Selon l'Unesco, il manque 18 millions d'instituteurs
Par Brigitte Perucca
Le monde manque
d'"instits" : 18 millions d'enseignants supplémentaires sont
nécessaires pour parvenir à l'éducation primaire pour tous d'ici à
2015, un des huit Objectifs du millénaire fixés par les Nations unies.
L'Unesco et l'Internationale de l'éducation - qui regroupe les
organisations syndicales de la profession - sonnent le tocsin en vue de
la Journée mondiale des professeurs, célébrée en octobre.
ENFANTS NON SCOLARISÉS
L'Afrique, où l'on en dénombre 35,1 millions, fait la course en tête
devant l'Asie du Sud (18,2 millions), l'Asie de l'Est (9, 5 millions),
les pays arabes (5,7 millions) et l'Amérique latine (2 millions).
TAUX DE SCOLARISATION
Les progrès enregistrés en moins d'une décennie sont impressionnants.
En Afrique subsaharienne, le taux est passé de 56 % à 70 %, de 75 % à
86 % en Asie du Sud et de 78 % à 84 % dans les pays arabes.
(Source : Rapport mondial 2006 de suivi sur l'éducation pour tous).
Ces chiffres qui donnent le vertige résultent d'un croisement entre
quelques paramètres : le nombre d'enfants privés d'école d'abord, soit
environ 10 % des 6 à 12 ans en âge d'être scolarisés ; les prévisions
démographiques ensuite ; les départs en retraite des enseignants aussi
; un ratio de 40 élèves pour un enseignant, enfin, taux d'encadrement
retenu par l'Unesco.
Cette projection pessimiste ne doit cependant pas masquer le
gigantesque pas en avant accompli ces dernières années. En moins de dix
ans, on est passé de 103 à 75 millions d'enfants non scolarisés, "une
dynamique qui n'a pas de précédent historique", assure Nicolas Burnett,
sous-directeur général pour l'éducation de l'Unesco. Mais une dynamique
qui semble aujourd'hui enrayée sinon menacée par d'autres facteurs,
plus profonds et plus graves que la pénurie d'instituteurs.
Le premier de ces facteurs tient à la politique de recrutement des
enseignants. Si les taux de scolarisation se sont améliorés dans de
nombreux pays, c'est grâce à l'embauche massive de contractuels, voire
d'enseignants payés par des communautés villageoises. En Afrique
francophone par exemple, les enseignants contractuels sont
majoritaires. Nul doute qu'en Afrique subsaharienne, où un enfant sur
deux ne termine pas l'école primaire, "la logique comptable", comme le
souligne Jean-Marc Charles, conseiller Unesco à Dakar, a toutes les
chances de l'emporter sur toute autre considération.
Cet expert évalue, au terme d'une enquête à paraître réalisée dans 42
pays africains, qu'il faudrait recruter 2,3 millions d'enseignants pour
atteindre en 2010, en 2015, voire en 2020 selon les pays, la
scolarisation primaire universelle.
Cet horizon paraît inatteignable sans le recours à des
non-fonctionnaires. Or les critiques redoublées sur la mauvaise qualité
de l'éducation - un phénomène qui n'est pas propre à l'Afrique - ou sur
les risques de privatisation du système éducatif un peu partout dans le
monde montrent que le consensus qui a entouré pendant plusieurs années
cette politique de recrutement est en train de s'effriter. Au risque de
s'attirer les foudres syndicales, M. Charles assure pourtant qu'aucune
étude n'apporte de preuves sur la moindre qualité d'un enseignement
dispensé par des enseignants peu aguerris et contractuels comparé à
celui délivré par des professeurs sous statut.
Il n'empêche : si les enseignants demeurent peu formés et mal payés,
"l'école restera un système de tri", regrette Martin Péricard, de l'ONG
Aide et action, qui relève des dérives au Vietnam, au Laos, au Cambodge
ou en Chine, consistant à faire payer les parents pour l'école publique
de leurs enfants. Sans compter que, dans plusieurs pays d'Asie du Sud,
la privatisation gagne avec la création d'écoles privées de très piètre
qualité, comme le fait observer Sheldon Schaeffer, directeur du bureau
Asie-Pacifique de l'Unesco. Sans compter non plus qu'il sera difficile
de susciter des vocations sans amélioration du statut et du salaire.
Le spectre de la crise financière représente une autre menace, plus
immédiate encore. L'Unesco, qui entend bien profiter de cette Journée
mondiale pour frapper les portefeuilles au moins autant que les esprits
et les coeurs, constate que la générosité des pays développés s'est
déjà amoindrie. "Les engagements (pour l'éducation de base) sont passés
de 5,2 milliards de dollars en 2004 à 3,7 en 2005. On observe une
petite augmentation en 2006, mais sans retrouver le niveau de 2004",
explique encore M. Burnett.
24 Février 2014
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