De l'hydrogène pour stocker les énergies alternatives
Par Marie-Neige Cordonnier 




Tributaires des conditions météorologiques, les sources alternatives d'énergie comme les panneaux photovoltaïques ou les éoliennes ne seront performantes que lorsque l'on maîtrisera à grande échelle le stockage de l'énergie et sa libération à la demande. Depuis quelques années, la pile à combustible réversible à membrane échangeuse de protons offre une telle maîtrise à petite échelle. Via l'électrolyse de l'eau, elle transforme en hydrogène l'énergie véhiculée sous la forme d'un courant électrique ; l'hydrogène est alors stocké sous forme de gaz ou d'hydrure dans un réservoir ; en cas de besoin énergétique, il est réacheminé vers la pile, qui effectue la réaction inverse – c'est-à-dire qui oxyde l'hydrogène –, libérant l'énergie contenue dans les molécules d'hydrogène. Toutefois, à cause de la forte acidité du milieu (nécessaire pour le fonctionnement de la membrane échangeuse de protons), ces réactions ne peuvent être catalysées qu'au platine – un matériau rare, donc coûteux et inenvisageable pour un développement à grande échelle.

Des chercheurs du Laboratoire de chimie et biologie des métaux (CEA-CNRS-Université Joseph Fourier), au CEA de Grenoble, et de l'Institut rayonnement-matière (Iramis) du CEA de Saclay, ont mis au point un dispositif qui permet de s'affranchir du platine. Il est inspiré des propriétés d'une famille d'enzymes, les hydrogénases, produites par certains micro-organismes. Les hydrogénases permettent par exemple à des bactéries des fonds océaniques de récupérer de l'énergie en captant l'hydrogène des remontées de gaz ; à l'inverse, des micro-algues et des bactéries photosynthétiques les utilisent pour relarguer sous forme d'hydrogène le surplus d'énergie récupéré par trop d'ensoleillement. En d'autres termes, ces enzymes jouent le même rôle que le platine dans les piles à combustible réversibles, avec une efficacité comparable. Seul problème : elles sont très sensibles à l'oxygène et difficiles à produire en grande quantité.



Pour pallier ces difficultés, les chercheurs de Grenoble et de Saclay ont construit une électrode en greffant une molécule synthétique de type bisdiphosphine de nickel, qui mime la région catalytique des hydrogénases, à des nanotubes de carbone immobilisés sur un support solide. Par leur géométrie, ces nanotubes offrent une vaste surface pour greffer une grande quantité de molécules ; très bons conducteurs électriques, ils facilitent en outre l'acheminement des électrons, produits par la source d'énergie, vers le site actif du catalyseur.

Testée dans des conditions mimant celles d'une pile à combustible réversible, cette électrode fournit des résultats encourageants, tant pour la production d'hydrogène que pour sa reconversion en eau : si la puissance obtenue en sortie est encore 50 à 100 fois plus faible que celle du dispositif catalysé au platine, les progrès techniques devraient faire gagner un ordre de grandeur d'ici quelques années, espère Vincent Artero, l'initiateur du projet. De surcroît, l'électrode bio-inspirée satisfait aux critères de développement à grande échelle : le catalyseur est stable et à base de nickel, un métal abondant et donc bon marché.

Tiendrait-on la solution du stockage à la demande des énergies alternatives ? Peut-être, mais plusieurs étapes restent à franchir. Notamment, il s'agit d'intégrer ce matériau dans une pile à combustible réversible. Si l'électrode à hydrogène bio-inspirée a toutes les chances de fonctionner, l'autre électrode, à oxygène, pose problème : des solutions permettent de s'affranchir du platine à son niveau aussi, mais aucune ne fournit une réaction réversible. Les chercheurs français travaillent actuellement sur ce point, en collaboration avec le laboratoire LITEN du CEA, spécialisé dans les énergies nouvelles et les nanomatériaux.

Le rendement est aussi à l'étude, d'une part, via la modélisation théorique de la réponse électrochimique du matériau en fonction de sa structure ; d'autre part, via l'intégration, dans le dispositif, d'une molécule photosensible. En 2008, le même laboratoire avait développé un système de stockage d'hydrogène inspiré d'organismes photosynthétiques tels que les algues vertes ou les cyanobactéries, qui produisent de l'hydrogène à partir de lumière. Ils avaient ainsi synthétisé un photocatalyseur à base de cobalt qui leur avait permis de produire de l'hydrogène à partir d'énergie lumineuse. Toutefois, le catalyseur était en solution et non en interaction avec une électrode. L'idée est donc de greffer le catalyseur à cobalt sur une surface solide selon la méthode mise au point pour le catalyseur à nickel et de le combiner avec une molécule photosensible pour fabriquer une électrode permettant de produire de l'hydrogène grâce à la lumière du soleil.
Restera, enfin, à convaincre les industriels des avantages de cette nouvelle technologie…

Février 2010

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