsi générés
et sont « chefs de famille » à 60 % des ménages dans certaines régions
d’Afrique. Ceci fait dire (Fondation du Sommet Mondial des Femmes
»/Journée mondiale de la femme rurale) qu’il y a « une féminisation de
la pauvreté » : 500 millions de femmes vivent endessous du seuil de
pauvreté en milieu rural.
• Est à considérer dans ce
domaine le problème de la propriété foncière (qui n’est pas uniforme
certes), de l’héritage.
• Du veuvage avec ses aspects coutumiers souvent oppressifs.
• L’apparition et l’expansion de la
famille monoparentale : de plus en plus de femmes sont seules chargées
de familles, et de familles nombreuses du fait de l’émigration vers le
Nord des forces vives, du chômage des hommes, et de l’abandon de
familles. • Le phénomène de l’exode rural ou émigration des campagnes
vers les villes : les femmes surpeuplent les faubourgs urbains, où
elles souffrent du mal-logement, et sont victimes d’abus et de
violences.
• Là, elles s’investissent dans le
secteur dit « informel » de plus en plus prépondérant dans les
économies nationales. Leur travail dans ce secteur ne connaît aucune
législation la plupart du temps et est soumis aux aléas du chômage des
hommes et des impératifs du développement industriel. En effet, elles
développent aux alentours des industries des unités de blanchissage, de
cantines, de vente au détail, etc., lesquelles sont dépendantes de
l’emploi des ouvriers et manutentionnaires.
• Quant elles sont ouvrières d’usines de
conditionnement et de transformation des produits alimentaires, à
travail égal et compétences égales, elles perçoivent au bas mot un
salaire 20 % moindre que pour les hommes.
2. La pauvreté et le
sous-développement engendrent les conflits sociaux, ethniques et les
guerres qui ont défrayé la chronique et qui sévissent encore.
Outre les témoignages véhiculés par les médias, la littérature féminine
est abondante et éloquente à cet égard, notamment sur le viol comme
arme de guerre dans la Région des Grands Lacs et le centre de
l’Afrique, favorisant l’expansion des maladies sexuellement
transmissibles, notamment le SIDA/ VIH. Un récent ouvrage, illustré de
bouleversantes photographies, recense des témoignages de femmes à
travers les contrées en guerre sur le continent et ailleurs (« Women
are heroes », Jr 2009). « Que vivent les femmes d’Afrique » (T. Boni,
2008) est un cri relayé par « Oui mon mari ! Non mon mari ! » (K. H.
Baldé, 2011). Ceci pour n’en citer que quelques uns. Cette injustice
est criante : lorsque le mâle souffre, il se tourne vers plus faible
que lui, les femmes et les enfants. Il y a un rapport de pouvoir
physique et social endémique exacerbé par les difficultés économiques
en temps de crise.
Ce fléau met en évidence :
3. La misère sanitaire et l’absence de politiques de santé publique dont souffrent les femmes en Afrique.
Depuis longtemps en Occident les femmes ne meurent plus en couches, et
la mortalité infantile est quasi inexistante. La prévention maternelle
et infantile (PMI) en Afrique est impuissante, les organisations
internationales et les ONGs témoignent : 2 enfants sur 5 en zone rurale
ou suburbaine ne dépassent pas l’âge de 5 ans. En Afrique, les
infrastructures de santé sont quasi inexistantes en milieu rural, et
lorsqu’elles existent, elles sont bien mal équipées. A cela s’ajoute
une industrie pharmaceutique absente ce qui entraîne tous les abus et
les trafics destinés aux marchés locaux de faux médicaments ou
médicaments périmés.
4. Le bouleversement
des écosystèmes traditionnels par le nouvel ordre économique introduit
a rendu caduques ou répressifs les paramètres d’équilibrage des
relations au sein des familles et entre les couches sociales.
L’exploitation familiale, l’artisanat, la pêche, le commerce et le troc
des denrées étaient soutenus par un ordonnancement des activités et des
rapports dans lequel les coutumes et les moeurs avaient rang d’éthique
moralisant le mode de production, en bref, elles « légiféraient » et
octroyaient droit et obligations. Comment faire admettre et endurer par
l’individu, certaines coutumes et traditions lorsque la situation de la
personne au sein de la famille, du noyau de production, du fait social
n’est plus la même que celle que régissaient ces coutumes et traditions
?
Pour la femme cette question se pose dans le domaine de la relation
matrimoniale, le rapport au conjoint là où les femmes deviennent
pourvoyeuses de richesses et de moyens de subsistance, là où elles
deviennent « chefs » de familles élargies. La question se pose
évidemment dans le cas de la polygamie et du mariage forcé. Et se pose
de façon plus décisive dans le cas des mutilations sexuelles, de
l’excision et de l’infibulation.
Par ailleurs, formées à l’école occidentale, elles ont peine à subir
les liens de domination que perpétuent certaines formes de vie perçues
comme freins à l’émancipation individuelle, à la réussite
professionnelle et la réussite sociale. En même temps qu’elles sont
solidaires des besoins familiaux qu’elles portent à bout de bras et de
plus en plus, une tendance soutenue se fait jour pour une individualité
libérée de ces exigences surtout dans le milieu de la jeunesse. La voie
qui s’élève est celle de la révolte comme nous l’a faite entendre dans
les années 1980 Mariama Bâ avec son fameux ouvrage « Une si longue
lettre », et le « chant écarlate ». La dignité et le rang social de la
« grande royale » (Ch. A. Kane, « L’aventure ambiguë ») apparaissent de
nos jours avec la nostalgie d’un ordre social disparu. Si toutefois
tout était loin d’être juste dans cet ordre, et ce qui nous permet de
le dire est justement la distance que procure notre propre
acculturation, cette société était aussi bien loin de la dislocation
des structures relationnelles que nous vivons dans ce moment. La
romancière A. S. Fall est une éloquente oratrice de la sagesse de ce
monde disparu bien que situant aussi le débat sur la coercition que
cette force exerce sur la personne féminine. Lorsque V. Tadjo fait
résonner encore dans sa poésie comme une nostalgie d’un retour au pays
natal, on relève les accents d’un voeu de complémentarité et d’harmonie
dans la relation à l’homme.
Les années 1970-80 ont vu en Afrique la naissance de nouvelles
structures gouvernementales notamment les ministères de la « condition
féminine », de la « femme et de la famille », etc. Ces structures n’ont
fait qu’un temps et leur impact sur les dispositifs législatifs pour
les femmes quasi nul. Les nouveaux codes de la famille ne sont pas
appliqués, comme exemple le cas du Mali, et les enfreintes aux contrats
de mariage ne sont pas poursuivies.
Un renouveau du féminisme se fait jour avec les violences faites aux
femmes dans les contrées en guerre civile et au sein de la famille;
puisse ce réveil appuyé par les réseaux associatifs féministes, qui se
créent à travers l’Afrique, amener une législation plus efficiente et
des structures d’accueil et de formation pour les jeunes-filles. Donc
pour l’avenir, amener la mise en place d’une politique de suivi de ces
décisions au niveau de l’exécutif gouvernemental, seul indice d’une
volonté d’émancipation et de progrès des autorités d’une nation.
La sensibilisation des individus et des gouvernants (gender
sensitiveness) à cet objectif est la mission entreprise par l’ONG «
Femmes Droit et Développement en Afrique (Women in Law and Development
in Africa) » qui a vu le jour dans le cadre de la décennie des femmes
de 1985 et établi officiellement en 1990 à Harare (Zimbabwe).
Pour ce faire, l’ONG a élaboré des programmes de mobilisation, de
groupes de plaidoyer pour les droits des femmes au niveau national,
sous-régional et panafricain. Elle est reconnue comme organe régional
pour les droits des femmes en Afrique de l’Ouest où la branche a été
créée en 1997 et compte 8 pays membres.
Nous laissons la FDDA exprimer la philosophie du féminisme des femmes
africaines par ces mots : « il n’y a pas de droits de l’Homme sans
droits des femmes », « sans la pleine participation des femmes, il n’y
aura pas de développement ».
22 Octobre 2013 - 8 Mars 2014 - Réédité le 8 Mars 2016
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