Pour Macron, le
développement de l’Afrique passe par la baisse de la fécondité Par Ségolène ALLEMANDOU -
Dernière modification : 12/07/2017
Interrogé sur le développement de
l'Afrique au G20, le chef de l’État a ciblé les "7 à 8 enfants" des
femmes africaines comme un problème "civilisationnel". Des propos
défendus par de nombreux spécialistes.
"Le défi de l'Afrique, il est civilisationnel aujourd'hui", a déclaré
Emmanuel Macron, samedi 8 juillet, en conférence de presse lors du G20
à Hambourg. "Quels sont les problèmes ? Les États faillis ou les
transitions démocratiques complexes, la transition démographique qui
est l’un des défis essentiel de l’Afrique”, a-t-il énuméré avant
d’ajouter : “Dans un pays qui compte encore sept à huit enfants par
femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne
stabiliserez rien.”
Selon le président, la fécondité serait donc un facteur essentiel du
sous-développement du continent africain. Les subventions destinées à
doper la croissance économique seraient vaines car le problème du
continent est avant tout démographique.
Face à de tels propos, les réseaux sociaux n’ont pas tardé à réagir
pour dénoncer ce que les Internautes considèrent comme un faux-pas du
président français qui cite des chiffres erronés.
Chiffres éloignés
de la réalité
Il faut dire que les données avancées par Emmanuel Macron sont
éloignées de la réalité. Selon une étude de l'ONG Population Reference
Bureau datée de 2016, le taux de fécondité en Afrique s'élèvait à 4,7
enfants par femme contre 2,5 en moyenne dans le monde. En 1950, il
était de 6,5.
Seul un pays affiche un taux de fécondité proche de celui évoqué par le
président : le Niger avec 7,6 enfants. "Les propos d’Emmanuel Macron ne
tiennent pas compte de l’aspect très composite du continent africain",
commente Youssef Courbage, démographe à l’Institut national d'études
démographiques (INED).
Selon le démographe et ancien expert des Nations unies, la déclaration
du président ne concerne en fait que les pays francophones de l’Afrique
subsaharienne, où la transition démographique n’a pas encore opéré,
comme au Mali (6 enfants par femme) ou au Niger qui affiche le taux de
fécondité le plus élevé au monde. "Dans ce pays fortement rural, les
enfants sont sortis de l’école pour être utilisés comme une
main-d’œuvre gratuite ou à bas coût", poursuit Youssef Courbage.
Selon lui, les pays du Maghreb central, comme le Maroc, la Tunisie ou
encore l’Algérie, qui affichent respectivement un taux de 2,4, de 2,4
et de 3,1 – contre 2 pour la France – ne sont pas concernés par cette
déclaration, au même titre que les pays subsahariens anglophones comme
l’Afrique du Sud (2,4), le Botswana (2,8) ou encore la Namibie (3,6).
Vision
anglo-saxone
Reste que la théorie avancée par Emmanuel Macron de réduire la
fécondité pour amorcer le développement reflète la pensée de nombreux
spécialistes africains. À commencer par Laurent Chalard, géographe de
la population et membre du think tank European Centre for International
Affairs. "Cette vision détonne car elle s’éloigne du discours
habituel français selon lequel le développement économique passe par la
lutte contre la corruption, explique-t-il. Le président a choisi de se
rapprocher de la vision anglo-saxone, selon laquelle la politique de
planning familial est indispensable pour créer un terrain favorable à
la croissance".
La France, qui fait figure des pays natalistes, a tendance à se
détourner de la question du planning familial. "Il est difficile
d’appliquer ailleurs ce qu’il ne se fait pas dans son propre pays",
relève Laurent Chalard.
Mais le constat est sans appel, selon le géographe : aucune ancienne
colonie française ne peut se targuer d’une croissance économique forte,
affirme le chercheur, qui cite en contre-exemple le cas de l’Éthiopie :
10 % de croissance et 4 enfants par femme.
Facteur
d’enrichissement
Autre argument avancé par les spécialistes : la baisse de la fécondité
est un facteur favorable à la croissance économique. "Elle permet tout
simplement d’augmenter la richesse moyenne par habitant", explique
Youssef Courbage. Pour que l’Afrique sorte de la misère, "les pays
doivent maintenir leur taux de croissance à 10 % pendant trois
décennies, tout en réduisant leur taux de fécondité", surenchérit
Laurent Chalard.
Sauf que sur ce point, un travail reste à faire sur les mentalités.
D'ici à 2050, la population de l’Afrique devrait doubler, atteignant
ainsi 2,4 milliards de personnes, avant de s’établir à 4 milliards vers
2100.