Néonicotinoïdes :
l'Europe cesse de jouer à la roulette ruche
Par
Libération - Coralie Schaub — 27 avril 2018 à 17:46
Les
Etats membres ont voté vendredi une proposition de la Commission visant
à interdire les trois principaux pesticides néonicotinoïdes sur toutes
les cultures en plein champ.
C’est
un vote historique. Et une énorme surprise. Vendredi, l’Europe a dit
«non» aux trois principaux pesticides néonicotinoïdes dits «tueurs
d’abeilles». Ces insecticides au nom si imprononçable qu’ils sont
surnommés «néonics» ont été commercialisés dans les années 90 pour
les grandes cultures, les céréales, les légumes mais aussi les fruits,
et sont devenus les plus vendus au monde. A tel point qu’ils sont
omniprésents dans l’eau, l’air, le sol, les plantes, jusqu’au contenu
de nos assiettes et nos verres. Neurotoxiques, ils agissent sur le
système nerveux central des insectes, provoquant une paralysie
mortelle. Résultat, ils massacrent les «nuisibles» qu’ils visent, mais
aussi les pollinisateurs (ils sont jusqu’à 10 000 fois plus
toxiques pour les abeilles que le très décrié DDT), la faune du sol, de
l’air et des rivières. Vers de terre, batraciens ou oiseaux, nul n’y
échappe, directement ou indirectement. Pas même l’homme. Plusieurs
études ont établi un lien entre ces pesticides et les maladies du
spectre autistique, les malformations cardiaques… Ils sont aussi
perturbateurs endocriniens, cancérigènes, et ont des effets sur la
thyroïde, le foie et les testicules.
Un vote crucial
C’est dire si le vote de ce vendredi était crucial. Il s’agissait, pour
les vingt-huit Etats de l’UE, de décider du sort de trois néonics, la
clothianidine, l’imidaclopride et le thiaméthoxame, déjà soumis
depuis 2013 à un moratoire partiel s’appliquant aux cultures
qui attirent les abeilles (comme le maïs, le colza oléagineux ou le
tournesol). La Commission européenne défendait l’élargissement de cette
interdiction à toutes les cultures en plein champ, sur la base de
l’avis scientifique de l’Agence européenne pour la sécurité des
aliments (Efsa) – pourtant réputée plutôt proche des lobbies de
l’agrochimie –, qui avait confirmé en février la dangerosité de
ces substances.
Contre toute attente, lors d’un comité technique à huis clos vendredi
matin, cette interdiction a été votée par une majorité qualifiée
d’Etats membres (il fallait au moins 55% des Etats représentant au
moins 65% de la population totale de l’UE). Celle-ci entrera en
vigueur vingt jours après sa publication au Journal officiel de l’UE,
et s’appliquera à tous les usages extérieurs de ces trois néonics, avec
pour seule exception les usages en serres, à condition que graines et
plantes ne quittent pas leur abri fermé. Seize des vingt-huit Etats,
soit 76%, ont donné leur feu vert : France, Royaume-Uni, Slovénie,
Allemagne, Malte, Autriche, Pays-Bas, Suède, Chypre, Luxembourg,
Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Estonie et Espagne.
Or jusqu’au dernier moment, il n’était pas acquis du tout que l’Espagne
et le Portugal choisissent de bannir les trois néonics. «Le lobby qui a
le plus pesé contre leur interdiction est celui des betteraviers, il a
réussi à influencer le vote de pays comme la Tchéquie qui a voté
contre, ou de la Pologne et de la Belgique, qui se sont abstenues. Or
l’Espagne, bien que première consommatrice de pesticides en Europe, est
moins concernée par la culture des betteraves, ce qui a naturellement
joué», analyse l’eurodéputé français Eric Andrieu. Président de la
commission pesticides du Parlement européen et porte-parole des
sociaux-démocrates européens pour l’agriculture, celui-ci a beaucoup
œuvré ces derniers mois pour cette interdiction, mais estime aussi que
la mobilisation des ONG et des apiculteurs a payé. Et de se
féliciter : «Quand on sait que les abeilles pollinisent
84% des cultures européennes et 4 000 variétés de
végétaux et que [leur] taux de mortalité atteint les 80% dans
certaines régions d’Europe, ce vote était essentiel pour l’avenir de la
biodiversité et notre agriculture.» Le commissaire à la Santé et
la Sécurité alimentaire Vytenis Andriukaitis s’est aussi réjoui du
soutien des Etats à la proposition de Bruxelles.
«Immense victoire»
Idem, évidemment, pour les ONG et apiculteurs, qui ont salué une
«immense victoire», une «journée historique». Pour Antonia Staats,
chargée de campagnes chez Avaaz, dont près de cinq millions de membres
ont signé une pétition réclamant l’interdiction des néonics, «nos
gouvernements ont finalement décidé d’écouter leurs citoyens, la
science et les agriculteurs qui savent que les abeilles ne peuvent pas
survivre avec ces produits chimiques et que nous ne pouvons pas
survivre sans les abeilles». Marie Yared, de la même ONG qui fait
partie de la «Save The Bees Coalition» (une coalition de plus de
quatre-vingts organisations de toute l’UE ayant fait pression pour
l’interdiction), estime qu’«il n’y aurait pas eu d’interdiction des
pesticides "tueurs d’abeilles" sans le rôle pivot de la France».
Même avis de la députée PS et ancienne ministre de l’Environnement
Delphine Batho, qui reste toutefois prudente : «La loi française
avait montré le chemin. La volonté des citoyens peut être plus forte
que les lobbies. Vigilance face aux manœuvres pour contourner
l’interdiction», a-t-elle tweeté. Allusion au fait que malgré la loi
biodiversité de 2016 qui prévoit l’interdiction des néonics à
partir de septembre 2018, avec des dérogations possibles jusqu’en
juillet 2020, rien n’est tout à fait gagné.
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