Afrique - Développement durable : comment en assurer le financement ?
Par Christelle Marot
Dans
le récent ouvrage du Ferdi*, "Financing Sustainable Development :
Adressing Vulnerabilities", des pistes intéressantes sont proposées. À
découvrir.
À deux semaines de la conférence d’Addis-Abeba et tandis que se
profile la COP 21 en décembre à Paris, la pression monte sur la
question des financements pour le développement durable. Rapports et
propositions se multiplient. Ils masquent mal le drame des promesses
non tenues par les pays industrialisés vis-à-vis des pays pauvres ainsi
que le climat de défiance collective qui empoisonne les négociations.
Un constat : la donne change
L’apparition ces dernières années de nouveaux acteurs, qu’ils soient
privés, philanthropiques, fonds souverains ou bailleurs émergents comme
la Chine, l’Inde et l’Arabie saoudite, change la donne et les rapports
de force. C'est dans ce contexte que l’ouvrage Financing Sustainable
Development : Adressing Vulnerabilities, publié par la Fondation
pour les études et recherches sur le développement international
(Ferdi), apporte une précieuse contribution au débat. De fait, il
détaille de nouvelles pistes de réflexion portées par une quarantaine
d’auteurs. Elles vont de la place de la Chine à la prise en compte des
transferts de fonds des migrants, en passant par l’assurance climat,
les financements innovants, l’impact investment ou l’utilisation de DTS
(droits de tirage spéciaux du FMI) pour financer la transition
énergétique.
Des hommes, des pistes de réflexion
"Pour parvenir à un développement durable, il faut traiter l’ensemble
des vulnérabilités qui touchent les pays les plus pauvres,
essentiellement situés en Afrique, vulnérabilités économiques,
sociopolitiques et environnementales", relève Patrick Guillaumont,
président de la Ferdi. Dans le domaine agricole, pour diminuer la
vulnérabilité à des chocs climatiques de plus en plus fréquents, Alain
de Janvry, professeur d’économie à l’université de Californie à
Berkeley et senior fellow à la Ferdi, propose pour les paysans une
assurance indexée sur la météo, financée par des subventions
intelligentes et par une réassurance publique transitoire. Ici, les
indemnités versées par l’assurance sont déclenchées par des indicateurs
climatiques observables au niveau de la station météo la plus proche,
indépendants des événements qui touchent les exploitations agricoles.
L'impact investment à l'honneur
De son côté, Jean-Michel Severino, gérant d’Investisseurs et
Partenaires (I&P), se fait l’avocat de "l’impact investment" en
Afrique, approche qui intègre les externalités et les retours
extra-financiers des investissements. Le renoncement de la
profitabilité maximale au bénéfice de l’utilité sociale, sans
abandonner la logique de l’efficience économique dans la gestion de
l’entreprise, est caractéristique d’un impact investor. Sur le
continent, Investisseurs et Partenaires a investi dans plusieurs
sociétés, notamment au Ghana, pour offrir aux populations rurales des
solutions d’électrification qui combinent le pouvoir de la
microfinance, de la téléphonie mobile et des technologies vertes. Les
ménages sont locataires d’appareils alimentés par des panneaux
solaires, gérés sous forme de micro-leasings, et paient quotidiennement
leurs consommations par téléphone mobile. "Dans ce genre de projet, qui
répond au besoin d’électrification rurale en passant par les énergies
renouvelables, les investisseurs privés ne viennent pas, car cela
demande des capitaux, dans des pays très instables avec des modèles
économiques non prouvés. L’État ne peut pas le faire avec ses
subventions. Il y a donc besoin d’investisseurs d’un troisième type",
souligne Jean-Michel Severino lors du lancement de la publication
Ferdi. En Afrique, Danone, Schneider, Unilever ou Suez sont des "impact
investors" très actifs. "Schneider voit se développer un champ très
excitant de nouveaux produits. Pour elle, l’impact investment est une
sorte de laboratoire technico-social qui mérite qu’elle ne gagne pas
d’argent pendant un certain temps. C’est mettre de l’argent sur le
terrain plutôt que dans un centre de recherches", analyse le gérant
d’I&P.
Et si on taxait les industries extractives ?
Dans la perspective de l’agenda post-2015, la multiplicité des acteurs
et des instruments sera nécessaire pour traiter les problèmes :
hausse de la population mondiale, nutrition, environnement, sécurité,
migration, urbanisation. Dans un chapitre consacré aux financements
innovants, Philippe Douste-Blazy et Robert Filipp recommandent, eux, de
taxer l’industrie extractive et de gérer les ressources via une
nouvelle organisation internationale, Unitlife, construite sur le
modèle de Unitaid pour la santé. "La République démocratique du Congo
est le premier pays à avoir introduit une taxe sur le secteur
extractif, d’environ 0,10 dollar pour chaque baril vendu par les
compagnies pétrolières nationales. Près d’un quart du PIB de l’Afrique
est aujourd’hui basé sur les industries extractives. "Si les huit pays
africains pétroliers que sont l’Angola, le Cameroun, le Tchad, la RDC,
la Guinée équatoriale, le Gabon, le Ghana et le Nigeria introduisaient
une telle taxe, le mécanisme pourrait générer 194 millions de dollars
par an. Il y a là un fort potentiel pour éliminer le retard de
croissance des enfants dans ces pays notamment, retard qui obère le
capital humain à long terme. Car, malgré leurs ressources pétrolières,
ces pays comptent la proportion d’enfants souffrant de malnutrition la
plus importante. (…) Sur le terrain, les partenaires pourraient être
l’Union africaine, la Fondation Bill et Melinda Gates, la Fondation
Clinton, MSF, Unicef, le PAM", estiment les auteurs.
Financer le Fonds vert par des droits de tirage spéciaux du FMI
Sur le front climatique, à six mois de la COP 21, la proposition de
Gaël Giraud, économiste en chef de l’Agence française de développement
(AFD), ne passe pas inaperçue, peu goûtée par l’orthodoxie allemande et
par Bercy. La proposition est reprise dans le rapport de la commission
Canfin-Grandjean remis fin juin au président de la République. Gaël
Giraud et ses co-auteurs suggèrent que la France, lors de la COP 21,
revienne sur la proposition de financer le capital du Fonds vert pour
le climat à travers les droits de tirage spéciaux existants (réserves
de change). Cela n’impliquerait pas d’augmenter l’offre de monnaie (qui
suscite des réticences politiques notamment au niveau du Congrès
américain) et rendrait possible le financement de 100 milliards de
dollars par an pour des prêts annuels sur 10 ans, tandis que les
pollueurs historiques resteraient les principaux contributeurs. Le
capital du Fonds vert serait abondé par les 21 pays principaux
responsables de l’ampleur des émissions cumulées de gaz à effet de
serre au cours des 50 dernières années (en particulier USA, Chine,
Japon, Allemagne, Inde, Russie). En d’autres termes, la contribution
des pays pauvres serait nulle. "En 2009, le G20 a autorisé le FMI à
émettre de nouveaux DTS pour une valeur de 250 milliards de dollars
pour aider les principaux pays avancés à surmonter la crise de
liquidité qui menaçait leurs marchés bancaires respectifs. Si le FMI a
été capable de faire cela, pourquoi n’est-il pas capable de financer le
changement climatique en utilisant les mêmes méthodes ?"
questionne l’économiste en chef de l’AFD.
* Ferdi : Fondation pour les études et recherches sur le développement international..
2 Juillet 2015
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