Le boom de la désalinisation

Par Pierre Magnan




Quoi de commun entre la petite île grecque de Folégandros et l’Arabie saoudite… Pas grand-chose, si ce n’est que l’îlot cycladique et le puissant royaume du désert utilisent tous les deux de l’eau provenant de la désalinisation. Un procédé en plein développement qui ne va pas sans poser des problèmes.

72% de la surface totale de la Terre est recouverte d'eau, mais 97% de cette eau est salée. La répartition des 3% restant (eau douce) est très inégale : dix pays se partagent 60% des réserves, alors que 29 autres (en Afrique et au Moyen-Orient) font face à des pénuries chroniques. Résultat, dans certaines zones du globe, proche d'une mer, la désalinisation est la seule solution.


 
La production d’eau de mer dessalée est en forte croissance. Une croissance à deux chiffres. La moitié de cette production se fait au Proche-Orient, région riche en pétrole. La désalinisation, très gourmande en énergie, est un défi à l'heure où nombre d'Etats cherchent à réduire leur consommation énergétique tant pour des raisons de coût que d'environnement, même si les évolutions technologiques devraient en résoudre une partie. Sur ce marché mondial, les entreprises françaises Véolia ou Degremont sont particulièrement bien placées. De son côté, Total s'est offert une entreprise américaine spécialisée.

Inégalités face à l'eau potable

Proche-Orient, îles isolées… Certaines régions du globe font face à un véritable manque d’eau potable. Résultat, l’industrie du dessalement est en plein boom. On compte aujourd’hui plus de 16.000 installations dans le monde. Fort logiquement, c’est en Arabie Saoudite, aux Etats-Unis et dans les Emirats que la production est la plus forte.



«Dans l’usage de l’eau, les inégalités sont énormes. On estime que dans les pays développés, chaque personne consomme environ 320 litres d’eau par jour (dont 1% pour la boisson) et dans les pays en voie de développement cette consommation est de 70 litres. En 2003, 450 millions de personnes étaient exposées à des pénuries ou à des stress hydriques », rappelle le site de la Cité de la mer.

On voit bien que la géographie de certains pays – l’Arabie saoudite ou les Emirats ─ doivent trouver l’eau dont ils ont besoin dans un monde où la consommation ne cesse d’augmenter. Mais la désalinisation est aussi une réponse dans d’autres régions. Ainsi, les Canaries où la pression touristique a obligé à trouver des solutions au manque d’eau.

Dans des régions politiquement difficiles, où les échanges sont bloqués, l’accès à l’eau de mer devient indispensable. Comme Israël, qui est un gros producteur d’eau désalée (usine à Ashkelon) ou, plus au sud, la bande de Gaza et ses 1,65 millions d’habitants. Dans ce territoire, fermé par Israël et l’Egypte, «90% de l'eau ne correspond pas aujourd'hui aux standards de l'OMS. Le dessalement de l'eau de mer et le recyclage sont les seules sources alternatives d'eau qui pourraient permettre de répondre à la demande. Plusieurs études ont mis en avant le dessalement comme une option stratégique pour Gaza. La dernière en date montre qu'une installation capable de produire 55 millions de mètres cubes devra être opérationnelle en 2017, sans quoi l'aquifère risque de subir rapidement des dommages irréversibles », relevait le ministère des Affaires étrangères.



Au départ, les Etats-Unis ont tiré ce marché en désalinisant des eaux saumâtres, puis ce sont les Etats de la péninsule arabique qui ont dominé cette production. Les grands marchés à venir devant être la Chine, l’Afrique du Sud et le Chili. Mais la demande en eau touche même l’Europe. Un pays comme l’Espagne s’est doté d’un plan AGUA destiné à développer les unités de dessalement. De l’autre côté de la Méditerranée, un pays comme la Tunisie, plutôt bien équipé, se tourne vers la mer. Pour faire face à la demande, le pays envisage d’installer une usine à Djerba qui pourrait être opérationnelle en 2016 et permettrait de répondre aux besoins croissants de sa zone touristique (golfs, piscines, spas, bains) dans cette zone semi-désertique. Et on l’a vu, la désalinisation peut être une solution dans des lieux touristiques comme certaines îles grecques ou même bretonnes (Sein).



Des techniques évolutives

Deux grandes familles d’usines de dessalement existent. La première, dite de distillation, la plus classique, consiste – en simplifiant ─ à chauffer l’eau, récupérer la vapeur qui a perdu son sel, et la retransformer en eau, qui est alors douce.

L’autre solution est plus technique et consiste à séparer l’eau et le sel, en utilisant des membranes filtrantes. C’est le procédé dit de l’osmose.
 
Le coût du dessalement varie du simple au double, selon le procédé utilisé, avec un avantage aux nouveaux procédés d’osmose.

«Le secteur du dessalement a longtemps été bridé par sa consommation énergétique. Les deux technologies principales employées dans les processus de dessalement sont extrêmement gourmandes en énergie. L’osmose inverse utilise de l’électricité pour produire la pression élevée requise pour injecter de l’eau de mer à travers des membranes semi-perméables, tandis que la distillation thermique utilise de l’énergie, à la fois pour chauffer l’eau de mer et pour alimenter les pompes du système. Les coûts élevés de ces techniques les placent hors de portée de la plupart des acteurs, sauf dans les régions qui sont à la fois riches et arides. L’Arabie Saoudite est ainsi – et restera sans doute – le plus grand producteur et consommateur mondial d’eau dessalée», note le site Enerzine.


Water Solar Pad

Pas étonnant dans ces conditions que l’Arabie Saoudite soit le plus gros producteur d’eau dessalée au monde. Pour les autres pays, la technologie essaye de trouver des solutions. «Les procédés de distillation représentent toujours 90% de la production d'eau dessalée dans la région du Golfe. Dans le reste du monde, où l'on est en général beaucoup plus sensible au coût de l'énergie, c'est la technologie de l'osmose inverse qui l'emporte. Ainsi, sur le pourtour méditerranéen, 76% de la production sont assurées par des installations d'osmose inversée, notamment en Espagne, en Algérie et en Israël, ainsi que dans certaines grandes îles», selon le site La Recherche.

Des risques pour l'environnement

Solution incontournable pour les uns, le dessalement de l'eau de mer est en effet très critiqué par les autres qui dénoncent le coût énergétique et les rejets chimiques de ces unités de plus en plus gigantesques.

L’un des principaux problèmes posés par ce type de production est la consommation énergétique. «A l'heure actuelle, les usines de dessalement sont essentiellement alimentées par des énergies fossiles. Or, les combustibles fossiles présentent pour l'environnement l'inconvénient d'émettre des polluants atmosphériques, notamment du dioxyde de carbone CO2, des oxydes de soufre et d'azote et des particules solides», note La Recherche. Le site a calculé qu'«une capacité de 2,7 millions de mètres cubes par jour se traduirait donc par l'émission dans l'atmosphère de 5.476 tonnes de CO2 par jour, ce qui accroîtrait de 0,6% les émissions de CO2 de l'Espagne».

L'Australie a déjà pris la mesure du problème : dans tous les grands projets de dessalement du pays, les autorités encouragent vivement les exploitants à utiliser des énergies renouvelables. Un champ d'éoliennes de 82 mégawatts a par exemple été construit pour compenser les émissions de CO2 de l'usine à osmose inverse de Perth. En Californie, précise le site, l’ouverture d’une usine de désalement à été conditionnée à des investissements dans des projets environnementaux.


 
Deuxième problème : les rejets des centrales. Outre la chaleur des produits rejetés, ces usines produisent beaucoup de saumure. Ajoutez à cela quelques rejets chimiques, et le risque n’est pas négligeable pour l’environnement marin. En Méditerranée, la salinité naturelle de l'eau de mer se situe entre 37 et 38 grammes par litre (pour une moyenne des mers à environ 35g/l et une pointe à 275 g/l et beaucoup moins pour la Baltique, 10g/l), alors que la salinité des rejets peut atteindre les 70 g/l. Résultat, l’herbier de posidonie — vital pour la faune méditerranéenne — peut être mis en danger.

On le voit la désalinisation a un prix. Un coût important dans la production d’eau douce, mais aussi un coût non négligeable pour l’environnement. L’avenir dira si les révolutions technologiques (avec l'énergie des vagues ?) permettront d’en améliorer la productivité en abaissant les risques. Et si une meilleure gestion de l’eau (notamment dans l'agriculture et l'industrie) en réduira la consommation.

27 Octobre 2012

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