Richard Attias: «L'explosion économique de l'Afrique est une chance pour nous tous»
Propos recueillis par Raoul Mbog
Le fondateur du New York Forum Africa estime que le USAfrique est nécessaire. Car, il permet de mieux connaître le continent.
Slate
Afrique: Avant même le début de ce sommet entre les Etats-Unis et
l’Afrique, le président américain a déclaré qu'il s’agit d’un
«événement historique». À votre avis, est-ce parce qu’il s’agit de la
première rencontre de ce type ou c’est parce que le sommet de
Washington va vraiment marquer un tournant dans les relations entre les
Etats-Unis et l’Afrique ?
Richard Attias: Il est regrettable que ces échanges ne se soient pas
tenus plus tôt, quand on voit que la France, l’Amérique latine et la
Chine tiennent depuis longtemps ce type de sommets avec l’Afrique. Pour
autant, il faut se réjouir qu’une rencontre de ce niveau se déroule
enfin entre les Etats-Unis et l’Afrique. Car cela peut amener les
décideurs politiques et économiques américains à mieux connaître les
problématiques africaines. J’ose espérer que le sommet de Washington
permettra aussi d’attirer l’attention de l’opinion publique et des
médias aux Etats-Unis sur les nombreuses potentialités du continent et
des diverses opportunités que l’on peut y saisir. Dans tous les cas,
toute initiative de ce genre est à encourager.
Slate Afrique: On peut difficilement s’empêcher de s’interroger sur
l’impact de ces grandes rencontres sur les populations, que ce soit les
grand-messes politiques ou les grands forums économiques. Qu’est-ce que
cela change dans la vie des gens ?
Richard Attias: Il faut bien distinguer les sommets politiques des
rencontres purement économiques que vous évoquez. Parce que l’objectif
n’est pas le même. D’une part, vous avez des sommets politiques avec
éventuellement des satellites économiques ; mais l’idée dans ce
type de cadre est d’abord d’évoquer des questions liées à la démocratie
ou à la justice ou à la coopération en matière de sécurité pour trouver
une solution au drame du Mali et de la Centrafrique ou au chaos de la
Libye. D’un autre côté, vous avez des forums essentiellement
économiques où les rencontres et les échanges débouchent le plus
souvent sur des opportunités d’investissement dans divers secteurs.
Dans les deux cas, cela a une incidence bien concrète sur le
développement et le bien-être des populations.
Comment peut-on, par exemple, imaginer que le prochain grand sommet sur
l’entrepreunariat, le Global entrepreurship Summit qui se tient en
novembre à Marrakech, au Maroc, soutenu par les Etats-Unis, ne puisse
pas avoir d’impact sur les populations? Car, qu’on le veuille ou non,
lorsque les Etats-Unis apportent un soutien social et économique à un
pays, le fait qu’ils mettent en marche leur grande expérience en
matière d’entrepreunariat dans un pays, cela a forcément d’importantes
retombées.
Slate Afrique: Vous êtes vous-même le fondateur du New York Forum
Africa qui se tient depuis trois ans à Libreville, au Gabon. Ce
rendez-vous est devenu incontournable, mais pouvez-vous dire que les
populations comprennent réellement le sens de tout ça ?
Richard Attias: J’affirme haut et fort que le New York Forum Africa a
permis des changements fondamentaux. D’abord, il a permis de donner une
voix forte à l’Afrique francophone, qui n’en avait pas, et notamment
aux jeunes. Ensuite, nous avons pu faire venir des personnes qui ne
seraient jamais venues en Afrique. Je pense à un certain nombre de
décideurs américains, sud-américains et certains entrepreneurs turcs et
chinois. Autre point essentiel, de nombreux projets d’investissement
importants se sont catalysés au bénéfice du pays hôte qu’est le Gabon.
Mais d’autres projets ont également émergé en Guinée équatoriale, au
Congo-Brazzaville ou même au Maroc et d’autres encore à un niveau
panafricain. Par ailleurs, nous veillons à ce que le format du forum
soit le plus interactif possible afin qu’il soit bénéfique à tout le
monde.
Slate Afrique: Et le fait qu’il y ait une multiplication de ces forums
sur le continent ne risque-t-il pas de rendre leurs objectifs peu
lisibles?
Richard Attias: Soyons objectifs: personne ne critique les forums
incessants qui sont organisés en Europe. Pourquoi les pays africains
n’auraient-ils pas, eux aussi, le droit d’organiser des rencontres pour
mieux se faire connaître, pour attirer des investisseurs chez eux? Et
le fait qu’il y en ait plusieurs sur les mêmes thématiques se justifie
d’autant plus que les problématiques ne sont pas forcément les mêmes
d’un pays à un autre. Les questions liées à l’agriculture au Kenya ne
sont, par exemple, pas les mêmes que celles qui se posent au Maroc ou
au Nigeria. Au lieu de se poser la question de la multiplicité des
forums, il faut prendre conscience que nous avons à faire à un
continent qui représente 54 pays et 2 milliards d’individus d’ici à
2050, et qui doit à marche forcée se doter d’infrastructures,
développer son agriculture, l’éducation et les hôpitaux. Toutes ces
rencontres illustrent simplement l’explosion économique qui est en
train de se produire sur le continent.
Slate Afrique: Mais est-ce qu’on ne parle pas plus qu’on agit dans ces
rencontres, dans la mesure où il y a des projets d’infrastructures qui
y sont évoqués, comme le tramway de Dakar ou d’autres projets
agricoles, mais qui tardent à voir le jour ?
Richard Attias: C’est une question essentielle. Car un forum n’a pas à
vocation définir la politique et les projets stratégiques d’un pays. Un
forum est l’occasion d’attirer l’attention sur un pays, ses
problématiques, ses opportunités, d’attirer des investisseurs
internationaux. Il appartient ensuite aux décideurs des pays de mettre
en œuvre ce qui s’y est initié. Un forum ce n’est pas un gouvernement.
Cela dit, il faut être extrêmement prudent sur la multiplicité des
forums qui se tiennent en Afrique ou qui concerne l’Afrique. Parce que
si beaucoup sont utiles, il y en a qui manifestement n’ont d’autre
aspect que mercantile ou commercial. Mais il y a une dynamique qu’il
faut accompagner. Car, les forums qui permettent de réfléchir de
manière désintéressée sur l’Afrique sont ceux qui ont le plus permis de
mieux connaître le continent et d’y faire venir du monde. Et quand on
regarde le courage et le dynamisme de ses jeunes et les opportunités
qu’elle offre, l’Afrique vaut bien que l’on s’y intéresse.
Propos recueillis par Raoul Mbog
Raoul
Mbog est journaliste à Slate Afrique. Il s'intéresse principalement aux
thématiques liées aux mutations sociales et culturelles et aux
questions d'identité et de genre en Afrique.
20 Août 2014
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