Hydrogène, gaz départ Par CATHERINE BERNARD
ENQUÊTE
Propre, en quantité illimitée… Le H2 pourrait être la solution miracle
pour les piles des voitures électriques. S’il peine à
convaincre les constructeurs, il s’apprête en revanche à entrer
dans les maisons.
L’hydrogène
? On le croyait rangé au rayon des fausses bonnes idées, de ces projets
si révolutionnaires qu’ils ne voient finalement jamais le jour : trop
délicats à mettre en œuvre, trop coûteux ou trop dérangeants. Mais
après des années de purgatoire, voilà que ce gaz, le plus léger du
monde, revient dans l’actualité : fin janvier, Daimler, Ford,
l’alliance Renault-Nissan, BMW et Toyota confirmaient, coup sur coup,
leur intention de mettre sur le marché avant 2020 des véhicules à
hydrogène en grande série. Mais ce n’est pas tout : l’hydrogène fait
aussi tourner les têtes dans le petit monde de l’énergie, qui le
verrait bien jouer un rôle crucial dans la future transition
énergétique.
Une énergie miracle ?
Découvert par l’anglais Cavendish (et baptisé par Lavoisier),
l’hydrogène est un gaz qui fait rêver depuis des décennies. Primo, il
est très énergétique : un kilo d’hydrogène - ou, plus précisément, de
dihydrogène (H2) - libère trois fois plus d’énergie qu’un kilo
d’essence. D’où son utilisation pour propulser les fusées spatiales.
Secundo, la ressource est quasi infinie. Si l’hydrogène n’existe
quasiment pas à l’état pur, on en trouve partout. Dans l’eau (H2O),
dans les hydrocarbures, dans les organismes vivants. Et, tertio,
combiné à l’oxygène dans une pile à combustible (PAC), il peut produire
électricité, chaleur et eau. Sans dégager, donc, la moindre émission
polluante. En théorie, le H2 a donc tout pour faire rêver une
société désormais contrainte d’appauvrir drastiquement son régime en
pétrole et émissions de CO2. Las. A l’ériger, dès les
années 80, en solution miracle pour l’automobile, sans doute
a-t-on hissé la barre trop haut, trop tôt.
L’auto cale sur la pile à combustible
«L’automobile est sans doute l’objectif le plus exigeant pour
l’utilisation de l’hydrogène», confirme François Le Naour, responsable
du programme biomasse et hydrogène au CEA-Liten à Grenoble. L’hydrogène
peut servir de carburant à un moteur thermique. Quelques constructeurs
ont sorti des prototypes, comme BMW (avec son Hydrogen 7) et Ford
(Focus C-Max Hydrogen). Mais les constructeurs pensent surtout à la
pile à combustible. Sur le papier, c’est la batterie du futur pour la
voiture électrique. Puissante et parfaitement propre, elle produit de
l’électricité avec un fort rendement (grâce à un procédé complexe
d’oxydation de l’hydrogène) et ne rejette que de la vapeur d’eau.
Mais, à ce jour, aucun constructeur n’utilise cette technologie alors
que l’invention de la pile à combustible (par le chimiste britannique
William Grove) remonte… à 1839. Le coût des piles carburant à
l’hydrogène est en effet prohibitif en raison de l’utilisation d’un
métal rare dans leur fabrication : le platine.
Deuxième verrou : l’hydrogène est si léger que le réservoir occupe
énormément de volume. Pour le faire tenir dans un véhicule, il est
indispensable de le comprimer. Actuellement, l’industrie s’oriente vers
des réservoirs à 700 bars : «Un plein [soit 5 kilos d’hydrogène
pour 500 km d’autonomie, ndlr] et son réservoir occuperaient alors un
volume d’environ 120 litres», estime Patrick Maio, fondateur
d’Hinicio, conseil en stratégie dans les énergies et les transports
durables. Mais à ce niveau de pression, les composants restent chers
pour assurer une sécurité parfaite. Car l’hydrogène est hautement
inflammable… Résultat : impossible pour l’heure de produire des
voitures embarquant une pile à combustible à un prix commercialement
acceptable.
Empêtrés dans la crise, les constructeurs ne se précipitent pas sur
l’hydrogène. PSA, qui a longtemps travaillé sur le sujet avec le CEA,
reconnaît «ne pas avoir de projet de PAC en développement, en vue d’une
application dans un véhicule en série». Et si Renault-Nissan travaille
sur le sujet, le japonais semble le plus impliqué avec son
démonstrateur X-Trail FCV (pour Fuel Cell Vehicle). «Les constructeurs
allemands, japonais et coréens sont les plus avancés», confirme Patrick
Maio, pour qui «l’hydrogène concernera dans un premier temps des
berlines plutôt haut de gamme». Monsieur Tout-le-Monde, lui, attendra.
Pas de station H2
De toute façon, faire son plein d’hydrogène n’est pour l’instant pas
chose aisée. On dénombre seulement 200 stations dans le monde,
essentiellement en Californie, au Japon, en Allemagne et… en Norvège.
Mais le Royaume-Uni et l’Allemagne, qui font rouler des bus à hydrogène
dans les grandes villes, ont d’ambitieux programmes baptisés
H2Mobility. «La tâche n’est pas si énorme», veut croire Pierre-Etienne
Franc, responsable des technologies du futur à Air liquide. Le groupe
français, qui est l’un des premiers producteurs mondiaux d’hydrogène, a
déjà installé une soixantaine de stations dans le monde. Selon lui, un
millier de points de distribution suffirait à couvrir l’Hexagone,
chaque station coûtant un million d’euros. Pas si cher, donc… sauf
si la pompe ne voit passer qu’un ou deux véhicules par jour. Il s’agira
aussi de verdir sensiblement le bilan carbone de l’hydrogène.
Pas si vert que ça
Si une PAC n’émet aucun polluant, l’hydrogène, lui, est produit
aujourd’hui essentiellement à partir… d’hydrocarbures. Pour fabriquer
du H2, Air liquide et ses concurrents (l’allemand Linde,
l’américain Praxair…) pratiquent le «vaporeformage» du gaz naturel :
ils séparent l’hydrogène des molécules carbonées grâce à une vapeur
d’eau très chaude. L’opération est très émettrice de CO2. Et les
principaux clients pour ce gaz sont la pétrochimie, la sidérurgie ou
l’électronique… De quoi faire hurler Greenpeace. Dans ces conditions,
et puisqu’il faudrait bien transporter l’hydrogène par camion vers les
stations services, une voiture à PAC émettrait de 120 à 130 g de
CO2 au kilomètre, d’après une étude du cabinet américain McKinsey. Soit
l’équivalent d’une voiture classique ! Patrick Maio a une solution :
«Pourquoi ne pas, tout simplement, récupérer l’hydrogène aujourd’hui
relâché dans l’atmosphère sans aucune valorisation ?» Cet hydrogène
«fatal», émis notamment par la pétrochimie, suffirait selon lui à
remplir le réservoir des voitures à PAC dans une période de transition.
Mais, à terme, on devrait aller chercher l’hydrogène là où il est
présent en quantité quasi illimitée : dans l’eau ! La technologie
existe : l’électrolyse. On décompose l’eau en hydrogène et en oxygène
grâce au courant électrique. Las, le procédé reste un peu cher - entre
5 et 10 euros du kilo d’H2, contre 2 environ pour le
vaporeformage. Mais les coûts devraient baisser et l’opération n’émet
aucun polluant. A condition, bien sûr, d’utiliser une électricité
sans CO2 à un coût abordable. En France, on penserait
immédiatement nucléaire… En Allemagne ou au Danemark, on se tourne vers
l’énergie éolienne. Le potentiel est important : «On estime qu’en
Allemagne, environ 400 GWh d’électricité éolienne se perdent faute de
pouvoir être stockés», affirme Jean-Paul Reich, directeur scientifique
à la recherche et innovation de GDF Suez.
De nouveaux usages gonflés
Alors que faire de l’hydrogène dans l’immédiat ? «Partons de
l’existant», lance Jean-Paul Reich. Pour GDF Suez, l’existant, ce sont
ses milliers de kilomètres de gazoducs : rien n’empêche d’y injecter un
peu d’hydrogène pour livrer plus de gaz naturel. Jadis, le gaz de ville
comportait du reste une grande proportion d’H2. «Cela diminuerait
l’empreinte carbone du gaz naturel», assure Jean-Paul Reich. Mais GDF
Suez voit plus loin : à terme, les industriels émettant du CO2
devront le «capturer» en sortie de cheminée pour éviter qu’il continue
à accélérer le réchauffement climatique. Les énergéticiens pourraient
alors mélanger ce CO2 avec de l’hydrogène pour fabriquer du
méthane de synthèse qui circulerait dans les gazoducs en lieu et place
du gaz naturel. Une façon de recycler le CO2 tout en économisant
un gaz naturel qui va devenir plus rare. Cette perspective pourrait
devenir réalité aux environs de 2025.
L’utilisation de l’hydrogène devient en tout cas un sujet de recherches
très couru : Hinicio participe ainsi au programme HyUnder, qui évalue
la possibilité de stocker de l’hydrogène produit avec des énergies
renouvelables dans d’anciennes salines. Quitte, ensuite, à le
transporter pour approvisionner des stations-service, ou à le
retransformer en électricité en cas de pic de consommation.
Telle est d’ailleurs la stratégie de la plateforme expérimentale Myrte,
en Corse : ici, la production électrique d’un champ photovoltaïque est
convertie en hydrogène pendant les heures de faible consommation, puis
restituée au réseau électrique lorsqu’il en a besoin. La start-up
française WH2 compte bien, elle aussi, installer des électrolyseurs
chez les petits producteurs d’électricité renouvelable - comme
l’hydraulique au fil de l’eau - pour produire de l’hydrogène qui serait
ensuite revendu. Problème : «Chaque installation est considérée comme
relevant de la réglementation des sites classés, et nécessite une
autorisation qui prend facilement un an et demi», explique le PDG,
Pierre Picard.
De la niche à la maison
En attendant, l’hydrogène fait son trou dans des marchés de niches :
«La pile à combustible peut remplacer les groupes diesel dans des
petits usages stationnaires», constate Pierre-Etienne Franc, d’Air
liquide. Elle alimente ainsi déjà des antennes relais de réseaux
mobiles et certains centres informatiques. Aux Etats-Unis, les PAC
s’invitent désormais dans les grands centres logistiques, de Wal-Mart à
Coca-Cola, qui en équipent leurs chariots élévateurs, remplaçant les
batteries rechargeables. L’investissement est un peu plus élevé, mais
le plein se fait en quelques instants. Et les entreprises s’offrent au
passage un peu de greenwashing. Du coup, le marché devrait survivre à
la fin des aides publiques, en 2014. «Nous avons déjà sept projets
en Europe», assure Pierre-Etienne Franc, qui attend cependant les
autorisations réglementaires.
L’hydrogène pourrait aussi faire son entrée dans les maisons. Au Japon,
Panasonic et Hitachi ont vendu une vingtaine de milliers de piles à
combustible domestiques produisant électricité, eau chaude et
chauffage. «En Europe, les ménages consomment plus d’électricité,
explique Jean-Paul Reich, ce qui suppose d’utiliser un autre type de
piles à combustible - dites à haute température. Mais celles-ci
commencent tout juste à émerger sur le marché.»
A quand le décollage ?
Malgré tous ces freins, l’hydrogène fait toujours rêver. Mais la
filière française reste encore émergente. L’Hexagone est présent dans
la recherche - via le CEA et le CNRS -, et dans la fabrication, le
transport et la distribution, avec Air liquide. Le secteur compte aussi
des PME dynamiques, dont Sagim et CETH2 sur l’électrolyse, Axane
(filiale d’Air liquide) et Helion (filiale d’Areva) sur la pile à
combustible. La start-up SymbioFcell se positionne sur les piles
destinées aux engins spéciaux et aux véhicules légers. Et McPhy a
développé une méthode innovante de stockage de l’hydrogène dans des
hydrures.
Mais tous ces acteurs souffrent du manque d’enthousiasme des
constructeurs automobiles. Et du manque de volonté politique
: pour l’heure, l’hydrogène n’a pas été retenu comme une priorité
dans l’agenda énergétique français.
Catherine Bernard
10 Mars 2013
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