L'Afrique peut-elle financer sa propre croissance ?
Par Tonderayi Mukeredzi
La mobilisation des ressources internes est une source essentielle de financement.
Malgré
la croissance exceptionnelle du financement du développement au cours
de ces dernières années, l'Afrique peine à mobiliser les ressources
nécessaires à sa croissance et à sa transformation. Au vu de
l'insuffisance de l'aide extérieure au développement et des faibles
prix de ses produits et services, l'Afrique a dû admettre que son
développement durable ne pouvait dépendre que de ses propres ressources
financières.
Selon la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA),
le développement des infrastructures africaines pourrait entraîner une
hausse de 2 % du produit intérieur brut (PIB) et poser les bases
d'une industrialisation rapide, ce qui permettrait de renforcer les
capacités du continent à générer davantage de ressources internes.
Dans son rapport de mars 2015 intitulé Financements novateurs et
transformation économique en Afrique, la CEA évalue les besoins actuels
de l'Afrique en matière d'infrastructures à la colossale somme de
93 milliards de dollars par an. Avec 45 milliards mobilisés,
le déficit annuel s'élève donc à près de 50 milliards.
Comme le dit très justement le Président ivoirien Alassane Ouattara, le
plus grand défi de l'Afrique consiste à s'assurer que des sources de
financement appropriées et innovantes viennent appuyer sa
transformation.
«L'une des solutions consisterait à accélérer le développement de nos
marchés financiers pour activer la transformation des économies
africaines », avait-il déclaré lors du neuvième Forum pour le
développement de l'Afrique, organisé l'an dernier au Maroc. « Pour
ce faire, nous devons développer des produits financiers
innovants. » Malgré les progrès réalisés en matière de
mobilisation des ressources financières et techniques au développement
depuis le Consensus de Monterrey, en mars 2002, l’Afrique sait que
beaucoup reste à faire.
«Les modèles politiques, de financement et d'investissement actuels ne
nous permettront pas de réaliser notre vision d'avenir, ont affirmé les
chefs d'État et de gouvernement africains dans l'avant-projet du
document final de la troisième Conférence sur le financement du
développement.
Quelles sont les options ?
L'Afrique, selon les experts du développement, a réalisé que les
sources de financement traditionnelles n'étaient pas viables et ne
devaient être considérées comme des solutions de premier recours,
Oswell Binha, président de l'Association des chambres de commerce et
d'industrie de la Communauté de développement de l’Afrique australe
(SADC), affirme que l'Afrique peut créer une économie de
2000 milliards de dollars en simplifiant les règles du commerce et
de l'investissement intérieur. «Les débats de l'Organisation mondiale
du commerce et des partenariats économiques sur l’ensemble du continent
montrent que l'Afrique est consciente de l’importance du commerce
intra-africain pour la mobilisation des ressources internes », a
indiqué M. Binha à Afrique Renouveau.
Mateus Magala, représentant résident de la Banque africaine de
développement (BAD) au Zimbabwe, affirme que l'Afrique est le marché
pionnier présentant le potentiel d'investissement le plus élevé du
monde.
« Cela inclut notamment les fonds souverains, les fonds de
pension, les réserves de change et les transferts de fonds. Le
continent dispose également de ressources naturelles substantielles, et
les pays possédant des industries extractives peuvent tirer parti de
cette importante source de revenus », a indiqué M. Magala dans un
entretien accordé à Afrique Renouveau.
Avec la volonté politique et l'autorité nécessaires pour créer les
mécanismes de gouvernance appropriés, a-t-il souligné, les revenus de
l'extraction pourraient impulser la transformation du continent en lui
permettant d'investir dans la compétitivité, la diversification et
l'utilisation efficace et durable des ressources.
Lors d'une Conférence du Groupe africain sur les perspectives en
matière de financement du développement organisée au mois de mars, les
parties prenantes ont affirmé leur volonté de financer un développement
durable en mobilisant les ressources intérieures, en luttant contre la
corruption et les flux financiers illicites (FFI), et en améliorant la
gouvernance. « Pour financer ses priorités de développement,
l'Afrique a créé un cadre mettant la mobilisation des ressources et des
échanges intérieurs au service du financement des transformations
structurelles et du développement durable, en mettant l'accent sur les
infrastructures, le capital humain et l'agriculture durable», a déclaré
Adam Elhiraika, directeur de la Division des politiques
macroéconomiques de la CEA, lors d'une récente réunion régionale à
Addis-Abeba.
Pour la CEA, le potentiel de l'Afrique est énorme. Le continent peut
soutenir, développer et mettre en œuvre des instruments financiers
intérieurs viables, notamment des flux financiers découlant de la
titrisation des transferts de fonds, des revenus des minéraux et des
combustibles minéraux, des réserves internationales des banques
centrales et de la croissance du marché des fonds de
capital-investissement.
Cette thèse est confortée, entre autres, par les données du Nouveau
Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) qui indiquent
que les pays africains collectent plus de 527,3 milliards de
dollars par an en taxes intérieures, contre 73,7 milliards
provenant de flux privés et 51,4 milliards d'aide publique au
développement.
M. Magala croit possible d'obtenir 550 milliards de dollars des
réserves extérieures officielles, 200 milliards des fonds de
pension, 150 milliards des fonds souverains, 50 milliards de
l'investissement direct étranger, 60 milliards des transferts de
fonds et 20 000 milliards de la monétisation des ressources
naturelles.
Épargne intérieure
Des mécanismes de financement « carbone » peuvent également
être exploités plus encore pour mettre en œuvre certains des projets du
continent. Plusieurs pays envisagent une taxe sur le carbone pour
mobiliser des ressources financières supplémentaires et lutter contre
les changements climatiques.
La CEA indique néanmoins que l'épargne intérieure de l'Afrique reste
faible par rapport à celle d'autres régions en développement, notamment
en raison du nombre important de personnes non bancarisées. Des progrès
sont cependant possibles si les ressources du secteur informel sont
mises à profit et que des incitations à utiliser les services bancaires
officiels sont développées. Le ratio épargne/PIB de l'Afrique était
d'environ 22 % entre 2005 et 2010, contre 46 % pour l'Asie
orientale et le Pacifique, et 30 % pour les pays à revenu
intermédiaire.
M. Binha considère que les gouvernements africains devraient également
promouvoir un environnement favorisant les consultations de haut niveau
entre les secteurs public et privé.
La CEA estime la valeur du marché des capitaux privés africains à
environ 30 milliards de dollars. Pour la seule année 2011, les
sociétés de financement par capitaux propres ont mobilisé
1,5 milliard de dollars pour des opérations en Afrique.
Réduire le coût des transferts de fonds
Bien que les transferts de fonds aient atteint 21,8 milliards de
dollars en moyenne au cours des dix dernières années et représentent
environ 10 % du PIB de pays tels que le Nigéria et le Sénégal, les
experts indiquent que le coût des transferts vers l'Afrique demeure
parmi les plus élevés du monde. Pour que les transferts de fonds aient
un impact sur le développement, ils doivent être moins chers et
utilisés plus efficacement.
Il peut arriver que les lois de contre-surveillance et de lutte contre
le blanchiment d'argent adoptées pour combattre le financement du
terrorisme asphyxient les transferts de fonds et entravent la
progression du continent. Cela a été le cas récemment, lorsque les
banques américaines ont décidé de cesser les transferts de fonds vers
la Somalie.
La lutte contre les flux financiers illicites(FFI) est un défi de
taille que l'Afrique doit relever de toutes ses forces. Ces fuites de
capitaux pourraient avoir atteint 854 milliards de dollars entre
1970 et 2008, soit une perte de financement moyenne annuelle de près de
22 milliards – dont plus de la moitié provient des industries
extractives. Une restriction des FFI en provenance du continent
pourrait donc stimuler les efforts de mobilisation des ressources
internes.
Plusieurs options politiques ont été proposées pour juguler ces flux;
parmi les principales stratégies mises en œuvre, mentionnons la
création, par les Ministres des finances de l'Union africaine, d'un
Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance
d'Afrique, et l'établissement d'initiatives régionales telles que le
Programme régional pour l'Afrique en matière de lutte contre la
corruption (2011-2016) et le Forum africain sur l'administration
fiscale.
Pour M. Binha, les problèmes de l'Afrique résident principalement dans
le manque de confiance, un modèle politique défavorable, la
rigidité des échanges intérieurs et intra-régionaux, et les différences
d'un pays à l'autre. « Le manque de confiance fait obstacle à des
investissements internes durables, fiables et crédibles. »,
ajoute-t-il.
Poursuivre la croissance
Selon la Banque mondiale, le PIB africain devra enregistrer une
croissance de 5 % au cours des vingt prochaines années pour
atteindre le niveau de financement interne nécessaire. La Banque
prévoit un ralentissement de la croissance économique des pays
africains – de 4,5 % en 2014 à 4 % en 2015 –, qui
reflète principalement la chute des prix mondiaux du pétrole et
d'autres produits de base.
Lors d'une récente réunion organisée à Washington,
l'économiste en chef de la Région Afrique de la Banque mondiale,
Francisco Ferreira, a indiqué aux Ministres des finances africains et
aux responsables des banques centrales que cette prévision était
inférieure au taux de croissance annuel moyen de 4,4 % des vingt
dernières années, et largement en deçà des taux record de 6,4 %
pour la période 2002-2008. Bien que ce boom soit terminé, a-t-il
indiqué, le phénomène de « l'Essor Africain » lui est
antérieur et devrait lui survivre.
Des mécanismes de financement intérieur innovants tels que le Fonds50
pour l'Afrique, lancé l'an dernier par la BAD, devraient donc prendre
la main ou venir compléter d'autres ressources externes et nouvelles
sources de financement telles que les pays du groupe des BRICS (Brésil,
Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) pour mettre en œuvre l'ambitieux
programme de développement de l'Afrique.
3 Novembre 2015
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