Agriculture : "L’Afrique peut nourrir toute la planète !"
Par Dounia Ben Mohamed, à Kinshasa
L'Afrique
compte 60 % des terres arables non exploitées du monde. De quoi
conduire l'Agribusiness Forum de Kinshasa à franchir toutes les lignes
d'optimisme.
"L'Afrique a les moyens de nourrir les trois quarts de la
planète." À Kinshasa, l'un des points centraux a été de savoir comment
valoriser ce potentiel à la fois pour l'Afrique mais aussi pour
l'ensemble du monde. Il faut dire que jamais une conférence sur
l'agriculture en Afrique n'avait attiré tant de monde. Encore moins en
RD Congo, où les mines sont l’objet de tous les intérêts et de toutes
les convoitises.
L'agriculture au coeur des priorités
Plus de 400 personnes se sont retrouvées la semaine dernière cette
semaine à Kinshasa pour la 5e édition de l’Agribusiness Forum, des
acteurs du secteur agricole africain, mais également des investisseurs
suisses, belges, ou encore israéliens ainsi que des partenaires
techniques et financiers. Signe que l'agriculture est au coeur de
toutes les priorités. En Afrique comme sur la scène internationale. Car
l'enjeu est de taille : nourrir 7 milliards d'individus tous les jours
sur la planète. En 2050, le chiffre s'élèvera à 9 milliards alors
qu'aujourd'hui même quelque 805 millions de personnes dans le monde ne
mangent pas à leur faim si l'on en croit les dernières estimations de
l’ONU. Soit une sur neuf. Le défi est donc de produire plus, beaucoup
plus, et vite. Or, avec le vieillissement démographique qui touche
l'Europe, les dérèglements climatiques qui perturbent les productions
agricoles, l’épuisement des terres fertiles..., il semble que les
solutions soient en Afrique.
"La RDC peut nourrir 3 milliards de personnes…"
"Au cours des 20 dernières années, ERMC a travaillé pour que
l'agriculture soit en tête des agendas. Aujourd'hui, plus personne ne
se pose la question de l'importance de ce secteur qui occupe plus de la
moitié de la population du continent", s’est réjoui Idit Miller,
vice-présidente et directrice générale d’ERMC, un réseau qui regroupe
des entrepreneurs, des financiers et des représentants de plus d’une
centaine de pays, dont la vocation est de promouvoir un développement
économique durable en Afrique avec un accent particulier porté en
direction du secteur privé.Selon une étude de la Banque mondiale, la
croissance du secteur agricole est quatre fois plus importante que
celles d’autres secteurs. "Or plus de 80 millions d'hectares de terres
arables non encore exploitées se trouvent ici en RD Congo. Ce pays peut
nourrir quelque 3 milliards de personnes de la population mondiale et
10 % de ce potentiel peut être réalisé dans les années à venir",
explique-t-on. D’où le choix d’organiser cette édition à Kinshasa,
après Kigali. Le pays est engagé dans un processus de modernisation de
son agriculture qui doit lui permettre de nourrir ses 73 millions
d’habitants mais également les 250 millions d’âmes que compte la région.
"Montrer qu'en plus des mines le secteur agricole offre de formidables opportunités en RDC"
"Mon pays est avant tout un pays à vocation agricole", a indiqué le
ministre de l’Agriculture de RDC, Isidore Kabwe Mwehu. "Nous avons
l'objectif de transformer notre agriculture pour en faire un puissant
levier de développement économique." Comment ? À travers notamment le
lancement du premier parc agro-industriel à Bukanga-Lonzo pour
contribuer à la promotion des chaînes de valeur. Reste à attirer les
investisseurs nécessaires. "La RDC connaît un taux de croissance en
augmentation régulière depuis une décennie. L'année dernière, on a
atteint les 9 %, et on est au stade de passer à une croissance à
deux chiffres. Avec un taux d'inflation en dessous de la barre des
1 %, un climat d'affaires favorable avec la mise en place d'un
guichet unique qui permet de créer une entreprise en trois jours, si la
RDC maintient ce cap, l’émergence sera au rendez-vous plus tôt que
prévu. Le moment est venu d'attirer les investisseurs étrangers, privés
et publics, et d'autres partenaires en vue de promouvoir
l'agriculture", a indiqué le ministre. Et de profiter de cette tribune
"pour montrer à la face du monde qu'au-delà des mines le secteur
agricole offre de formidables opportunités en RDC". Un modèle
congolais qui sera mis en avant à l’occasion de ce forum aux côtés
d’autres expérimentés au Kenya, au Rwanda ou encore au Burkina Faso.
"La quête de l'émergence en Afrique dépend de l'agriculture"
"En dépit de ces efforts, la situation reste préoccupante en RDC",
nuance Priya Gajraj, directrice pays du PNUD en RDC. "Pour 2014, le FAO
a estimé que 6,5 millions de personnes se trouvaient dans une situation
alimentaire critique. La production locale n'est pas encore en mesure
de nourrir l'ensemble de la population. Ce qui fait que le pays doit
recourir aux importations." L'année dernière, l’ardoise s’est chiffrée
à 1,5 milliard de dollars. Alors, elle interpelle le gouvernement, le
privé et tous les acteurs du secteur. "Il faut favoriser l'accès au
marché à travers la mise en place de politiques favorables
d'encadrement des paysans, à l'amélioration de la productivité,
favoriser l’accès au financement des fermiers en soutenant les chaînes
de valeur agricoles." Et de saluer à ce titre la présence des banquiers
de l'agriculture venus présenter les outils et mécanismes à destination
des exploitants agricoles. Ainsi, la Banque européenne d'investissement
assure 7 milliards d'euros de volume de prêts par an, dont 10 %
hors UE et 1 milliard sur l'Afrique. Un continent pour lequel elle a
mis en place des instruments spécifiques. "Par exemple, indique
Catherine Colline, responsable de la division Afrique à la BEI, dans le
nord du Sénégal, on soutient un projet de production de riz blanc sur 4
500 hectares avec la construction d'une usine de transformation d’une
capacité de 45 000 tonnes par an." Des financements indispensables pour
moderniser l’agriculture encore largement artisanale et familiale sur
le continent.
"L’agriculture est un business"
Intervenir sur l’ensemble de la chaîne de valeur, c’est le mot d’ordre.
À commencer par les premiers acteurs du maillon, les petits
producteurs. Sachant que l’agriculture est l’activité principale pour
80 % de la population du continent. Lesquels souffrent du manque
de semences, d'équipements de transformation, d'infrastructures
d'écoulement des productions, etc. Des progrès ont été réalisés ces
dernières années, mais pas assez pour Monty Jones, président d’ERMC et
conseiller du président de Sierra Leone. "Nous, les acteurs du
développement de l'agriculture, nous devons faire plus, faire mieux,
pour l'Afrique, pour l'humanité", dit-il. À cinq
conditions : "Se rappeler que l'agriculture est un business ;
reconnaître le rôle des gouvernements et du secteur privé dans la
transformation de notre agriculture ; reconnaître les rôles des grandes
compagnies et des PME ; renforcer les capacités des femmes ; enfin,
l'Afrique doit être prête à faire face à des catastrophes comme Ebola."
L’exemple de la Sierra Leone qu’il connaît bien est plus qu’évocateur à
ce titre. "C'est pour cela que ce forum est important. Il intègre le
secteur privé et l'encourage à investir dans le secteur agricole, aux
côtés des gouvernements et surtout des producteurs. À la fin, tout le
monde y gagne, c'est du win win ! C’est un challenge pour le monde
entier. Aujourd’hui, le monde est conscient de cela... ce qui n'était
pas le cas il y a 20 ans."
Cibler les femmes et les jeunes
"C'est avec l'inclusivité des petits producteurs dans le milieu rural,
des PME, des femmes que l’on pourra créer plus d’opportunités",
préconise Eugenia Serova, directrice au sein de FAO (organisation des
Nations-Unis pour l’alimentation et l’Afrique). C’est également
l’approche suivie par le Fida, une agence spécialisée des
Nations-Unies qui se mobilise pour la réduction de la pauvreté dans le
monde rural. "Notre cible principale, ce sont les petits
producteurs, en particulier les femmes et les jeunes. Toute une
littérature démontre la corrélation entre l’autonomisation économique
des femmes et la lutte contre la pauvreté, rappelle Rasha Omar, qui
représente le Fida en RDC. Pour l’autonomisation économique des femmes,
ce qui marche : l’alphabétisation, l’accès au conseil agricole, la
réduction de la pénibilité du travail, l’accès aux services financiers
et tout particulièrement l’accès au foncier. Pour les jeunes, il s’agit
de rendre le travail moins pénible, ils ne veulent pas subir que ce
leurs parents ont suivi, en ciblant les activités à haute valeur
ajoutée qui peuvent être concentrées sur de petites surfaces, comme l’
apiculture, la pisciculture ou le maraîchage." Des actions menées par
le Fida à travers "un mélange de subventions et de crédits accordés par
les établissements financiers de la place". Par ailleurs,
souligne-t-elle, il convient d’"assurer la représentation des jeunes et
des femmes dans les conseils et autres organes représentatifs de la vie
rurale. C'est cela qui leur donne une voix et leur permet d'avancer".
"Avec Ebola, il va y avoir une crise alimentaire en Afrique de l’Ouest"
Au-delà des institutions internationales, des partenaires privés tels
que AGCO, société américaine de fabrication d’équipements agricoles,
ont également ciblé les petits exploitants. "Je suis originaire de
Somalie, où j’ai grandi, je connais la famine", raconte Nuradin Osman,
directeur des opérations Afrique et Moyen-Orient chez AGCO, un homme
qui n’a reçu pour bagage que le fait d'avoir accompagné sa mère sur les
marchés pour vendre des tomates. "Je connais la famine. J’ai quitté le
pays adolescent pour les Pays-Bas avec une obsession : qu'est-ce que je
peux faire pour le continent ? Le défi en Afrique, c’est la disposition
des aliments. Je devais me focaliser sur l'augmentation de la
production agricole." Avec un chiffre d’affaires de 10 milliards de
dollars, dont 53 % sur la zone Afrique, Moyen-Orient et Europe,
AGCO, présente à travers le monde, propose des solutions globales et
notamment des solutions high-tech. "On peut utiliser les smartphones
pour l'agriculture, mais cela demande de la formation pour utiliser les
nouvelles technologies. Nous, à AGCO, on délivre des services complets.
On commence par assurer l'écoulement des marchandises, donc le
transport, ce que nous faisons en Zambie." Aujourd’hui, AGCO vise
l’Afrique de l’Ouest. "Avec Ebola, il va y avoir une crise alimentaire.
Les exploitants familiaux ne peuvent plus aller sur les champs."
L’Afrique a vendu pour 100 milliards de dollars de terres depuis 2000
En définitive, selon Priya Gajraj du PNUD, "la quête de l'émergence en
Afrique dépend de l'agriculture. L'Afrique est en passe de devenir un
continent stratégique pour l'agriculture. Avec 60 % des terres non
cultivées, suffisamment de ressources en eau, de main-d'oeuvre, elle
peut répondre à la demande mondiale". Pour relever ce challenge,
le forum s’est achevé sur "la déclaration de Kinshasa", soit une
stratégie pour développer le secteur agricole en Afrique en intégrant
tous les maillons de la chaîne, des exploitants familiaux aux
gouvernements en passant par les opérateurs privés et les bailleurs de
fonds. À condition également de protéger le foncier en Afrique. La
question épineuse à laquelle nombre d’États font face en essayant de
mettre à jour leur code foncier et alors que Chinois, Saoudiens ou
Qataris pratiquent une politique agressive d’achats de terres en
Afrique guidés par le besoin de produire pour leur marché intérieur...
sans réellement participer au développement de l’agriculture locale.
Selon des rapports de l’Union africaine, l’Afrique a cédé pour plus de
100 milliards de dollars de terres depuis l’an 2000. À ce titre,
l’Afrique du Sud a annoncé récemment que les étrangers ne pourraient
plus acheter de terres dans le pays d’ici cinq ans. Une entrave qui en
annonce d'autres.
17 Avril 2015
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