Problématiques de l'Eau La crise de l’eau illustrée en 5 graphiques
Par Martine Valo
Y
aura-t-il demain assez d’eau pour tous sur notre planète ?
Théoriquement oui, mais il est urgent de changer
« radicalement » la façon de l’utiliser et de la partager,
prévient l’Organisation des Nations unies (ONU) dans son rapport annuel
2015 sur l’or bleu, qu’elle a rendu public vendredi 20 mars, à
l’avant-veille de la journée mondiale de l’eau.
Sinon, au rythme actuel, « le
monde devra faire face à un déficit hydrique global de 40 % »
dès 2030, écrivent les experts du Programme mondial des Nations unies
pour l’évaluation des ressources en eau.
Inextricablement liée au changement climatique, à l’agriculture et à la
sécurité alimentaire, à l’énergie, à la santé et même à l’égalité entre
les sexes, l’eau est peut-être le thème qui illustre le mieux les trois
piliers du développement durable, qu’il s’agisse de la lutte contre la
pauvreté, du développement économique, ou de la préservation des
écosystèmes. Il s’agit de défis essentiels. Le rapport souligne ainsi à
quel point la pénurie et la mauvaise gestion de cette précieuse
ressource cristallisent les tensions et les conflits autour du monde.
Un stress hydrique qui touche une large partie du globe
Le
stress hydrique – autrement dit, une ressource insuffisante pour
répondre aux différentes activités humaines et aux besoins de
l’environnement – commence lorsque la disponibilité en eau est
inférieure à 1 700 mètres cubes par an et par personne. Quasiment
les trois quarts des habitants des pays arabes vivent en dessous du
seuil de pénurie établi, lui, à 1 000 m3 par an, et près de
la moitié se trouvent dans une situation extrême avec moins de
500 m3, en Egypte, en Libye notamment.
Les pays en voie de développement ne sont pas les seuls touchés.
« Comment l’Ouest américain, certaines provinces de Chine, le
Mexique ou encore le Sud méditerranéen vont-ils faire dans trente
ans ? s’interroge Richard Connor, expert pour l’ONU, qui participe
pour la quatrième fois au rapport annuel sur l’eau. Le stress hydrique
peut avoir des conséquences incalculables. Par exemple, en 2010,
les sécheresses et les feux de forêt dans les steppes de Russie ont
fait chuter les exportations de blé. Résultat : le prix du pain a
doublé, ce qui a débouché sur le “printemps arabe”. »
Les projets de centres de dessalement se multiplient pour produire de
l’eau potable dans les régions du monde qui en ont les moyens, comme en
Californie ou dans les pays arabes. À elle seule, l’Arabie saoudite
souhaite se doter de 16 nouvelles usines fonctionnant à l’énergie
nucléaire.
Les eaux souterraines de plus en plus surexploitées
Les
aquifères souterrains fournissent de l’eau potable à la moitié de la
population mondiale. Mais un sur cinq est surexploité. Largement
dévolus à l’irrigation intensive – comme dans le nord de la Chine où le
niveau de la nappe phréatique est descendu de 40 mètres en quelques
années –, les prélèvements excessifs accentuent les risques de
glissement de terrain et favorisent surtout les entrées de sel, rendant
à terme l’eau inconsommable. Avec l’élévation du niveau de la mer, des
grandes villes voient ainsi la qualité de l’eau douce de leurs
aquifères menacée, notamment Shanghaï, en Chine, et Dacca, au
Bangladesh. Et des îles du Pacifique comme Tuvalu et Samoa sont
contraintes d’importer de plus en plus d’eau douce. La pénétration de
sel représente aussi une inquiétude pour les régions méditerranéennes
françaises.
L’Inde est souvent citée en exemple au chapitre de l’exploitation
non-durable de la ressource souterraine. En 1960, le pays était
équipé de moins d’un million de puits ; en 2000, il en
comptait 19 millions. Toute cette ressource prélevée au moyen de
pompes a permis d’accroître fortement la productivité agricole et de
réduire le niveau de pauvreté. Mais le choix de l’irrigation se paie
aujourd’hui non seulement par de graves pollutions, mais aussi parce
que les pannes d’électricité dues au manque d’eau pour faire
fonctionner les centrales thermiques sont monnaie courante.
Une amélioration de l’accès à l’eau potable
En vingt ans, le nombre de personnes ayant accès à « un point
d’eau potable amélioré » a augmenté de 2,3 milliards. Les
rapporteurs de l’ONU parlent de « progrès impressionnants » –
alors que l’accès à l’eau était l’un des objectifs du Millénaire pour
le développement pour 2015. Ils citent par exemple la mutation de Phnom
Penh, au Cambodge, où la gestion de la distribution de l’eau a cessé
d’être catastrophique et corrompue pour devenir très performante.
Pour autant, ce chiffre fait débat, dans la mesure où il englobe aussi
bien les personnes qui s’approvisionnent à une borne commune, à un
puits – dans ce cas, quelle distance leur faut-il parcourir pour aller
remplir leur seau ? – ou à un robinet chez eux – alimenté combien
d’heures par jour ?
Dans le monde, 748 millions de personnes restent privées d’eau
potable. Dans les agglomérations qui s’étendent à une vitesse
vertigineuse avec leurs lots de bidonvilles, le nombre de citadins sans
accès à l’eau est passé de 111 millions à 149 millions entre
1990 et 2012. Et l’Afrique subsaharienne continue de souffrir de la
pénurie, dans les cités comme dans les campagnes. Les femmes et les
filles surtout : ce sont essentiellement elles qui se chargent de
la corvée d’eau, elles y consacrent encore deux à quatre heures par
jour en moyenne dans les zones rurales. « Le principe de l’équité,
peut-être davantage que n’importe quelle recommandation technique,
porte en lui la promesse d’un monde où la sécurité de l’eau deviendra
une réalité pour tous, » écrivent les rapporteurs. Globalement,
36 % de la population africaine ne dispose toujours pas d’un point
d’eau accessible.
Des progrès en matière d’assainissement
La situation de l’assainissement se prête nettement moins à un
satisfecit. Cet objectif-là aurait besoin de 53 milliards de
dollars (50 milliards d’euros) d’investissements par an pendant
cinq ans pour atteindre une couverture universelle, selon l’ONU. De
plus en plus d’ONG se saisissent de la Journée mondiale de l’eau pour
attirer l’attention sur l’absence de toilettes et de latrines dans le
monde, avec des conséquences épouvantables sur la vie quotidienne d’une
bonne part de l’humanité et sur l’environnement. Un milliard de
personnes défèquent en plein air, faute de mieux. Et 2,5 milliards
vivent sans aucun raccordement à un système de collecte. Sans compter
que celui-ci, lorsqu’il existe, ne débouche souvent sur aucune forme de
traitement avant le rejet dans la nature.
Qui consomme le plus d’eau ?
D’ici 2050, la demande en eau devrait augmenter de 55 %, non
seulement sous la pression d’une population croissante (la Terre
comptera alors 9,5 milliards de personnes), mais aussi parce que
la consommation s’envole. Les besoins de l’industrie devraient exploser
de 400 % d’ici-là. Quant au secteur agricole, ses prélèvements
actuels ne sont pas soutenables, estiment les experts. Entre 1961 et
2009, les terres cultivées se sont étendues de 12 %, tandis que
les superficies irriguées augmentaient de 117 %.
Il faudrait rendre l’agriculture moins gourmande afin qu’elle puisse
nourrir de plus en plus d’humains, sans contaminer pour autant la
ressource ni polluer davantage l’environnement. Avoir recours aux eaux
usées, une fois traitées, pourrait contribuer à relever ce défi.
Enfin, les rapporteurs de l’ONU rappellent l’impératif d’accroître les
efforts pour ménager les ressources, car les écosystèmes sont en
déclin, en particulier les zones humides. Or, celles-ci rendent des
services sans commune mesure. L’ONU-Eau cite une étude de 2014 qui
évalue à 20 000 milliards de dollars
(19 000 milliards d’euros) les pertes dues à leur
détérioration, et qui montre qu’investir pour la préservation de
l’environnement s’avère très rentable.
21 Mars 2014
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