Climat : « Le mode de développement à “l’occidentale” est en cause autant que la démographie »
Par Stéphane Foucart, journaliste au service Planète | LE MONDE | 13.11.2017 à 20h44 • Mis à jour le 13.11.2017 à 20h58
Stéphane
Foucart, journaliste au service Planète, a répondu à vos questions sur
le manifeste publié par quinze mille scientifiques qui mettent en garde
contre la destruction rapide du monde naturel.
Quinze
mille biologistes, physiciens, astronomes, chimistes et autres
spécialistes du climat, originaires de 184 pays, ont mis en garde,
dans une tribune publiée lundi, contre la destruction rapide du monde
naturel et le danger de voir l’humanité pousser « les écosystèmes
au-delà de leurs capacités à entretenir le tissu de la
vie ». Stéphane Foucart, journaliste au service Planète, a
répondu à vos questions sur ce manifeste.
Nève : est-ce que c’est essentiellement le mode de vie
« occidental » qui est à remettre en question ou la planète
pourrait-elle absorber cette augmentation de population avec des modes
de vie frugaux ?
Stéphane Foucart : une des principales recommandations des auteurs
de l’appel est de réduire la consommation matérielle de la société.
C’est, en effet, le mode de développement à « l’occidentale »
qui est en cause autant que la démographie.
GIGI : le meilleur moyen de lutter contre les multiples dégâts
causés par l’homme et son mode de vie ne serait-il pas de limiter son
nombre ?
Un des points les plus sujets à controverse consiste en effet à alerter
sur l’explosion démographique. Les auteurs rappellent que la population
mondiale est passée d’environ 3 milliards d’humains en 1960 à
7,2 milliards aujourd’hui. Elle pourrait atteindre plus de
11 milliards d’ici à 2100. Pour les auteurs de l’appel, cette
croissance démographique entraîne un grand nombre de conséquences
désastreuses pour l’environnement puisqu’elle est corrélée à la
combustion de ressources fossiles ou encore à la consommation de viande
(la population de ruminants à la surface de la terre a augmenté de
20 % depuis 1992).
ak ak ak : si je comprends bien, on est cuits ? Ni Donald
Trump, ni Vladimir Poutine, ni Xi Jinping ne vont renoncer facilement à
défendre les intérêts de leur Etat respectif pour lutter contre quelque
chose dont ils doutent…
La publication de cet appel des scientifiques correspond à l’arrivée au
pouvoir aux Etats-Unis d’une administration dominée par les
climatosceptiques, et dont les premières mesures consistent à défaire
toutes les réglementations environnementales mises en place par
l’administration Obama. Il est très peu probable que l’entourage de
Donald Trump prête attention à ce texte. La Chine, au contraire, est
lancée dans un programme agressif de développement des énergies
renouvelables, et porte de plus en plus d’attention aux questions
environnementales à mesure que sa population souffre des diverses
pollutions liées à son développement économique. Il est peu probable
que la Russie agisse de manière forte sur le sujet, puisque le pays
tire une grande part de ses ressources de l’exportation de combustibles
fossiles et se sent moins menacée par une augmentation des températures
que la plupart des autres pays.
Lombe : les signataires du manifeste proposent-ils des solutions ou ne font-ils qu’un « simple » constat ?
Les auteurs proposent plusieurs mesures :
mise en place de réserves naturelles protégées et
interconnectées pour conserver les habitats naturels ;
stopper la conversion des forêts,
des prairies et des espaces sauvages en surfaces agricoles ou en zones
constructibles ;
ré-ensauvager des régions
abritant des espèces endémiques afin de rétablir des processus
écologiques ;
réduire le gaspillage alimentaire
par l’éducation et l’amélioration des infrastructures ;
promouvoir une réorientation du
régime alimentaire vers une nourriture plus végétale ;
désinvestir de certains secteurs (énergies fossiles entre autres) ;
lutter contre la défaunation, le braconnage et le trafic d’espèces protégées ;
Réduire le taux de fécondité en promouvant l’éducation des femmes, etc.
zolielo :
le groupe de scientifiques a-t-il publié une série de scénarios
extrapolant les différentes tendances au niveau régional et
global ? Que va-t-il se passer dans les vingt-cinq prochaines
années au niveau environnemental ?
Non, le groupe de scientifiques signataires du texte a simplement
complété les données qui étaient disponibles en 1992 lors de la
publication de la première version de cette « mise en
garde ». Les auteurs ont pu constater que toutes les tendances qui
étaient montrées du doigt se sont poursuivies et accentuées (à
l’exception de la dégradation de la couche d’ozone stratosphérique).
Les auteurs ne dressent pas de scénario particulier pour les vingt-cinq
prochaines années mais mettent en garde contre une « misère
humaine généralisée » si les tendances se poursuivent à l’avenir.
Sophie Charlotte : qui sont les scientifiques ayant signé ce manifeste ?
Des scientifiques de toutes les disciplines et de 184 pays se sont
associés pour signer ce texte. Il a été initié par huit chercheurs
spécialistes du fonctionnement des écosystèmes, et fait suite à un
premier appel lancé en 1992 à l’initiative de Henry Kendall, Prix
Nobel de physique, et à l’époque président de l’organisation américaine
Union of Concerned Scientists, qui avait voulu mobiliser les dirigeants
et responsables politiques à l’issue du premier sommet de la Terre à
Rio. En 1992, 1 700 scientifiques s’étaient associés à
son texte. Ils sont aujourd’hui plus de 15 000.
Lawyertobe : est-ce de la langue de bois pour ne pas parler de fin du monde ?
Les auteurs de ce texte ne parlent pas de « fin du monde »
mais d’une dégradation des conditions de vie à la surface de la terre
si la dégradation de l’environnement se poursuit à ce rythme :
changement climatique, érosion de la biodiversité, dépérissement de la
vie marine, disponibilité réduite en eau douce…
Décroissant : pourquoi ne pas prôner une décroissance matérielle
en Occident ou ne pas utiliser le « mot-obus » de
décroissance dans cet appel ?
Les auteurs parlent clairement de « réévaluer le rôle d’une économie fondée sur la croissance ».
Croissons-croissons : ne pensez-vous pas que la presse ou a défaut
les journalistes individuellement devraient s’engager plus en avant
dans ce domaine ?
La presse et les médias s’engagent de plus en plus sur ces questions et
augmentent leurs couvertures. En témoigne la « une »
exceptionnelle que Le Monde a consacrée à cet appel. En 1992, sa
première version était passée totalement inaperçue en France. C’est le
signe que les choses évoluent.
Suidakl : je suis végétalien et j’ai lu dans des études que si
toute l’humanité devenait végétalienne cela suffirait à contrebalancer
les émissions de gaz à effet de serre. Qu’en pensez-vous ?
La consommation de viande et de produits issus de la production animale
représente un poids considérable pour le climat et l’environnement.
Mais si toute l’humanité devenait végétalienne, alors d’autres
problèmes environnementaux surviendraient puisque les animaux
domestiques (ruminants, etc.) remplissent aussi des rôles
éco-systémiques importants (fertilisation des sols, cycle de l’azote,
etc.). Les auteurs de l’appel invitent à limiter la consommation de
viande mais pas à la supprimer.
Membreño : n’y a-t-il pas d’appel à la catastrophe avant 1992 ?
En 1972, un groupe de décideurs et de chefs d’entreprise (le club
de Rome) avait confié à des chercheurs du MIT, conduits par Dennis
Meadows, la rédaction d’un rapport sur les conséquences
environnementales d’une poursuite de la croissance économique au rythme
des années 1960 et 1970. Les auteurs en avaient tiré un texte célèbre
(Les Limites à la croissance) qui alertait le premier sur le caractère
insoutenable du modèle de croissance occidental. Ce rapport a été très
critiqué par l’école dominante en sciences économiques, et a finalement
été ignoré.
Boudou : selon cette communauté scientifique, l’objectif des 2 °C de la COP21 est-il toujours réalisable ?
A l’heure actuelle et en l’état des discussions menées dans le cadre de
l’accord de Paris sur le climat, l’objectif de limiter l’augmentation
de la température moyenne de la Terre à 2 °C au-dessus des niveaux
préindustriels est inatteignable. Les engagements pris nous conduisent
vers un réchauffement de 3 °C, et sans doute un peu plus du fait
du retrait américain de l’accord de Paris.
27 Novembre 2017
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