« En Afrique, la maîtrise de la démographie n'est plus un tabou »
Par Alain Faujas



Voilà dix ans que la croissance des pays d'Afrique subsaharienne caracole à des taux proches de 5 % par an. Pourtant, l'objectif du Millénaire d'y diviser la pauvreté par deux entre 1995 et 2015 a peu de chances d'être atteint. La faute à la croissance démographique qui absorbe les gains réalisés et qui handicape les politiques d'éducation, de santé et de lutte contre le chômage.


A la veille du quatrième sommet Union européenne-Afrique qui se tient les 2 et 3 avril à Bruxelles, l'Agence française de développement (AFD) a organisé un débat, mardi 1er avril, sur le thème « Afrique 2050 : agir sur ses évolutions démographiques ? » afin de réfléchir aux bonnes politiques pour assurer un meilleur avenir aux populations futures dont le nombre passera d'un à deux milliards d'individus en 2050.

Yves Boudot, directeur du département Afrique à l'Agence française de développement (AFD), explicite cet enjeu et les précautions à prendre pour que le « poids » démographique se transforme en « dividende » démographique. 

Pourquoi cette interrogation sur la très rapide croissance démographique africaine, alors qu'on la sait dommageable de longue date ?

Ce sujet n'est plus tabou depuis la conférence d'Ouagadougou sur la planification familiale en février 2011. Les chefs d'Etat de la région se le sont appropriés et il ne risque plus d'être considéré comme une intrusion du Nord dans les valeurs du Sud.
La soutenabilité du développement est évidemment fonction du nombre d'habitants : on calcule par tête le revenu tout comme la consommation énergétique. Plus il y a de têtes et moins il y en a par tête.



Certes, en Asie, les nombreuses populations sont qualifiées de « dividendes démographiques ». Mais, en Afrique, pour le moment, il s'agit plutôt d'un « poids démographique ». Mais il faut parler « des » Afrique.

En effet, il existe un « poids » démographique au Niger où l'on recense 7 enfants par femme et où la population gonflera de 15 à 40 millions d'habitants au milieu d'un désert qui ne cesse de progresser. En revanche, au Sénégal ou en Afrique du Sud, on assiste à une forte baisse de la fécondité; et au Cameroun, l'agriculture ne devrait avoir aucun mal à répondre à l'augmentation de la demande alimentaire.

L'Afrique doit-elle s'inspirer des méthodes de contrôle des naissances pratiquées en Asie ?

La Chine et l'Inde ont pratiqué des méthodes extrêmement directives, voire intrusives comme la stérilisation, qui ne sont pas reproductibles en Afrique.

Le Sénégal montre un chemin. L'épidémie de sida n'y a jamais atteint des sommets comme en Afrique australe, parce que les confréries musulmanes ont intelligemment conseillé aux croyants de se protéger et elles ont été entendues. La même démarche en matière démographique serait précieuse : une coopération entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux est indispensable.



N'oublions pas que l'émergence des classes moyennes est corrélée avec une baisse de la natalité. Le phénomène sera plus long qu'en Asie, mais cela mérite qu'on s'y attelle car, chaque année, entre 10 et 15 millions de jeunes arrivent sur le marché de l'emploi africain, ce qui est gigantesque.

En quoi la croissance démographique dégrade-t-elle la qualité de la croissance ?

Prenez le cas du Gabon. Grosso modo, la population y a été multipliée par trois depuis l'Indépendance. En revanche, le nombre des cotisants à la sécurité sociale n'y a pas progressé. Cela signifie que l'économie formelle, gage de décollage, en pourcentage de la population stagne ou régresse.

Les moteurs de la croissance y sont le pétrole, le gaz ou les produits miniers qui donnent de grands coups d'accélérateurs au produit intérieur brut (PIB), mais qui profitent peu à la population. Ce n'est que par la dépense publique que l'on peut corriger cette anomalie.



L'AFD participe-t-elle à des programmes de contrôle des naissances ?

Non, nous mettons l'accent sur la protection maternelle et infantile. Si les gouvernements intéressés nous le demandaient, nous étudierions la question. Il faut être très prudent, car la fécondité échappe à l'économétrie.
Mais il est indispensable de se poser ces questions et de comparer avec les expériences menées sur d'autres continents afin de faire de la démographie, non une catastrophe comme dans les pays en crise, tels la République démocratique du Congo ou Madagascar, mais un véritable atout.

15 Mars 2014

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