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"Il est urgent de sauver les éléphants d’Afrique !"
Par Nicolas Hulot
La
première tribune signée de Nicolas Hulot en tant qu’Envoyé spécial du
Président de la république pour la Protection de la planète a été
publiée par le quotidien Le Monde, daté du 4 juillet 2013.
« Les mots semblent dérisoires pour relater certaines tragédies.
Face aux multiples crises et souffrances qui chargent chaque jour un
peu plus le fardeau sous lequel ploie l’humanité, j’ai presque des
scrupules à évoquer la disparition programmée des éléphants de forêt
d’Afrique. Conscient que dans le climat de déprime actuel, une mauvaise
nouvelle de plus n’est ni recevable, ni recommandable. J’en veux pour
preuve que depuis mon récent retour d’Afrique centrale, au chevet des
éléphants, je peine et c’est un euphémisme à trouver la moindre
compassion à leur sort, notamment chez certains interlocuteurs dans les
médias.
Mais si l’on attend que le monde s’apaise pour se préoccuper de ces
pachydermes, ils auront disparu depuis longtemps. Près de 60% d’entre
eux ont été décimés ces dix dernières années, le plus souvent par
dizaines, à l’arme de guerre.
Selon les acteurs de terrain croisés sur place, il reste 5 ans pour
sauver les éléphants de forêt. Nul doute que leur disparition ouvrirait
une brèche irréversible dans laquelle s’engouffreraient tour à tour,
éléphants de savane, gorilles, chimpanzés et tout un cortège funèbre de
grands animaux. Dans la foulée c’est toute la biodiversité ordinaire,
mais non moins essentielle à notre survie, qui serait absorbée dans le
flot de notre indifférence. Les grands animaux, par les symboles qu’ils
représentent, sont une digue émotionnelle censée protéger tous ces
êtres vivants, qui eux, ne trouvent pas forcément grâce à nos yeux.
Tout se tient dans la Nature. Nous ne sommes qu’un maillon d’une
chaîne, aucun chercheur ne pourra dire que l’éléphant est inutile à
l’avenir de l’homme. Il y a une unité des choses et des êtres et nous
sommes liés au respect intangible de cette intégrité. Maudits justement
soit les yeux fermés et les oreilles bouchées ! Après la drogue et
les armes, le trafic des espèces menacées est le 3e au monde, il est
devenu une criminalité organisée au point d’ajouter de l’instabilité à
l’instabilité à cette région d’Afrique qui n’en avait guère besoin.
Les causes de ce désastre sont multiples. Déforestation, démographie,
pauvreté, corruption, impunité, absence de gouvernance, rébellions mais
surtout une demande exponentielle des consommateurs asiatiques,
notamment pour l’ivoire. A 1000 dollars le kilo arrivé à Pékin, on
comprend que les mafias se soient emparées du phénomène.
« Le problème des éléphants sera réglé, m’a dit un
conservateur de parc, le jour où ils auront disparu, ou alors quand la
demande d’ivoire aura cessée ». Résumé simpliste mais qui a le
mérite de pointer du doigt là où il faut concentrer nos efforts.
Je compte proposer au Président une initiative diplomatique pour ne pas
céder au fatalisme. Une table ronde où toutes les parties prenantes,
africaines, européennes, asiatiques, seraient réunies sur le thème
« Sauvons les éléphants ! ». Du prince Charles à Hillary
Clinton qui se sont engagés pour cette cause, aux nombreux acteurs ou
sportifs qui ont aussi exprimé leur indignation, j’aimerais créer un
front d’humanité pour s’interposer entre les éléphants et notre
indifférence. Qui recueillera leurs larmes ?
Nous sommes, dit-on, la partie consciente de la Nature. Que cette
distinction au moins nous mette à l’abri de la résignation et nous aide
à nous révolter contre cette vision anthropocentrique du monde. Nous
devons nous libérer de l’esprit d’exclusivité. Ne soyons pas les
témoins résignés de cette disparition annoncée et de ce moment
calamiteux de l’Histoire.
J’ai besoin du soutien et de l’aide de chacun, anonyme ou célèbre, en
relayant, en interpellant, en informant, en dénonçant partout où il le
peut. Je reviens avec en tête ces images que m’ont montrées les
rangers, de carcasses d’éléphants mutilés y compris de bébés, de têtes
coupées de chimpanzés agglutinées dans des coffres de voitures et
autres atrocités. Au Gabon, au Cameroun, en RDC, au Congo, aux
écogardes qui meurent par centaines dans l’isolement et le silence des
forêts sans aucune reconnaissance pour sauver ces animaux, j’ai promis
de témoigner de cette situation et de m’engager à leurs côtés. J’ai
promis d’alerter sur les menaces réelles de mort qui pèsent sur les
7 témoins, ainsi que sur les responsables de la lutte
anti-braconnage d’Odzala, ayant directement contribué à l’arrestation
d’un braconnier notoire, l’un des plus importants jamais jugé au Congo.
Cet appel est le premier pas de ma promesse.
Dans sa lettre à l’éléphant, Romain Gary , mieux que quiconque
pressentait l’immense préjudice que provoquerait la disparition des
éléphants :
« Monsieur et cher éléphant, j’ai le sentiment que nos destins
sont liés. Et pourtant l’on vous considère comme incompatible avec
l’époque actuelle. Si le monde ne peut plus s’offrir le luxe de cette
beauté naturelle, c’est qu’il ne tardera pas à succomber à sa propre
laideur et qu’elle le détruira. Il n’est pas douteux que votre
disparition signifiera le commencement d’un monde entièrement fait pour
l’homme. Mais laissez-moi vous dire ceci mon vieil ami : dans un
monde entièrement fait pour l’homme, il se pourrait bien qu’il n’y eût
pas non plus place pour l’homme.
Vous êtes notre dernière innocence.
C’est ainsi, monsieur et cher éléphant, que nous nous trouvons, vous et
moi sur le même bateau, poussé vers l’oubli par le même vent du
rationalisme absolu. Dans une société, vraiment matérialiste et
réaliste, poètes, écrivains, artistes, rêveurs et éléphants ne sont
plus que des gêneurs ».
Puisse Romain Gary enfin être entendu !”
2 Février 2015
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