La même démarche est-elle vraie dans d’autres arts ?
Oui. Dans le domaine de la danse, nous encourageons aussi l’émergence
d’une nouvelle génération de chorégraphes africains et, pour cela, le
dispositif d’incubation de projets chorégraphiques Résidanses 2019 a
pour objectif de soutenir les chorégraphes émergents du continent
africain dans leur processus de création. A titre d’exemple, le projet
« Lowela », de la compagnie de danse sénégalaise La Mer
noire, sera accompagné par le QDance Center à Lagos, sous le tutorat de
Qudus Onikeku.
Concrètement, comment aidez-vous à l’émergence d’un entrepreneuriat culturel africain ?
« Les incubateurs, accélérateurs et lieux d’innovation sont des acteurs clés de l’économie de demain. »
De multiples façons. Par exemple, avec son programme SafirLab,
l’Institut français accompagne annuellement 25 jeunes
entrepreneurs culturels et sociaux du monde arabe. Quand nous avons
lancé l’appel à candidatures pour 2018, nous avons enregistré plus de
1 000 demandes. Face à ce succès, nous avons décliné le
programme en Afrique de l’Ouest avec le Goethe Institut et recueilli
cette fois plus de 3 000 candidatures dans le cadre du
programme AyadaLab. En même temps que leurs lauréats, ces programmes
permettent de soutenir localement le développement des incubateurs,
accélérateurs et lieux d’innovation qui sont des acteurs clés de
l’économie de demain. C’est un moyen de créer ensuite des emplois sur
place.
Pour le jeune cinéma africain, vous agissez différemment ?
Oui, nous invitons de jeunes réalisateurs dans le cadre de la Fabrique
cinéma de l’Institut français. Sur les dix sélectionnés l’an dernier,
quatre venaient du continent africain, et tel sera à nouveau le cas
en 2019. Deux lauréats de la promotion 2013, le Rwandais Joël
Karekezi et la Kényane Wanuri Kahiu, ont remporté les distinctions les
plus prestigieuses du Fespaco 2019 [Festival panafricain du cinéma et
de la télévision de Ouagadougou], le premier avec l’Etalon d’or de
Yennenga pour La Miséricorde de la jungle, la seconde avec le prix de
la meilleure interprétation féminine pour Samantha Mugatsia, l’actrice
principale de son film Rafiki. Par ailleurs, pour permettre aux talents
d’éclore, nous proposons, pour le cinéma francophone, des résidences
d’écriture en Afrique du Sud, dans les résidences Realness, ou au
Burkina Faso, au Ouaga Film Lab.
Le Fespaco vient de fermer ses portes. Quelle est la présence de la France dans cet événement culturel ?
C’est un moment très important et nous y avons mis à disposition six
films fraîchement restaurés de notre cinémathèque Afrique. Nous sommes
dépositaires de 1 600 titres de 43 pays et le chef de
l’Etat a annoncé que 20 d’entre eux seraient restaurés pour 2020. C’est
un travail essentiel pour sauver ce patrimoine menacé de disparition,
et nous avançons.
Aujourd’hui, 6 000 projections sont organisées chaque année
avec des œuvres de ce fonds, mais l’enjeu est désormais de rendre ce
patrimoine plus largement accessible, notamment dans le fonds de
Culturethèque, qui est la médiathèque numérique de l’Institut français.
Notre ambition est de permettre dès 2020 un accès à Culturethèque hors
connexion, sur application mobile, pour donner l’audience la plus large
aux ressources abondantes de la plateforme.
L’Institut français
est aussi un ambassadeur de la langue française. Le
20 mars 2018, Emmanuel Macron exposait un plan d’ensemble en
faveur de la langue française et du plurilinguisme. Est-ce aussi un
enjeu important pour votre institution ?
« Nous voulons faire du français une des grandes langues du monde de demain. »
Effectivement. Le discours du chef de l’Etat devant l’Académie
française rappelle la volonté présidentielle de redonner à la langue
française sa place et son rôle dans le monde. Nous voulons faire du
français une des grandes langues du monde de demain. L’Institut
français est très largement partie prenante du plan pour la langue
française et le plurilinguisme lancé en 2018 et s’est mis en ordre
de marche avec pour objectif, entre autres, d’accompagner la formation
linguistique des enseignants en Afrique, à travers des outils comme
IFclasse. Cette plateforme de formation à distance fonctionne déjà au
Sénégal, au Maroc, en République démocratique du Congo (RDC) et au
Mali. S’y ajoute IFprofs, un réseau social destiné aux professeurs de
français du monde entier et notamment déployé en Afrique. Aujourd’hui,
25 000 enseignants y échangent des ressources pédagogiques,
et nous avons pour ambition d’arriver à 75 000 utilisateurs
d’ici à 2021.
La langue française
n’est pas l’apanage des enseignants de français. Vos dispositifs
sont-ils orientés vers d’autres publics ?
Oui, les milieux économiques notamment. Nous sommes en train de créer,
avec l’Afnor [Association française de normalisation] et la Chambre de
commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France, un label multilingue
professionnel. Nous sommes en phase pilote au Maroc. Cette
expérimentation sera bientôt étendue dans plusieurs autres pays,
d’Afrique notamment. Ce label aidera au développement du plurilinguisme
professionnel dans le secteur hôtelier. Autre exemple : l’Institut
français de Tunisie développe un laboratoire, Yal’lab, dédié à
l’apprentissage immersif des langues et qui exploite les potentialités
de la réalité virtuelle et de l’intelligence artificielle. Il permettra
de tisser des liens étroits entre les secteurs éducatif et économique.
Votre action se limite-t-elle aux pays francophones ?
Absolument pas. L’Institut français vient en appui à l’ensemble du
réseau culturel français à l’étranger, aux Alliances françaises et aux
Instituts français, dont le pilotage incombe au ministère de l’Europe
et des affaires étrangères. Ainsi, nous soutenons en Afrique les
Instituts français déployés sur 61 sites et les 105 Alliances
françaises. La France est présente dans les 54 pays du continent.
A titre d’exemple, Madagascar compte 29 Alliances françaises, le
Nigeria 10 et celle de Lagos est en train de changer totalement de
visage grâce à la générosité d’un mécène francophile, Mike Adenuga.
L’Institut français d’Egypte crée plusieurs antennes dans le pays, dont
une à Louxor. En Tunisie, après l’ouverture d’une Alliance française
en 2018 dans la banlieue de Tunis, six autres auront vu le jour
d’ici à la fin de 2019. Partout, il s’agit d’être au plus près du
public.
La culture n’est pas toujours bien traitée dans les budgets publics, et pourtant votre budget augmentera en 2019…
Oui, notre budget est de 44 millions d’euros en 2019, contre
36,5 en 2018, car il inclut la saison « Africa 2020 »,
de dimensions exceptionnelles, qui concernera l’ensemble du continent.
Pour décrire à grands traits ce budget, nous recevons 30 millions
d’euros du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, dont
2 millions au titre du plan langue française, 2 millions du
ministère de la culture et 1,2 million des collectivités
territoriales. Le reste vient du mécénat.
Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur la saison « Africa 2020 » voulue par le chef de l’Etat ?
Il est prématuré d’en parler, mais l’approche sera très novatrice,
partant d’une définition assez nouvelle de la culture et d’une vision
très panafricaine. Ce sont les Africains qui se raconteront aux
Français.
Maryline Baumard (« Le Monde Afrique »).
20 Mars 2018
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