Dossier
La fée hydrogène : l'énergie de demain
Par Futura-Sciences
Jusqu'il y a peu, on voyait dans les piles à combustible une solution
de la "voiture propre de demain". Désormais, on envisage l'avènement
d'une véritable "économie de l'hydrogène", car cet élément, inépuisable
à l'échelle de la planète, peut devenir un vecteur énergétique aussi
important que l'électricité. Ses avantages ? Il peut être produit dans
un premier temps par reformage des hydrocarbures, mais aussi en
s'appuyant sur les énergies renouvelables (donc sans émissions de CO2).
Il peut être aisément stocké – ce qui n'est pas le cas de
l'électricité. Il renforcerait considérablement l'indépendance
énergétique de l'Europe.
Depuis
près de deux ans, le concept de l'économie de l'hydrogène est devenu
l'un des fondements majeurs autour duquel l'Union européenne axe
l'ensemble de sa politique énergétique durable pour les prochaines
décennies. Pourquoi cette option centrale, qui implique aussi toute la
recherche sur l'énergie, s'impose-t-elle avec autant de force ?
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Un Bus à Hydrogène |
L'HYDROGENE ARRIVE
Depuis
près de deux ans, le concept de l'économie de l'hydrogène est devenu
l'un des fondements majeurs autour duquel l'Union européenne axe
l'ensemble de sa politique énergétique durable pour les prochaines
décennies.
Pourquoi cette option centrale, qui implique aussi toute la recherche sur l'énergie, s'impose-t-elle avec autant de force ?
Pour
un budget de 54 millions €, dont près de 18 millions € apportés par
l'Union, un projet européen de démonstration particulièrement
ambitieux, baptisé Cute (Clean Urban Transport for Europe), fédère un
large consortium de près d'une trentaine de participants. Il rassemble
des développeurs de piles à combustible, des constructeurs de
véhicules, des industries de la filière hydrogène, des opérateurs de
transports urbains et des autorités municipales. Objectif : mettre en
service, en condition réelle, une flotte de 27 prototypes de bus à
hydrogène, propres et silencieux, dans les réseaux de transport public
de neuf cités européennes. Les infrastructures d'approvisionnement ont
été construites en 2003 et les premiers bus livrés dans plusieurs
villes. Des "essais" ont commencé à Porto, Madrid, Stockholm, Stuttgart
et Londres. Un autre projet de démonstration appelé Ectos est en cours
à Reykjavik (Islande) où trois bus circulent et sont ravitaillés par de
l'hydrogène produit à partir d'énergies renouvelables.
Il y a
une dizaine d'années, c'était au plus une "alternative encore
lointaine", une "perspective du futur". L'accent n'était d'ailleurs pas
tellement mis sur l'hydrogène en tant que tel, mais bien sur la "pile à
combustible". Cette option technologique, jusque là peu familière du
grand public, était principalement présentée comme la formule
susceptible de faire rouler, de façon totalement propre, les "voitures
de demain".
• Le temps de l'auto électrique
C'était
l'époque où il devenait assez évident que le "tout fossile" en matière
de transport – et à d'autres usages – aurait une fin. A plus ou moins
longue échéance, les ressources s'épuiseraient et la menace du
changement climatique commencerait à être prise au sérieux.
La
première alternative développée a été la voiture électrique – en
version "pure" ou en version hybride –, dotée de batteries
rechargeables. Beaucoup de recherches ont été – et sont toujours –
menées dans cette voie et ont amené des progrès significatifs. Diverses
flottes de véhicules sortis de cette filière circulent aujourd'hui.
Particulièrement appropriée pour la lutte contre la pollution en milieu
urbain, cette génération de la voiture électrique à 100% se heurte
cependant aux limites de son autonomie et à la lourdeur des opérations
de recharge. Une large préférence est donc donnée aux véhicules
hybrides, certes intéressants à bien des égards, mais qui ne peuvent
que diminuer – et non supprimer – la dépendance aux combustibles
pétroliers.
• Virage vers les PaC
Par
rapport aux accumulateurs rechargeables, la pile à combustible (PaC)
s'est dès lors renforcée comme une alternative résolument séduisante.
Le principe, connu depuis des lustres, est presque trop beau pour être
vrai. De l'hydrogène, combiné à l'oxygène de l'air ambiant, produit du
courant capable d'alimenter le moteur d'un véhicule. En lieu et place
des gaz d'échappement des moteurs à combustion interne, le résidu est
de l'eau et un peu de chaleur… Taux d'émission théorique en CO2 et
autres polluants nuisibles à l'environnement et à la santé : zéro. Ces
piles cumulent deux autres avantages appréciables : haut rendement
énergétique et absence de nuisance sonore.
Au cours des années
'90, l'impulsion donnée au développement des PaC, centrée
principalement sur la filière automobile très impliquée dans ce
mouvement, s'est ainsi considérablement amplifiée. En Europe, aux
Etats-Unis, au Canada et au Japon, des programmes publics ont financé
des contrats associant des organismes de recherche et des entreprises.
Ainsi, à la fin de la décennie '90, les deux grands projets européens
Fever (emmené par Renault et Volvo) et Hydro-Gen (PSA-Peugeot-Citroën)
ont débouché sur la présentation des premières "voitures-prototypes à
PaC", dotées de performances routières convaincantes. Parallèlement,
DaimlerChrysler et Opel-GM ont également élaboré leur programme
intensif de démonstration avec leurs modèles respectifs Necar et
HydroGen.
La
sortie de ces prototypes a un immense mérite : ceux-ci démontrent que
les potentialités de la filière PaC sont bien réelles. En même temps,
ces réussites donnent à voir le gap immense qui sépare un tel concept
innovant de son application étendue. Car, dans les structures
énergétiques actuelles de la société où le pétrole est roi, ces
voitures de demain ne peuvent que rester des "curiosités" non
commerciales. Une véritable mutation, beaucoup plus globale, est
nécessaire si l'on veut donner à cette nouvelle génération de véhicules
la moindre chance de pénétrer un jour le marché.
• L'hydrogène entre en scène
La
problématique des piles à combustible a ainsi commencé à embrasser une
approche inédite et renouvelée de l'ensemble de l'équation énergétique
du monde contemporain. Un nouveau concept global a surgi : celui de
l'économie de l'hydrogène. A partir de 2002, les responsables de
l'Union en feront un véritable cheval de bataille d'une politique
européenne de l'énergie durable.
Qu'est-ce qui motive et que
recouvre un tel axe stratégique ? Ressource "élémentaire"
particulièrement abondante à l'échelle de notre planète – non seulement
dans l'immensité de ses eaux océaniques et fluviales, mais aussi dans
l'ensemble du monde organique, depuis la biomasse jusqu'aux
hydrocarbures eux-mêmes –, l'hydrogène apparaît potentiellement comme
une gigantesque manne à haute capacité de libération d'énergie. Face au
lancinant problème climatique qui taraude aujourd'hui la société
humaine, sa mise en valeur massive permettrait de faire chuter de façon
drastique les émissions de CO2.
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Mais
l'hydrogène n'en reste pas moins une ressource paradoxale. Il n'existe
nulle part sur Terre à l'état isolé. Il faut donc d'abord le produire,
moyennant le recours à d'autres sources énergétiques primaires. Deux
procédés pour ce faire sont déjà accessibles : on peut, d'une part,
extraire l'hydrogène des ressources fossiles, tout en capturant et
séquestrant les émissions de CO2 ; d'autre part, il peut aussi être
obtenu en procédant à l'électrolyse de l'eau. Une fois produit,
l'hydrogène peut ensuite être stocké et transporté. Ces opérations,
dont la faisabilité est déjà établie, exigent de nombreuses adaptations.
Alliance avec les énergies Fluctuantes
Un
atout primordial de l'hydrogène est la perspective de pouvoir en
disposer de manière proprement inépuisable. L'eau est, en effet, l'un
de ses réservoirs majeurs. Pour l'en extraire, il faut cependant passer
par le biais de l'électrolyse, c'est-à-dire par une fourniture
d'énergie électrique. Loin d'être un handicap, cette étroite alliance
hydrogène-électricité, incluant le stade amont, est susceptible de
changer du tout au tout l'équation énergétique de demain. Leur synergie
ouvre une voie royale à l'exploitation des énergies renouvelables
fluctuantes – le vent, le soleil et les vagues. Celles-ci, par nature,
butent sur une énorme difficulté à s'intégrer dans l'approvisionnement
électrique actuel où l'offre doit sans cesse répondre à l'immédiateté
de la demande. Leur utilisation dans l'économie de l'hydrogène, où
elles pourraient être stockées, peut lever cet obstacle et constituer
un marché susceptible de rentabiliser efficacement ces ressources
précieuses.
• D'une fée à l'autre
C'est
dès lors sur les avantages de cet enchaînement
production-stockage-transport que se fonde la perspective innovante de
l'économie de l'hydrogène. Dans cette approche, l'hydrogène n'est plus
considéré comme un carburant direct (tel qu'il l'est dans les fusées ou
lorsqu'il alimente un moteur à combustion interne), mais, bien plus
largement, comme un nouveau vecteur énergétique.
Il est en cela
comparable au vecteur universel par lequel transite une quantité
essentielle de nos approvisionnements en énergie, à savoir
l'électricité. Produite dans des centrales, celle-ci "se rend", via des
câbles, sur des lieux de consommation. Révolution déterminante dans
l'histoire technologique de l'humanité, ne l'avait-on, à ses débuts,
baptisée la Fée Electricité?
De la même manière, l'hydrogène
obtenu dans des unités de production peut être acheminé par pipelines
ou par camions-citernes. Mais, en outre, la possibilité de le stocker,
avant ou après transport, représente une supériorité décisive sur
l'électricité, qui (en dehors des batteries rapidement épuisables et
d'assez faible capacité) est mise en circulation dans le réseau de
distribution et consommée dès l'instant où elle est produite. Pour les
véhicules, son stockage d'attente peut ainsi avoir lieu dans des
"stations-services" où il est ensuite délivré "à la pompe", comme
l'essence ou le diesel(1). Embarqué dans leur réservoir, le vecteur
hydrogène peut alors alimenter les piles à combustible de bord pour
produire le courant nécessaire à des véhicules équipés de moteurs
électriques. La nouvelle Fée Hydrogène amène en quelque sorte du
courant sans fil.
La
description de cette chaîne vectorielle explique pourquoi, désormais,
les résultats prometteurs des PaC ne peuvent que se conjuguer avec une
approche très ambitieuse fondée sur cette nouvelle économie de
l'hydrogène radicalement mutante. Les constructeurs automobiles,
objectivement séduits par cette révolution technologique, ne peuvent,
en effet, aller de l'avant que si tout un système global de production,
de distribution et d'utilisation se met progressivement en place.
Celui-ci doit être pensé et mis au point en termes de recherche, puis
testé et réalisé au prix d'énormes investissements concertés.
Les
conséquences d'un tel développement infrastructurel dépasseraient
largement le seul domaine des transports. A une échelle embrassant
l'ensemble des besoins énergétiques de la société, la Fée Hydrogène
deviendrait alors l'alliée décentralisatrice de la Fée Electricité… Les
recherches actuelles étudient déjà des prototypes de piles à
combustible stationnaires de grande dimension. Celles-ci peuvent
satisfaire, de façon délocalisée, une vaste demande industrielle,
agricole, tertiaire ou résidentielle en électricité – ainsi qu'en
chaleur (via la cogénération) et en énergie mécanique.
Les
dimensions et les retombées de cette nouvelle économie – sans rapport
avec la bulle virtuelle d'Internet qui fit long feu aux alentours de
l'année 2000 – constituent donc un enjeu énorme. Mûri en étroite
collaboration avec les milieux industriels intéressés, le pari sur
l'hydrogène apparaît désormais comme une issue viable et durable à
l'impasse dans laquelle la "primauté des combustibles fossiles" enferme
le système énergétique mondial à l'horizon des prochaines décennies. A
cela s'ajoute, pour l'Europe, la préoccupation de plus en plus
inquiétante de sa dépendance énergétique.
(1) Dans la mesure où
la production d'hydrogène peut également être effectuée à une échelle
très décentralisée, par exemple au niveau d'un bâtiment résidentiel, le
"plein d'hydrogène" pourrait également se faire lorsque le véhicule est
au garage…
Côté Piles
Les
recherches sur de multiples technologies de piles à combustible sont en
effervescence. Cette diversification ouvre la voie à de nombreuses
offres d'énergie non polluante, qui vont des véhicules aux centrales
électriques, en passant par des applications portables.
La pile
à combustible (PaC) est une "très vieille innovation". Très simple, le
principe de base de son fonctionnement a été découvert et démontré, dès
1839, par le physicien anglais William Grove (voir schéma ci-dessous).
Pendant
plus d'un siècle, la primauté du développement des machines thermiques
et des accumulateurs électriques éclipsa cependant cette invention.
Celle-ci ne fut plus guère étudiée en dehors de certains développements
en laboratoire, restés sans écho. | |
Découvert
dès 1839, le principe de la pile à combustible est extrêmement simple.
Deux électrodes reliées extérieurement par un circuit électrique et
séparées par un électrolyte sont alimentées, en présence d'un
catalyseur, l'une par de l'hydrogène – qui fait office de combustible
–, l'autre par de l'oxygène atmosphérique.
L'atome d'hydrogène à
l'anode se scinde en formant un proton ou ion H+, chargé positivement,
et un électron. L'ion migre à travers l'électrolyte vers la cathode, où
il se combine avec l'oxygène pour former de l'eau (et un dégagement de
chaleur), tandis que l'électron parcourt le circuit électrique en
donnant naissance à un courant.Sa mise en application varie toutefois
beaucoup selon la forme d'hydrogène amenée à l'anode (ce peuvent être
des éléments chimiques contenant de l'hydrogène) et la nature des
électrolytes.
• Coup de pouce venu de l'Espace
La
première, la recherche spatiale remettra à l'honneur l'usage
contemporain des PaC. Dans les années '60, la NASA choisit, en effet,
de se tourner vers des générateurs de ce type pour équiper les engins
des programmes Gemini et Apollo. Le développement des technologies très
spécifiques des PaC utilisées dans l'Espace n'a cessé de progresser et
de s'appliquer depuis lors.
A partir des décennies '70 et '80,
cette démonstration spatiale a conduit, surtout outre-Atlantique et au
Japon, à un intérêt croissant pour cette filière, en particulier dans
le monde de l'automobile et pour diverses applications dites
"stationnaires". Ces recherches ont ouvert une grande diversification
des options technologiques. Outre l'alimentation classique des
premières piles nécessitant de l'hydrogène pur (obtenu par
électrolyse), se sont développées des PaC fonctionnant avec de
l'hydrogène produit par reformage d'hydrocarbures (essence, gaz
naturel, éthanol), mais également à partir de méthanol provenant de la
biomasse et du gaz carbonique.
Cet élargissement du spectre des
combustibles diminue certes la "propreté" du procédé, en réintroduisant
des émissions de carbone, mais sans commune mesure toutefois avec les
nuisances des moteurs à combustion interne. En revanche, le reformage a
considérablement accru l'intérêt des piles à combustible en autorisant
des processus de production d'hydrogène largement répandus et maîtrisés
sur le plan industriel.
• Une famille nombreuse
Par
ailleurs, la diversification porte sur les types d'électrolyte à
travers lesquels transitent les ions H+ ou O- en fonction du type de
PaC. On trouve ainsi des piles à potasse alcaline (développées
principalement dans le secteur spatial), à l'acide phosphorique
(technologie la plus "mature" à l'heure actuelle, mais limitée dans ses
applications), à membrane polymère, à carbonates fondus, à oxyde
solide. Chaque catégorie présente des propriétés spécifiques du point
de vue de l'alimentation en combustible, des températures de
fonctionnement et des applications en découlant.
Les progrès les
plus prometteurs – sur lesquels se sont concentrés les programmes
européens – concernent d'abord la famille des membranes polymères (dite
PEMFC*). Ce type de PaC peut être alimenté à l'hydrogène pur ou
reformé, avec des températures de fonctionnement comprises entre 80°C
et 100°C. Il équipe en particulier les principaux prototypes
automobiles attendus prochainement sur le marché ainsi que des
applications stationnaires de petite puissance, notamment dans le
secteur résidentiel.
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Une
seconde catégorie de piles à membrane polymère, dont le combustible est
le méthanol (DMFC*), intéresse plus particulièrement les applications
"portables" de faible puissance (téléphonie mobile, informatique,
etc.). Son développement se heurte cependant, à l'heure actuelle, à un
certain nombre d'obstacles technologiques.
Fonctionnant à des
températures beaucoup plus élevées (600 à 1 000°C), les PaC à carbonate
(MCFC*) et à oxyde solide (SOFC*) sont en compétition pour le
développement d'unités de forte puissance permettant la cogénération
d'électricité et de chaleur, ainsi que pour des applications maritimes.
Elles présentent des rendements élevés et peuvent être alimentées avec
des combustibles variés – méthane, méthanol, biogaz, charbon gazéifié.
* Lexique des sigles de Piles à combustible (Fuel Cell - FC) - AFC (Alkalin) : Alcaline (surtout dans le créneau spatial) - PEMFC (Polymer Exchange Membran) : à membrane polymère échangeuse de protons - DMFC (Direct Methanol): au méthanol direct - PAFC (Phosphoric Acid): à l'acide phosphorique - MCFC (Molten Carbonate) : à carbonates fondus - SOFC (Solid Oxyd) : à oxyde solide
• Recherches européennes en crescendo L'Europe s'est
investie de plus en plus substantiellement dans l'enjeu des piles à
combustible depuis une dizaine d'années. Au niveau de l'Union, de
nombreux projets de R&D et de démonstration leur ont été consacrés
dans le quatrième programme-cadre (1994-1998), appuyés par une aide
financière de 54 millions €. Cette impulsion s'est poursuivie dans le
programme suivant (1998-2002) où quelque 150 millions € ont été
apportés en soutien à quelque 70 projets consacrés aux PaC et à
l'hydrogène. La plupart des projets sur les PaC étaient spécifiquement
ciblés sur la technologie des électrolytes à membrane polymère,
actuellement la plus prometteuse en termes de marché. L'enjeu est
notamment de mettre au point des piles à membrane (PEMFC et DMFC)
fonctionnant à des températures plus élevées (de 80 à 180°C) que les
PaC développées jusqu'ici, ce qui en améliorerait les performances tout
en en diminuant le coût.
Le Projet Fuero |
L'Heure H2
Production-Stockage-Distribution.
Telle est la filière infrastructurelle qui doit être créée pour que
fonctionne la nouvelle économie de l'hydrogène. Tout comme pour les
piles à combustible, ce triple champ de recherche est un chantier
prioritaire pour l'Europe de l'énergie.
Comment produire
l'hydrogène dont les piles à combustible (PaC)ont besoin pour
fonctionner ? Dans un futur plus ou moins proche, deux larges avenues –
l'électrolyse et le reformage des hydrocarbures(1) – sont plus
directement disponibles. Les expertises industrielles acquises dans ces
domaines demandent cependant des adaptations technologiques et
commerciales à l'heure des piles à combustible.
• L'œuf et la poule de l'électrolyse
A
moyen et long termes, l'hypothèse idéale – car la plus écologique et
donnant un hydrogène particulièrement pur – serait celle de
l'électrolyse de l'eau. Techniquement, ce procédé est parfaitement
maîtrisé et il est utilisé sans problème dans un certain nombre
d'applications industrielles. Onéreuse, en raison de son coût et de la
consommation d'électricité entraînée, l'électrolyse est cependant très
rarement retenue pour obtenir des quantités importantes d'hydrogène.
Dans
le cadre de l'économie de l'hydrogène, le recours à l'électrolyse
rappelle le problème de l'œuf et de la poule. Il serait absurde de
produire de l'hydrogène à des fins non polluantes en utilisant de
l'électricité provenant de centrales thermiques qui le sont. Ce mode de
production ne peut donc prendre son sens que s'il s'appuie sur une
offre d'énergies renouvelables à des prix compétitifs. Or celles-ci se
développent lentement et doivent encore prouver qu'elles peuvent
répondre à une demande (future) pour l'alimentation du marché PaC.
Ainsi deux unités-pilotes d'électrolyse alimentées par des générateurs
éoliens sont actuellement développées, en Grèce et aux Canaries, dans
le cadre du projet européen RES2H2. Il s'agit de démontrer en vraie
grandeur une capacité fiable de production d'hydrogène. Ce test aura
une valeur significative pour cette ressource dont le potentiel s'avère
stratégique sur toute la façade maritime méridionale de l'Europe.
• Le reformage, meilleur candidat immédiat
La
voie la plus courante repose actuellement sur l'extraction de
l'hydrogène des ressources fossiles, plus spécifiquement des
hydrocarbures. Compte tenu de l'importance de ceux-ci dans toutes les
filières de distribution de l'énergie, c'est ce dernier choix qui
s'impose le plus clairement pour l'avènement à court et moyen terme des
PaC.
L'opération se pratique surtout par diverses techniques de
reformage. Le mélange du carburant (principalement le gaz naturel,
ressource fossile la moins polluante) avec de la vapeur d'eau, en
présence de catalyseurs appropriés et à haute température, donne de
l'hydrogène et du dioxyde de carbone. Il existe aussi des procédés par
oxydation. Cette production s'accompagne de différents modes de
purification portant sur la désulfuration, l'élimination de la teneur
en CO, etc.
Le reformage est principalement exploité à grande
échelle pour les besoins de l'industrie chimique, en particulier pour
la synthèse d'ammoniac qui représente actuellement près de la moitié de
la demande mondiale en hydrogène. L'application de cette technologie à
l'alimentation spécifique des piles à combustible pose donc avant tout
un problème d'adaptation du processus à des dimensions nouvelles. Il
faut, en effet, concevoir des modes de reformage convenant à des
centrales à PaC conçues pour satisfaire des besoins régionaux ou
locaux. Le but étant de supprimer les émissions de gaz à effet de serre
et autres dérivés polluants, un aspect important est la séquestration
des rejets de CO2 et les opérations de purification de l'hydrogène
produit par le gaz naturel (ou d'autres hydrocarbures comme le
méthanol, le méthane, le naphta, etc.). Plus complexe encore est la
mise au point de reformeurs de très petite taille, adjoints à des PaC
et placés sur des véhicules qui seraient alors alimentés "à la pompe"
par ces divers carburants.
• Les promesses du végétal et du vivant
A
un horizon plus lointain, le monde végétal, qui constitue un
gigantesque réservoir d'énergie solaire captée par la photosynthèse,
représente une source potentielle importante de production d'hydrogène.
La gazéification de la biomasse permet, en effet, de produire des
biocarburants. Si, au départ, la tendance est de les utiliser en tant
que tels dans les moteurs à combustion interne, on peut également les
reformer. Par voie thermochimique, la biomasse est, en outre, à même de
fournir directement de l'hydrogène à l'état gazeux. Les champs de
recherche sont donc larges et les perspectives demandent encore à être
validées, que ce soit en terme de rendement, de qualité, de
dimensionnement ou de coût. Ces perspectives interfèrent, d'autre part,
avec le devenir des activités agricoles et forestières. Près d'une
dizaine de projets européens du cinquième programme-cadre, pour
lesquels l'Union finance 50% d'un investissement global de 23 millions
€, sont lancés dans ce domaine. Plus futuriste est sans doute cette
autre voie de production biologique directe d'hydrogène à partir
d'algues microscopiques ou de bactéries. Des recherches récentes
montrent qu'au cours du processus photosynthétique de ces organismes,
un complexe système enzymatique, connu sous le nom d'hydrogénase, peut
favoriser la formation de molécules d'hydrogène dans certaines
conditions. On se situe ici dans un domaine éminemment potentiel, dont
la faisabilité et les applications concrètes restent encore floues.
• Stockage du volume
Si
l'hydrogène possède tous les atouts pour devenir un vecteur énergétique
clé, il nécessite de surmonter deux obstacles susceptibles de freiner
son utilisation. S'il est le plus léger des atomes existant, il est
aussi le plus volumineux dans son état gazeux à température et à
pression courantes. Sa capacité de libération d'énergie en fait, en
outre, un gaz particulièrement inflammable(2). Résoudre la très
complexe problématique de son stockage et de sa distribution dans des
conditions requises de volume et de sécurité – et le coût de ces
opérations – est donc un préalable à son utilisation. Autant que la
mise au point des piles à combustible, ces aspects forment certainement
le second "nœud" technologique conditionnant l'avènement de l'économie
de l'hydrogène.
Différentes
"solutions" existent à l'heure actuelle, mais elles sont loin d'assurer
des performances – technologiques ou économiques – satisfaisantes pour
une généralisation de l'entreposage et de la circulation de ce précieux
vecteur. Chacune de ces stratégies peut présenter des avantages
spécifiques mais elle doit être évaluée en fonction de la consommation
d'énergie qu'elle peut solliciter et – en particulier dans le cas des
applications de transports – de l'augmentation de poids qu'elle
entraîne.
• Compression-liquéfaction
La forme de
stockage la plus courante consiste à comprimer le gaz et à le confiner
dans des réservoirs sécurisés. Les pressions utilisées vont de 350 à
700 bars. Ce processus, largement expérimenté dans les utilisations
industrielles de l'hydrogène, nécessite une consommation d'énergie
équivalente à 10% de son pouvoir calorifique (PCI). Le stockage peut se
pratiquer dans des bouteilles de 10 litres et plus, et les réservoirs
fixes de taille moyenne (stations de distribution) atteignent 10 000
m3. Des volumes beaucoup plus importants sont emmagasinés de façon
souterraine.
Les enveloppes de confinement de l'hydrogène –
qu'il s'agisse des tanks, des réservoirs ou encore des pipe-lines
d'adduction – sont renforcées pour résister aux pressions. Elles
doivent être constituées de métal résistant à la corrosion (tel
l'aluminium renforcé par des fibres de carbone) et ne présentant aucune
possibilité d'infiltration par les atomes très léger de l'hydrogène.
Plusieurs
prototypes automobiles à PaC sont équipés de réservoirs à compression,
mais la faible densité volumétrique de l'hydrogène ainsi stocké
handicape leur autonomie. Des essais d'introduction de polymères visent
à réduire leur poids pour les véhicules. La résistance aux chocs et les
technologies d'adaptation des accessoires auxiliaires (valves,
détendeurs, etc.) font également l'objet de recherches.
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L'option du stockage solide de l'hydrogène
dans des nouveaux matériaux métalliques ou carbonés est l'un des sujets
clés pour l'avenir de cette filière énergétique. Dans la table
périodique ci-dessus, ce sont des alliages à base des éléments les plus
légers (en rouge) – en particulier des alliages de magnésium, nickel
et lithium, des composés à base d'aluminium (alanates) et de bore
(borohydride) – qui sont actuellement des candidats très étudiés. C'est
à eux que s'intéressent
les projets Fuchsia, Historhy et Hymosses dans le cinquième
programmecadre et le projet intégré Storhy dans le sixième.© |
Pour
contourner le handicap du volume du stockage et du danger
d'inflammabilité de l'hydrogène, celui-ci peut également être liquéfié,
mais cette transformation ne se réalise qu'à une température
particulièrement basse – de moins 253°C –ou encore moyennant des
pressions très élevées. De telles technologies cryogéniques sont
courantes dans l'industrie(3), mais elles posent un coût réel en termes
d'énergie (25 à 30% du PCI de l'hydrogène). Si le matériau des
réservoirs n'a pas les mêmes contraintes de résistance, il doit par
contre posséder des qualités d'isolation thermique (réservoirs à double
paroi). Les prototypes BMW, Opel et DaimlerChrysler sont ainsi dotés de
cette option par voie liquide. Des stations-services pilotes existent à
Munich, en Allemagne.
• Stockage solide, voie royale du futur
Par
rapport à ces technologies, la voie la plus prometteuse, qui serait
décisive pour l'essor des PaC dans le secteur des transports et des
applications portables, semble bien celle du stockage solide. Certains
nouveaux matériaux (composés d'alliages métalliques ou de nanotubes
carbonés) ont la capacité d'absorber, à des températures courantes, des
atomes d'hydrogène dans les espaces interstitiels de leur structure à
base métallique. Dans des conditions catalytiques appropriées et
moyennant un léger chauffage – de l'ordre de 80°C, qui pourrait être
obtenu par la chaleur même émise par la pile à combustible –, un
phénomène de désabsorption libère ensuite l'hydrogène et permettrait de
l'utiliser comme combustible.
De très sérieux espoirs résident
dans la mise au point de cette perspective technologique. "Le stockage
solide apporte une solution aux questions de sécurité posées par la
compression à l'état gazeux", souligne Jiri Muller, chercheur à
l'Institutt for Energiteknikk (IFE) de Kjneller (NO), participant au
projet StorHy. Doté d'un réacteur nucléaire permettant des analyses
très fines du positionnement des atomes d'hydrogène dans une vaste
gamme de complexes d'hydrures métalliques, cet organisme est au cœur de
nombreux travaux européens menés dans ce domaine. "A volume égal, on
pourrait arriver à des réservoirs ayant une capacité comparable à celle
du stockage de l'hydrogène sous forme liquide. En outre, l'accès au
réservoir, lorsque vous l'ouvrez pour le remplir, ne poserait pas de
problème d'étanchéité. Le défi est aussi d'arriver à des solutions
réunissant les performances optimales en termes de stabilité, de
réversibilité aisée du stockage, de poids du réservoir et, bien
entendu, de coût."
(1)
Parallèlement au reformage, un autre mode de production d'hydrogène est
la gazéification par combustion partielle de ressources fossiles
(charbon et hydrocarbures lourds). Mais, à nouveau, ces technologies ne
sont appliquées qu'à des échelles très importantes et entraînent de
coûteuses opérations de purification. La recherche sur des dispositifs
de faibles capacités ne permet pas d'entrevoir, pour l'instant, de
perspectives rapprochées de faisabilité.
(2) Très volatil, l'hydrogène gazeux se disperse toutefois rapidement dans l'atmosphère – ce qui compense un peu sa dangerosité.
(3) Les leaders en Europe sont notamment Air Liquide (FR), Linde Gas (DE), Air Products (UK), etc.
• Nucléaire, solaire thermique et hydrogène
N'émettant
pas de CO2, les centrales nucléaires sont sur les rangs pour fournir
l'électricité nécessaire à l'électrolyse de l'eau – en particulier pour
leur production en heures creuses – au même titre que les énergies
renouvelables. Cependant, l'hydrogène peut être aussi extrait de l'eau
par une autre voie, dite thermochimique : à des températures
supérieures à 1 000°C, la molécule d'eau peut se scinder par “craquage”
sous l'effet de la chaleur.
A cet égard, dans les projets
actuels portant sur de futures centrales de quatrième génération à
haute température, l'industrie nucléaire produirait à la fois de
l'électricité et de la chaleur. L'application la plus souvent citée
pour l'utilisation de cette dernière est le dessalement de l'eau de
mer, mais cette ressource pourrait également entrer dans la filière de
production d'hydrogène.
Une autre voie intéressante de
production intensive de chaleur est le secteur de l'énergie solaire
thermique. Le projet européen Heliosol – composé de quatre partenaires
grec, anglais, allemand et danois – étudie les procédés catalytiques
complexes qui pourraient rendre cette approche intéressante...
Août 2008
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