L'évolution
des inégalités dans le monde divise les économistes
La
mondialisation a-t-elle pour conséquence de creuser les inégalités
entre les pays ou de les réduire ? A cette question essentielle,
la réponse donnée dépend généralement
du jugement, positif ou négatif, que l'on porte sur le phénomène
de la mondialisation.
Une étude récemment publiée
par les économistes du Centre d'études prospectives
et d'informations internationales (Cepii) s'efforce de remettre
un peu d'ordre etd'objectivité dans le débat, en faisant
le point sur la mesure des inégalités. Ses deux auteurs,
Isabelle Bensidoun et Agnès Chevallier, soulignent d'abord
la difficulté de la tâche, dans la mesure où
"il n'existe pas un indicateur des inégalités,
mais plusieurs, reposant sur des concepts différents, et
qui peuvent livrer des conclusions apparemment contradictoires"
.
C'est ainsi que les experts ont l'habitude de distinguer un indicateur
des "inégalités entre pays" , qui mesure
les écarts existant entre le produit intérieur brut
(PIB) par tête en parité de pouvoir d'achat de plus
de 150 pays, d'un autre indicateur, dit des "inégalités
internationales" , construit cette fois en accordant à
chacun des pays un poids correspondant à sa part dans la
population mondiale. Les résultats, selon que l'on retient
l'une ou l'autre mesure, diffèrent sensiblement, quand ils
ne sont pas franchement contradictoires.
Une estimation sur une longue période (1820-1992), menée
par François Bourguignon et Cécile Morrisson, était
arrivée à la conclusion que les inégalités
mondiales avaient fortement progressé au XIXe siècle,
s'étaient stabilisées sur la première moitié
du XXe et se creusaient à nouveau depuis les années
1960.
Une autre étude, conduite par l'économiste Xavier
Sala-i-Martin sur la période 1970-1998, indique, au contraire,
que les inégalités mondiales avaient nettement baissé.
Enfin, Branko Milanovic a mis, quant à lui, en évidence
une hausse massive des inégalités entre 1988 et 1993,
suivie d'un léger recul entre 1993 et 1998.
Pas facile d'y voir clair d'autant que, dans ce dossier, là
encore, la Chine a joué les éléments perturbateurs.
La difficulté tient "au fait que le pays le plus peuplé
des pays pauvres, la Chine, connaît un exceptionnel processus
de rattrapage : le bon sens voudrait qu'un indicateur international
des inégalités donne à ce rattrapage sa dimension
démographique" , rappellent Mmes Bensidoun et Chevallier.
"MESSAGE TROMPEUR"
Pour M. Sala-i-Martin, mesurer les inégalités en accordant
une pondération égale aux 150 pays de l'échantillon
sans tenir compte de leur population est "une erreur qui délivre
un message trompeur".
MmesBensidoun et Chevallier jugent toutefois cet avis "discutable"
, notamment parce que "vouloir pondérer le rattrapage
chinois, c'est aussi risquer, compte tenu précisément
du poids démographique de la Chine, que ce phénomène
"écrase" les autres informations et fasse perdre
à l'indicateur sa dimension synthétique" . Autre
reproche fait par les deux économistes du Cepii à
l'indicateur des "inégalités internationales"
retenu par M. Sala-i-Martin, celui de ne pas "appréhender
correctement les inégalités internes" . Or celles-ci
jouent un rôle décisif, en particulier quand elles
concernent les revenus entre urbains et ruraux chinois.
"En prenant en compte les populations, on quitte la stricte
notion d'inégalités entre pays pour se rapprocher
de celle d'inégalités entre individus, sans toutefois
l'atteindre" , notent les deux économistes du Cepii.
Pas facile, compte tenu de tous ces problèmes méthodologiques,
de se faire une idée précise de l'évolution
des inégalités dans le monde. Les deux experts du
Cepii soulignent qe "tout diagnostic est hasardeux" .
La tendance générale serait toutefois que, du début
des années 1970 jusqu'au début des années 1990,
on aurait assisté à une hausse des inégalités
mondiales, mais plus récemment, en revanche, une baisse se
serait amorcée.
"Du fait du rattrapage de la Chine et plus récemment
de l'Inde, la plus grande partie de la population mondiale appartient
à des pays dont les revenus moyens tendent à se rapprocher,
concluent les experts du Cepii. Cela ne dit évidemment rien
de l'évolution des revenus individuels et, pour considérer
qu'il s'agit là d'une bonne nouvelle, il faut supposer que
ce rattrapage profite au plus grand nombre."
Pierre-Antoine Delhommais
Avril 2005
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