Les leçons de Fukushima Par Didier Kechemair, consultant indépendant
Le
nombre des victimes des catastrophes naturelles du 11 mars au Japon
dépassera 20 000 morts ou disparus. C'est un drame humain, avant tout.
Sur les quatre centrales nucléaires affectées, onze réacteurs ont été
automatiquement arrêtés, un risque d'explosion du type Tchernobyl était
dès lors évité. Tous les bâtiments ont résisté. A Fukushima-Dai-Ichi,
l'enchaînement des événements a conduit à un accident grave, de niveau
6 sur l'échelle INES (échelle internationale des événements
nucléaires). Il semble que la situation soit stabilisée grâce au
travail et au courage physique des ingénieurs, techniciens, pompiers
sur place.
Lorsque la situation de crise sera dépassée,
ce qui n'est pas le cas, le retour d'expérience sera un élément majeur
pour fournir des données factuelles.
La nature des moyens qui
ont permis de maîtriser la situation (camions de pompiers, hélicoptères
militaires, pompe à béton) montre que la sécurité des
infrastructures critiques doit bien relever du niveau des Etats.
Le rôle des exercices de crise en vraie grandeur, impliquant la
population, se verra sans doute renforcé.
Pour le parc en
exploitation, des revues de sûreté ont été demandées après le 11 mars
dans plusieurs pays, dont la France. De telles revues sont conduites
par EDF après une canicule ou une tempête. La standardisation du parc
permet de valoriser les enseignements tirés. Le dialogue entre les
autorités de sûreté nationales et les exploitants pour la
prolongation des licences tiendra également compte de l'accident :
Fukushima 1, réacteur à eau bouillante mis en service en mars 1971
(modèle de General Electric) venait de recevoir sa prolongation de
licence pour dix ans. Pour les nouvelles constructions, l'accident du
Japon aura un impact sur les coûts du génie civil. Faudra-t-il par
exemple s'éloigner du bord de mer malgré la longueur des
canalisations à creuser ?
En
France, scientifiques, responsables publics et industriels se sont
mobilisés dans les médias ; les sites Internet institutionnels et
indépendants ont fourni des bulletins réguliers d'information en
fonction des données communiquées par les responsables japonais. Cette
gestion de la communication constitue en soi un enseignement.
MUTUALISER
L'accident de Fukushima souligne par ailleurs la nécessité de renforcer la coopération internationale.
Des
programmes de R&D concernant la sûreté pourront être plus ouverts
encore à l'international : résistance aux séismes sur des
installations comme Tamaris (European Facility for Advanced Seismic
Testing) ; comportement des matériaux de cœur fondu (corium) et
leur interaction avec les bétons, étudiés avec l'Institut de
radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur les installations du
Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Il serait aussi possible de mutualiser des moyens d'intervention entre
pays à une échelle régionale à l'image du Groupe d'intervention
robotique sur accidents (INTRA) en France. L'envoi de ces robots conçus
pour résister aux radiations a été proposé aux autorités japonaises.
Les
échanges entre autorités de sûreté nationales seront à renforcer, ce
qui exigera des moyens. Le Multinational Design Evaluation Program
(MDEP) vise déjà à mutualiser leurs ressources pour l'évaluation de
nouveaux réacteurs.
La
croissance de la demande énergétique mondiale est un fait ; 1,6
milliards d'habitants n'ont pas accès à l'électricité. A côté d'efforts
accrus pour les économies d'énergie et les énergies renouvelables, le
nucléaire apporte 16 % de la production d'électricité mondiale
quasiment sans émissions de gaz à effet de serre. Plus de 60 pays ont
exprimé à l'Agence internationale de l'énergie atomique (IAEA) leur
intérêt pour le nucléaire. Développer le nucléaire civil représente une
opportunité et une responsabilité. Les événements de Fukushima-Dai-Ichi
le confirment : la sûreté doit être la priorité absolue.
Avec
humilité, admettons que le risque zéro n'existe pas, que le nucléaire
n'est en aucun cas la seule option, ni une option pertinente partout.
Dans ce domaine, aller trop vite trop loin serait sans nul doute
irresponsable. La confiance, la culture de sûreté et de progrès
continu, nécessaires pour que le nucléaire trouve sa place dans un "mix
énergétique" mondial durable, se construiront dans la clarté et la
durée. Nul dogme dans cette conviction. La science et les technologies
ouvrent aujourd'hui des débats "incertains" : biologie, climat,
énergies. Acceptons-les, gardons confiance en notre capacité
d'apprendre et dans celle des générations futures.
Mars 2011
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