Quel développement pour l'Afrique, 50 ans après les indépendances ? Par Le Monde
Que
fête-t-on aux commémorations des cinquante ans d'indépendance de pays
Africains ? Le jour d'accès à l'indépendance de ces pays ou
l'évolution de ceux-ci durant cette période, qui se révèle la plupart
du temps catastrophique.A
la conférence Afro-asiatique des pays non alignés de Bandung à Java en
1955, le PIB de l'Inde ou de la Chine était alors bien inférieur à
celui de la plupart des pays Africains.
Que s'est-il
passé depuis les mouvements d'émancipation qui avaient suscité les
plus grands espoirs, traduit par la chanson de Grand Kallé Indépendance
chacha qui a fait le tour de l'Afrique ? Est-ce la confrontation
de l'école des blancs et de la sagesse Africaine, décrite dans
l'aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Khan ; l'histoire violente en
Afrique, avant la colonisation, relatée par Yambo Houologuem dans le
devoir de violence, bien loin de la Négritude idéalisée par
Senghor ou la difficulté d'intégrer la richesse de la tradition de ces
sociétés dans la modernité, décrite dans le soleil des indépendances
par Ahmadou Kourouma, avec la désillusion collective des indépendances
qui achève le démantèlement de la société traditionnelle, déjà entamé
sous la colonisation ? Depuis 1989, vingt pays Africains connurent
des conflits.
Dans
la mentalité de l'occident, l'Afrique demure une réserve de matières
premières, agricoles et forestières, minerais et pétrole, allant de
paire avec un faible niveau technologique et industriel et une fuite
des forces vives et de la jeunesse vers l'Europe. Cette extraversion
profite avant tout aux sociétés multinationales, sans retombée sur le
niveau de vie des habitants. L'aide dans ce contexte n'est-il pas un
palliatif à une pratique qu'il faudrait changer ? On assiste à une
"ONGisation" pour suppléer les déficiences des services publics,
structurant la société civile, mais privant l'Etat de ses fonctions.
Idéologie du développement, monde des experts et des coopérants :
le modèle est celui de l'occident.
Les causes externes
suffisent-elles seules à expliquer la situation actuelle du
continent ? Quelle est la part interne ? Une abondante littérature
existe sur ce "retard" alors que les analyses systématiques africaines
sur les causes internes sont inexistantes. Mépris des productions
locales, place des élites dans la prédation de ressources comme relais
à l'occident ou maintenant à la Chine.
TRANSFORMER NOTRE FAÇON D'ÊTRE AFRICAIN ET EUROPÉEN
Ces
Etats Africains sont emprisonnés dans des logiques de court terme,
alimentaires et individuelles, sans implication dans ses
responsabilités publiques, voir contre elle. Au terme des cinquante ans
d'indépendance, l'Afrique reste confrontée à sa dépendance, auprès de
ses anciennes métropoles mais également des bailleurs de fonds.
Ce
type de relation a entrainé l'aliénation de tout modèle de
développement propre à l'Afrique et à sa culture, qui devrait pouvoir
intégrer "modernité" et "tradition". La vraie décolonisation passe par
le rejet de l'Etat de type Européen : la question est donc
politique et la réponse Africaine.
La
culture n'est ni un frein, ni une composante secondaire du
développement, elle est son essence même. Le développement ce n'est pas
seulement la croissance, mais également l'accès à une existence
intellectuelle et spirituelle satisfaisante ; ce n'est pas
seulement avoir plus mais également être mieux.
La dynamique
interne de chaque société doit être respectée et la mise en place et le
leadership des programmes doit être confié par les bailleurs aux
compétences locales, ainsi que les procédures administratives et
financières. Pour cela il faut que les projets, dès leurs conceptions,
intègrent la gouvernance et la réforme de l'Etat.
Il
faut construire sur du long terme un partenariat multiple entre
gouvernements, sociétés civiles, bailleurs, Organisations non
gouvernementales, en se concentrant sur les administrations
décentralisées, et en prenant en compte prioritairement les besoins de
base des populations ; soins, éducation, nutrition…
L'Inde
et la Chine ont su allier la tradition à la modernité, développer
l'école et l'enseignement en s'appuyant sur leur propre langue, créer
des Etats-nations et se sont approprié la science et la technologie.
Il
est temps de changer le type de partenariat entre l'Afrique et
l'Europe : une Afrique avec plus de lucidité et de courage, une
Europe avec plus de modestie et de justice. C'est notre façon d'être
Africain et Européen qu'il faut transformer, dans le respect de
l'autre, afin de bâtir ensemble un monde meilleur.
Almouner
Talibo, responsable de programmes de développement en Afrique,
humanitaire et Didier Cannet, médecin, enseignant à l'Université,
humanitaire.
Juillet 2010 Retour au Développement
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