Les femmes, fers de lance de la prochaine « révolution verte »
Par Dario Sarmadi, EurActiv.de, Traduction française sous la supervision de Ludivine Odoni
Près d'un
milliard de personnes souffrent de faim chronique à travers le monde.
Afin de nourrir une population mondiale en augmentation, les Nations
Unies, les organisations d'agriculteurs et de nombreuses ONG appellent
à une nouvelle « révolution verte » qui donnerait du pouvoir
aux petits exploitants agricoles – en particulier aux femmes.
Dans
le débat sur la lutte contre la faim dans le monde, la révolution verte
est un concept controversé. Dans les années 60, les techniques de
l'agriculture intensive ont permis de doubler la production alimentaire
au niveau mondial, mais leurs effets sur l'environnement,
particulièrement dans les pays en voie de développement, ont été
dévastateurs. Aujourd'hui encore, leurs détracteurs déplorent que les
ressources en terre et en eau sont devenues rapidement insuffisantes et
que les petits exploitants agricoles n'ont pas reçu la part qui leur
revenait de droit.
Jervis Zimba, vice président de l'Organisation mondiale des
agriculteurs (WFO), confiait à EurActiv.de que « malgré l'aide
apportée, qui se chiffre en milliards, de nombreux paysans africains
vivent toujours dans des conditions inhumaines. L'effet de
ruissellement que les pays donateurs souhaitaient n'a pas eu lieu. Au
lieu d'investir de haut en bas, ils auraient dû renforcer les capacités
des petits exploitants ».
Aujourd'hui, les Nations unies appellent à un nouveau départ – une
deuxième révolution verte, avec des investissements massifs en faveur
des petits agriculteurs.
« Les politiques destinées à accroître la productivité agricole et
la disponibilité alimentaire, en particulier lorsqu'elles ciblent les
petits exploitants, peuvent réduire la faim même en présence de
pauvreté répandue. » C'est ce que souligne le rapport annuel de
l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture
(FAO), « L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde »."
Cette théorie est confirmée par d'autres agences internationales. Une
étude récente menée par le Fonds international pour le développement
agricole (FIDA) et le Programme des Nations Unies pour l'environnement
(PNUE) a démontré que « les petits exploitants peuvent être au
premier rang d'une révolution agricole durable ».
Dans ce contexte, le Comité de la sécurité alimentaire mondiale des
Nations Unies, récemment réuni à Rome, a donné un signal clair. Le
rapport de conclusion de la réunion a indiqué que la participation des
petits agriculteurs aux marchés agricoles nationaux et aux chaînes de
valeur agro-alimentaires transnationales doit être renforcée afin
d'augmenter la sécurité alimentaire sur les marchés émergents et en
voie de développement.
Il indique également que les gouvernements nationaux, les pays
contributeurs et les organisations d'aide au développement doivent
augmenter leurs investissements afin d'améliorer le transport maritime
et les infrastructures. Les terres et les forêts doivent être
préservées grâce à une agriculture durable. Les petits exploitants
doivent pouvoir être plus autonomes dans leur travail et mieux gagner
leur vie.
Les conclusions du rapport ont été soutenues par 11 organisations
des Nations Unies, 95 ONG et 47 représentants du secteur
privé.
Augmenter la compétitivité des petits exploitants
Pour George Rapsomanikis, expert en nutrition à la FAO, « les
petits exploitants contribuent à la sécurité alimentaire mondiale et à
la nutrition à la fois directement – les familles consomment ce
qu'elles produisent – et indirectement, en fournissant au marché local
les principales denrées alimentaires. »
En Afrique, 80% des agriculteurs possèdent moins de deux hectares de
terre. Ironie du sort, les paysans eux-mêmes sont bien souvent les plus
touchés par la faim. « Les petits exploitants agricoles font face
à des contraintes majeures spécifiques, notamment une pauvreté extrême,
des droits de propriété très fragiles et un accès restreint aux marchés
et aux services financiers, » confiait Rapsomanikis à EurActiv.de.
Selon lui, les gouvernements et les donateurs devraient canaliser les
fonds publics, limités, vers des domaines qui ont fait leur preuve en
matière de croissance agricole et de réduction de la pauvreté, comme
par exemple la recherche et le développement agricoles, les
infrastructures rurales et l'éducation.
« Dans de nombreux pays, il a été prouvé que les investissements
dans ces domaines sont bien plus rentables que les subventions en
faveur des intrants agricoles comme les engrais. Bien que ces
subventions soient populaires sur le plan politique, elles ne sont pas
les plus rentables en général », poursuivait-il.
À Bruxelles, les décideurs politiques de l'UE acquiescent et estiment
que les petits agriculteurs sont un lien essentiel dans la chaîne de
sécurité alimentaire dans les pays en développement. Pour Jean-Pierre
Halkin, directeur de l'unité pour la sécurité alimentaire à la
Direction Générale de Développement et Coopération, (DG DEVCO),
« [les petits exploitants] doivent devenir partie intégrante des
chaînes de valeur agro-alimentaires pour pouvoir vendre leur production
à des prix raisonnables.
Les producteurs de cacao et de bananes en Amérique du Sud en sont un
exemple parfait. Ils parviennent manifestement à tenir leurs positions
quand ils sont en concurrence avec les grandes exploitations agricoles.
Nous travaillons en étroite collaboration avec les organisations
d'agriculteurs. C'est seulement en groupe qu'ils peuvent s'organiser
efficacement contre l'industrie agro-alimentaire et négocier plus
efficacement en matière d'expropriation foncière, » a-t-il conclu.
La violence contre les femmes menace la sécurité alimentaire
Les décideurs politiques pensent que la deuxième révolution verte doit
avant tout être orientée vers les femmes. En effet, elles jouent un
rôle décisif dans les chaînes de valeur agro-alimentaires en cultivant
la propriété familiale, en vendant les produits sur les marchés ou en
préparant les repas pour leurs familles.
Pourtant, d'après les ONG, la violence et la discrimination dont les
femmes sont victimes entravent fortement la lutte contre la faim. Dans
un rapport commun intitulé « L'Observatoire du droit à
l’alimentation et à la nutrition 2013 », 21 organisations
d'aide au développement relèvent que les femmes ont un accès limité aux
ressources naturelles, des salaires inférieurs à ceux des hommes, sont
à peine représentées politiquement et sont souvent victimes de
violences sexuelles sur leur lieu de travail.
Le rapport appelle à l'amélioration de l'éducation aux droits
fondamentaux dans les pays en développement et au renforcement des
mécanismes de contrôle et de sanction en cas de violation des droits
fondamentaux des femmes.
« Encore aujourd'hui, le problème est que les femmes sont rarement
propriétaires de la terre qu'elles travaillent » remarquait Carina
Hirsch, du WFO. « Entre autres choses, les femmes doivent pouvoir
dès à présent hériter de la terre. De plus, elles doivent se rassembler
en réseau pour échanger des informations et à long terme endosser un
rôle de leader dans le secteur agricole, » poursuivait-elle. Pour
les décideurs politiques, le problème n'est pas nouveau. L'UE a essayé
d'intégrer les femmes dans sa politique d'aide au développement depuis
plusieurs années, indique Jean-Pierre Halkin.
Ce fut le cas notamment lors de programmes d'aide d'urgence à
destination des femmes, comme dans la stratégie nationale pour le
Bangladesh (2007-2013). Le document de stratégie indique clairement que
l'UE se concentre dorénavant sur des approches et des interventions
innovantes en « visant en priorité les femmes extrêmement pauvres
et en situation d'insécurité alimentaire » qui n'ont pas bénéficié
des principaux programmes de réduction de la pauvreté par le passé.
Avec son cadre stratégique en faveur de l'amélioration de la nutrition
maternelle et infantile dans le cadre de l’aide extérieure , l'UE veut
également s'attaquer à la malnutrition chronique des enfants. Selon
Jean-Pierre Halkin, « la malnutrition n'est pas seulement
responsable du fort taux de mortalité infantile dans les pays en
développement. Si l'alimentation est trop chère et la qualité
insuffisante, les enfants ne pourront jamais devenir des adultes en
pleine possession de leurs moyens. »
1er Décembre 2013
Consultez le Site d'Euractiv
Retour au Développement
Retour au sommaire
|