Pourquoi l'hydrogène revient dans la course
Par Franck Niedercorn
La
promesse d'une énergie propre et abondante ne s'est pas encore
concrétisée. Mais l'automobile commence à y croire, et l'hydrogène
serait très pertinent pour le stockage.
C'était
l'un des matchs du dernier Salon automobile de Tokyo : la voiture
électrique contre celle à hydrogène. Toyota, pionnier des véhicules
verts avec sa Prius, présentait son prototype à hydrogène, FCV, qu'il
estime pouvoir lancer d'ici à deux ans. La plupart des autres grands
constructeurs, à l'exception de Renault et de PSA, sont dans les
starting-blocks. Certains sont même déjà partis, comme Honda, avec la
FCX Clarity, ou Huyndai. Les premières voitures roulant à l'hydrogène
immatriculées en France sont d'ailleurs coréennes : elles ont été
acquises le mois dernier par Air Liquide.
Dans ce face-à-face, la voiture à hydrogène a de sérieux atouts :
une autonomie d'au moins 600 kilomètres et un passage à la pompe
aussi rapide qu'avec une auto à essence. Encore faut-il, justement,
accéder à une station fournissant de l'hydrogène. Ce fut longtemps le
problème. L'Allemagne, qui possède déjà une quinzaine de stations, doit
se doter d'un réseau de 400 points de distribution à l'horizon
2023, dont une centaine d'ici à quatre ans. Ce projet, intitulé
« H2 Mobility », associe 6 acteurs, dont Air Liquide, et
va mobiliser 350 millions d'euros. Le Japon prévoit lui aussi de
s'équiper d'une centaine de stations dès 2015.
L'hydrogène sera-t-il pour autant le carburant du
XXIe siècle ? Est-ce l'avènement de l'économie de
l'hydrogène, annoncée par l'économiste américain Jeremy Rifkin en
2002 ? « Les briques technologiques sont désormais
disponibles », affirme François Le Naour, responsable du
département biomasse énergie au Liten, un laboratoire du CEA. Certes,
ce gaz a un potentiel énergétique extraordinaire. La rupture de la
liaison entre les deux atomes d'hydrogène libère beaucoup d'énergie et
permet de produire de l'électricité grâce à une pile à combustible.
Inventée dès le XIXe siècle, elle a d'abord été utilisée par des
programmes spatiaux, puis pour une série d'applications de niche,
depuis l'alimentation de sites isolés jusqu'à certaines applications de
mobilité comme les chariots élévateurs. On reste pourtant loin des
promesses initiales. « En 2005, on nous prédisait déjà l'arrivée
de milliers de véhicules. J'ai donc des doutes », explique Silvana
Mima, ingénieur de recherche au CNRS spécialiste de la prospective
économique dans le domaine de l'énergie.
Un autre phénomène joue pourtant en faveur de l'hydrogène : le
déploiement massif des énergies renouvelables. En effet, l'éolien et le
solaire photovoltaïque fournissent une énergie certes propre, mais
décentralisée, intermittente et imprévisible. « Dès que la part
des énergies renouvelables dépasse un certain seuil (par exemple
20 %), qui dépend du mix énergétique et notamment de sa
flexibilité, la situation devient critique du fait des périodes de
surproduction qui se multiplient et s'allongent », estime Marc
Florette, directeur recherche et innovation de GDF Suez. C'est là
qu'intervient l'hydrogène, en raison de sa forte densité énergétique
(lire ci-contre). Plutôt que d'arrêter les éoliennes ou « de
revendre cette électricité à perte », explique Thierry Alleau,
président d'honneur de l'Association française pour l'hydrogène et les
piles à combustible (Afhypac), cette énergie serait consacrée à
produire de l'hydrogène par électrolyse.
Le principe est déjà testé en Corse depuis début 2012, avec le
démonstrateur Myrte, qui associe Helion (groupe Areva), le CEA et
l'université de Corse. Le courant d'une centrale solaire de 500 kW
est transformé en hydrogène par un électrolyseur, puis stocké.
L'énergie est ensuite restituée via une pile à combustible pendant les
heures de forte consommation. Areva va, lui, fournir un équipement
similaire à la petite ville de La Croix-Valmer (Var), qui, l'été, fait
face à des pics de consommation. « L'installation servira à
compenser une baisse de production ou à prendre le relais du réseau
électrique de la commune en cas de coupure », précise
Louis-François Durret, directeur du « business group »
énergies renouvelables chez Areva.
Il reste pourtant à accomplir de gros progrès techniques. D'abord sur
les électrolyseurs, qui permettent de fabriquer l'hydrogène avec
l'électricité. La technologie alcaline, la plus connue et bien
maîtrisée, « apporte trop peu de souplesse pour être compatible
avec les énergies renouvelables », estime Vincent Artero, qui
dirige un groupe du laboratoire de chimie et biologie des métaux dans
une unité mixte CEA-CNRS-université de Grenoble. Plus performant,
l'électrolyseur à membrane est, lui, handicapé par le coût du platine
indispensable à sa fabrication. Il faudra peut-être attendre la
technologie suivante, utilisant la haute température, pour laquelle
« nous avons l'espoir d'arriver à une solution industrielle
entre 2017 et 2020 », assure François Le Naour.
A plus long terme, la recherche réserve encore sans doute des
surprises, par exemple avec la photosynthèse artificielle. L'intérêt
serait d'éviter l'utilisation de métaux nobles comme le platine au
profit de métaux plus ordinaires comme le nickel, en concevant des
catalyseurs dont le fonctionnement s'inspire de la nature. « On
parle de photosynthèse artificielle, car on convertirait l'énergie
solaire en hydrogène avec une seule cellule plus efficace que
l'association des panneaux solaires et la pile à combustible. C'est
évidemment de la recherche fondamentale », explique Vincent Artero.
Pour Patrice Geoffron, professeur d'économie à Dauphine et directeur du
Centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières,
l'hydrogène a encore une longue route à parcourir :
« L'hydrogène jouera probablement un rôle significatif après 2030
ou 2040, mais cette filière et ses différents usages ne sont pas de
nature à modifier la donne pendant les deux décennies critiques (2020,
2030) durant lesquelles il faut amorcer la transition énergétique en
commençant à inverser la courbe des émissions de gaz à effet de
serre. »
Frank Niedercorn
Comment ça marche
L'atome d'hydrogène est très abondant sur Terre (on le trouve notamment
dans l'eau ou les hydrocarbures), mais il n'existe pas sous forme
gazeuse (dihydrogène, H2).
L'hydrogène se caractérise par une densité énergétique très
élevée : 140 mégajoules par kilogramme. C'est quasi trois
fois plus que le pétrole et 200 fois plus qu'une batterie lithium.
L'essentiel de l'hydrogène est aujourd'hui fabriqué à partir d'hydrocarbures, avec de multiples procédés.
On peut également le produire à partir de l'électrolyse, une réaction
chimique qui transforme l'eau (H2O) en hydrogène et en oxygène gazeux
grâce à l'énergie électrique.
La pile à combustible, grâce à une réaction inverse à l'électrolyse,
produit de l'électricité à partir de l'hydrogène et de l'oxygène de
l'air.
Cette réaction, qui produit également de l'eau et de la chaleur,
s'opère au sein d'une structure composée de deux électrodes (l'anode et
la cathode) séparées par un électrolyte
9 Janvier 2013
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