L'entrepreneuriat : clé de la réussite africaine ?
Par PAULINE JACOT
Dans
plusieurs pays africains, comme au Mali, la voie de l'entrepreneuriat
est une solution privilégiée par de nombreux jeunes pour tenter de
faire carrière.
"Si je n'avais pas fait ça, je ne vois vraiment pas ce que j'aurais pu
faire d'autre", remarque Hamidou, jeune entrepreneur malien qui a créé
son entreprise d'électronique avec son frère il y a cinq ans. La
première motivation des jeunes vient en fait d'un constat d'impuissance
: le travail manque, les études ne sont que peu ou pas valorisées,
alors, il faut créer pour survivre.
Le Forum de Bamako, qui se tenait jusqu'au 15 février dans la capitale,
a, depuis plusieurs années, mis l'entrepreneuriat au coeur des débats
où les professionnels rencontrent les étudiants et les chercheurs.
Cette année, au moment où le Mali tente de se reconstruire
économiquement après deux ans de conflit, il prend une importance
particulière.
Madjissem Beringaye participe pour la première fois à l'édition 2014 en
tant qu'intervenante. Cette jeune Franco-Tchadienne a créé son
entreprise de conseil spécialisée sur l'Afrique il y a trois ans. Elle
aide les entreprises à investir dans le continent et soutient
parallèlement des projets de jeunes entrepreneurs au Tchad, au Rwanda,
et dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest.
Pour elle, l'entrepreneuriat est un levier fondamental pour les jeunes
: "Il faut motiver les jeunes économiquement, si les jeunes au nord du
pays avaient des emplois bien rémunérés ou des perspectives de métier,
de carrière, devant les yeux, les groupes terroristes auraient eu
beaucoup plus de mal à les enrôler." Son discours ultra-motivé
s'accorde parfaitement avec le nom de son initiative : "Living the
African Dream".
"Chaque année, entre 7 et 10 millions de jeunes arrivent sur le marché
du travail africain. Or, en dépit de taux de croissance élevés, les
opportunités d'emploi restent limitées et les économies locales peinent
à intégrer toute cette matière grise. Il faut miser sur
l'entrepreneuriat !"
Avant elle, de nombreuses entreprises ont développé des activités de
soutien à des projets en Afrique, certaines sérieusement, d'autres pour
soigner leur réputation. "Il est toujours bénéfique pour l'image de
marque d'une entreprise de montrer qu'elle aide d'une manière ou d'une
autre à développer des projets sur le continent, beaucoup d'entre elles
ne font d'ailleurs ça que pour l'image sans suivi ni réels impacts pour
les entreprises bénéficiaires." I&P est une entreprise française
qui mise depuis plus de dix ans sur l'Afrique en jouant un rôle
d'investisseur en capital et de conseil en stratégie. Elle procède
toujours par introduction de capital minoritaire dans l'entreprise. Au
Sénégal, en Côte d'Ivoire ou au Mali, I&P a ainsi aidé à la mise en
place de plusieurs projets : Camed en 2003, créée par un jeune Malien
et devenue numéro trois sur le marché des produits pharmaceutiques, ou
encore l'entreprise Carotech, une société de production de carreaux et
de pavés à base de ciment à Bamako.
L'Afrique championne du monde des impôts
"Il y a déjà de très nombreuses entreprises qui fonctionnent de cette
manière en Afrique, mon idée est différente", souligne Madjissem
Beringaye. Cette jeune dirigeante d'entreprise souhaite ouvrir un
centre d'entrepreneuriat et d'innovation pilote au cours de l'année
2015 : dix jeunes entrepreneurs seront sélectionnés pour intégrer
l'incubateur et bénéficieront ensuite pendant un an d'un accompagnement
dans le processus de développement de leur projet. Une des clés de la
réussite dans son esprit, c'est de miser sur la formation :
théoriquement, 25 porteurs de projet bénéficieront chaque trimestre
d'une formation à la comptabilité, aux procédures légales de création
d'entreprise, à l'élaboration du business plan. Les meilleurs
entrepreneurs issus de la formation intégreront ensuite le centre
pilote. "Près de 120 jeunes seront chaque année formés et accompagnés.
Cela représente autant de familles, de communautés, de villages, qui
seront sensibilisés à la nécessité de se prendre en charge et
d'entreprendre."
Mais les portes restent encore fermées à l'entrepreneuriat dans une
grande partie du continent. Un des principaux obstacles demeure le taux
d'imposition très important des entreprises. Le taux global
d'imposition en Afrique pour les entreprises s'élève à 52,9 %, selon
une étude de PWC publiée en novembre dernier, contre 43,1 % au niveau
mondial. En République démocratique du Congo par exemple, le taux
global d'imposition d'une entreprise est de 63,8 % ! De très nombreuses
entreprises ferment ainsi au bout de deux ans, incapables de payer des
montants très élevés à l'État, qui manque de recettes à cause de la
prépondérance du secteur informel sur la vie économique du pays.
"On est assez vite découragé en Afrique lorsqu'on fait les choses dans
les règles", déplore Madjissem Beringaye, qui rencontre le plus souvent
possible les différents gouvernements africains lors de ses
déplacements et tente d'exporter en Afrique le statut
d'autoentrepreneur.
Les difficultés des entrepreneurs sont aussi visibles dans la vie
quotidienne. Jean-Michel Severino, l'ancien directeur de l'Agence
française de développement, déclarait récemment à RFI à propos des
entrepreneurs africains : "Ce sont des héros, et pas simplement en
raison des défaillances du système fiscal et institutionnel ou de la
corruption. C'est bien d'avoir une usine, mais encore faut-il que la
route ne soit pas inondée six mois par an et que l'électricité
fonctionne plus de quelques heures par jour...".
15 Février 2014
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