Les entrepreneurs africains, un atout pour la France
Par Aldo Fotso (directeur exécutif du réseau entrepreneurial AfricAngels)
Alors
que la France souffre d’un recul de la consommation et d’une baisse
d’investissement des entreprises et des exportations, l’Afrique quant à
elle, affiche depuis plus d’une décennie, une croissance forte de 5 à 6
%, portée en outre par une demande intérieure dynamique.
Malgré
les intérêts partagés et de nombreuses actions de coopération, force
est de constater que la France ne profite pas de ce nouvel eldorado.
Nous assistons, apathiques à la dégradation des parts de marché de
l’hexagone sur le continent. Or, si plusieurs stratégies de
redéploiement sont proposées, il semble primordial pour les pouvoirs
publics et les entreprises de s’appuyer sur les talents
franco-africains pour aller à la reconquête du vaste marché africain.
Tous les spécialistes sont unanimes pour louer l’Afrique comme le
continent émergent de demain. Tant il est vrai qu’elle devra d’ici
2050, accueillir, nourrir, former, loger, employer plus d’un milliard
de nouveaux habitants. Forte d’une démographie galopante, d’une
urbanisation vertigineuse et d’une richesse importante en ressources
naturelles notamment, les économies africaines attisent toutes les
convoitises.
Chinois, indiens, turcs, brésiliens…
ils envahissent et investissent tous cette nouvelle terre
d’opportunités, au détriment de la France, ancienne puissance
coloniale. Les États-Unis, quant à eux, entendent renforcer leurs liens
avec l’Afrique et «faire progresser leurs objectifs en matière
de commerce et d'investissement en Afrique », mot
d'ordre du prochain sommet Afrique Etats-Unis, rencontre inédite qui se
tiendra pour la première fois à Washington les 5 et 6 août.
Dans les rapports sur les stratégies de reconquête de l’Afrique par la
France publiés en 2013 par le ministère de l’économie et des finances,
le Sénat ou encore l’institut Montaigne, tous les experts reconnaissent
que notre pays, encore doté de nombreux atouts sur ce continent, n’a
pas pris la mesure de l’enjeu et y a perdu de son influence. Elle
pourrait, grâce aux échanges avec l'Afrique, créer ou maintenir d’ici
2020 plus de 240 000 emplois, selon Jean Michel Severino,
président du fonds Investisseurs & partenaires, ancien directeur
général de l’Agence française de développement.
Ce recul flagrant, sur lequel on pourrait longtemps débattre, n’est
pourtant pas une fatalité. En dépit d’une concurrence acharnée, la
France peut capitaliser sur ses acquis et utiliser le concours des
entrepreneurs de la diaspora africaine pour mieux répondre aux défis de
sa propre croissance.
Les travaux effectués lors de la préparation du sommet Afrique-France
des 6 et 7 décembre 2013 par AfricAngels, un réseau de « business
angels » entrepreneurial, , ont contribué à faire prendre
conscience du rôle de la diaspora économique africaine et de son
influence potentielle sur la conduite des affaires en Afrique.
Sept mois après, aucun dispositif ne semble cependant avoir été mis en
œuvre pour soutenir l’émergence de ces entrepreneurs d’avenir. Les
stéréotypes et les préjugés persistent, les vieilles stratégies
demeurent, et il est à craindre qu’en dehors des discours pieux et de
multiples rapports, l’action reste vaine.
Alors que tout le monde clame qu’est venu « le temps de
l’Afrique », il est plus que nécessaire de conduire un
changement des mentalités et des représentations en engageant, à
l’instar de l’Allemagne ou de l’Angleterre, un vrai partenariat, basé
sur le triptyque « privé français - diaspora économique - privé
africain».
Diplômée des meilleures écoles françaises ou autodidactes, une nouvelle
élite économique d’ascendance africaine, très active dans les secteurs
de la distribution, des services, du conseil ou du
numérique, apparaît peu à peu dans le paysage économique
français. Nous observons leur éclosion à travers des initiatives
telles que le Prix de l’Entrepreneur Africain de France, qui révèle
chaque année de nouvelles réussites qui participent au dynamisme
économique de la France et au rayonnement de l’Afrique.
En dépit de nombreux freins – image négative relayée par les médias,
discriminations, absence de visibilité, difficultés d’accès aux
financements… - ces entrepreneurs créent de la richesse, des emplois et
ambitionnent de devenir des acteurs significatifs dans leur pays
d’origine et les fers de lance des entreprises françaises.
Dotés d’une double culture, ils disposent d’une excellente connaissance
du terrain africain, possèdent les codes et de solides attaches. Didier
Acoutey, récemment élu Prix de l’Entrepreneur Africain de France 2014,
dirige le premier cabinet de recrutement des ressources humaines
africaines à destination du continent. Avec Africsearch, il aide les
entreprises qui s’impliquent sur le continent africain à trouver dans
leurs potentiels humains et organisationnels, les talents et leviers
cachés de performance. Gérard Mangoua est le fondateur d’Ubipharm, basé
à Rouen, groupe leader de la distribution pharmaceutique en Afrique et
en Guyane, qui pèse plus de 500 millions d'euros de chiffre d’affaires
cumulé. Avec sa filiale Planetpharma SA, il se positionne comme un
partenaire de choix pour l'industrie pharmaceutique française en
Afrique.
Ces chefs d’entreprise sont « le » pont naturel entre la
France et l’Afrique et ont vocation à être les agents au service du
développement des affaires entres les deux continents. Ils sont l’atout
qui manque aux entreprises françaises pour se différencier de leurs
concurrents et renforcer leurs positions sur le marché africain.
Les entreprises françaises - grands groupes, PME, TPE - en quête de
relais de croissance, rechignent encore à s’allier à ces partenaires
stratégiques. Le gouvernement, dans le cadre des missions économiques
qu’il organise en Afrique, semble également redevenu amnésique sur
l'existence de cette force tranquille qui pourrait pourtant faciliter
l’ancrage des entreprises dans leurs pays d’origine.
Il y a plusieurs raisons pour expliquer cet état de fait. Au-delà de
la condescendance ou du paternalisme de
certains décideurs vis-à-vis de la diaspora africaine en France,
il faut reconnaître que les entrepreneurs issus de l’immigration
africaine étaient jusqu’ici inorganisés et difficilement
identifiables. En les fédérant au sein du premier club d’entrepreneurs
africains d’envergure nationale, Africangels constitue cette force
nouvelle génératrice de synergies et de croissance pour les entreprises
françaises.
Le gouvernement et les entreprises françaises doivent désormais donner
les gages sérieux d'un changement profond de comportement dans le
business en Afrique, et prendre des initiatives courageuses
et innovantes afin d'impliquer cette nouvelle dynamique
entrepreneuriale active et ambitieuse qui, à défaut, se saisira des
opportunités que leur offriront des entreprises étrangères souhaitant
profiter de la croissance de leurs pays d’origine.
▪ Aldo Fotso (directeur exécutif du réseau entrepreneurial AfricAngels)
28 Juillet 2014
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