L'hydrogène sera la clé de la révolution énergétique mondiale
Par René TREGOUËT, sénateur honoraire, fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
Il
y a quelques jours, deux remarquables rapports, l'un rédigé par les
parlementaires et l'autre par un groupe de scientifiques, sont venus
éclairer d'une lumière nouvelle l'actuel débat sur la transition
énergétique et ont confirmé le rôle incontournable de l'hydrogène comme
source et comme vecteur énergétiques irremplaçables de ce siècle.
Le
rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques
et technologiques (Opecst), rédigé par le sénateur du Tarn Jean-Marc
Pastor et le député de Moselle Laurent Kalinowski et publié le 22
janvier fera date : il trace en effet la « feuille de route » qui
pourrait permettre à la France de ne pas rater le tournant énergétique,
technologique et industriel majeur de l'hydrogène. Dans cette
excellente étude, les auteurs proposent notamment de défiscaliser
intégralement la production d'hydrogène issue de sources d'énergie non
émettrices de gaz à effet de serre. Autres propositions intéressantes :
étendre le "bonus écologique" aux véhicules utilitaires à pile à
combustible et simplifier le cadre réglementaire actuel régissant les
véhicules à hydrogène.
Ce rapport rappelle qu'1 kg d'hydrogène libère environ trois fois plus
d'énergie qu'1 kg d'essence. Mais en raison de sa grande légèreté,
l'hydrogène occupe, à poids égal, beaucoup plus de volume que tout
autre gaz. C'est pourquoi pour produire autant d'énergie qu'un litre
d'essence, il faut 4,6 litres d'hydrogène comprimé à 700 bars (700 fois
la pression atmosphérique). Utilisé comme source d'énergie, l'hydrogène
possède l'immense avantage de ne pas émettre de gaz à effet de serre et
notamment de CO2. En effet, l'hydrogène en brûlant dans l'air n'émet
aucun polluant et ne produit que de l'eau.
Cette étude rappelle également qu'il suffit d'un kilo de dihydrogène
(H2), stocké sous pression, (représentant un coût d'environ huit euros)
pour effectuer une centaine de kilomètres dans un véhicule équipé d'une
pile à combustible. Mais en attendant que l'on parvienne, d'une part, à
exploiter de manière fiable et rentable les sources naturelles
d'hydrogène issues des profondeurs du globe qui ont été récemment
découvertes et d'autre part, à produire massivement de l'hydrogène à
partir d'énergies renouvelables (soleil, vent et biomasse), cet élément
reste aujourd'hui presque entièrement produit à partir d'hydrocarbures
fossiles (gaz, pétrole, charbon, etc.) fortement polluants et émetteurs
de grandes quantités de gaz à effet de serre.
Mais, comme le souligne ce rapport, "L'hydrogène n'est pas qu'un moyen
de stocker de l'électricité pour le restituer un peu plus tard. Son
principal intérêt est d'être utilisé directement comme combustible pour
véhicule ou d'être injecté dans le réseau gazier". Cette étude souligne
également qu'il est à présent envisageable, en s'appuyant sur de
récentes avancées technologiques, d'utiliser l'électricité issue des
énergies renouvelables pour produire de l'hydrogène qui peut alors
servir de « réservoir » d'une capacité quasi illimitée, permettant de
résoudre enfin le défi du stockage massif de l'électricité
excédentaire.
De récentes expérimentations à grande échelle ont notamment validé la
faisabilité et l'efficacité du concept de « Power to Gas » qui permet
d'injecter jusqu'à 20 % d'hydrogène dans les réseaux gaziers, sans
modification majeure des infrastructures existantes. Il faut par
ailleurs rappeler que plusieurs technologies de rupture sont en cours
de développement et devraient rapidement permettre la production propre
et le stockage à grande échelle de l'hydrogène. C'est notamment le cas
de la solution très innovante proposée par la société française McPhy
Energy, qui a mis au point une nouvelle technologie de production
stockage d'hydrogène sous forme solide, reposant sur l'utilisation de
nanoparticules d'hydrates de magnésium. Autre percée scientifique
majeure annoncée en juillet 2013 : des chercheurs français du CEA, du
CNRS et de l'Université Joseph Fourier à Grenoble, ont mis au point une
nouvelle technique qui permet d'activer une enzyme, l'hydrogénase,
présente dans des microorganismes qui utilisent l'hydrogène comme
source d'énergie.
Cette avancée scientifique ouvre également la voie à la conception
d'enzymes artificielles qui pourraient permettre une production
biochimique industrielle d'hydrogène à partir de la biomasse.
Outre-Atlantique, des chercheurs de l'Université de Buffalo ont réussi
pour leur part, il y a quelques mois, à produire de l'hydrogène en
faisant réagir des nanoparticules de silicium avec de l'eau. Dans cette
réaction, ces particules réagissent pour former l'acide silicique, un
composé non toxique et de l'hydrogène. En Suisse, des chercheurs de
l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), dirigés par Xile Hu,
ont développé une technologie bon marché et évolutive qui permet
d'améliorer la production d'hydrogène par électrolyse de l'eau. En
remplaçant le catalyseur en platine par du molybdène, Autre avancée
majeure de cette technique : le catalyseur et la photocathode sont
faits dans des matériaux courants et peu onéreux qui pourraient réduire
considérablement le coût des systèmes d'électrolyse
photoélectrochimiques. Enfin à Lyon, le laboratoire de géologie de
l'Université Claude Bernard, en coopération avec le CNRS et l'École
normale supérieure, a présenté fin 2013, à l'occasion du Congrès
mondial de géophysique de San Francisco, un nouveau procédé qui permet
de produire de grandes quantités d'hydrogène en faisant réagir de l'eau
avec de l'olivine, un minéral de couleur verte que l'on trouve en
quantité importante sur les fonds marins mais également sur Terre.
Ces chercheurs sont parvenus à accélérer par 50 la réaction chimique
naturelle en ajoutant de l'alumine (oxyde d'aluminium) dans un réacteur
où le mélange, porté à haute pression, n'a besoin d'être chauffé qu'à
environ 300°, contre 700° pour les méthodes électrolytiques classiques.
Cette technique tout à fait originale permet de produire 36 m3
d'hydrogène pour 1 m3 de roche. Muriel Andreani, qui a dirigé ces
recherches, précise que son équipe va à présent essayer de reproduire
la réaction avec des pressions dix fois moins élevées. Si la production
d'hydrogène par cette voie minérale s'avère aussi efficace à basse
pression, on pourrait alors envisager de refaire le plein d'hydrogène
des véhicules à pile à combustible, simplement en faisant réagir de la
poudre d'olivine avec de l'eau ! Mais si l'hydrogène est appelé à jouer
un rôle majeur dans le domaine des transports et du stockage massif de
l'énergie, on oublie trop souvent qu'il est également en train de
révolutionner l'approvisionnement en énergie des bâtiments et logement,
un secteur qui reste de loin le premier poste de consommation d'énergie
en Europe, avec près de la moitié de l'énergie finale consommée.
Or, dans ce domaine, l'hydrogène, même s'il reste encore sensiblement
plus cher que les énergies fossiles, commence à faire son apparition.
C'est ainsi qu'à Londres, un immeuble de bureaux de 38 étages,
actuellement en cours de construction au 20 Fenchurch Street, sera
prochainement chauffé, climatisé et alimenté en électricité grâce à une
centrale électrique à hydrogène d'une puissance de 300 kW, de type
Direct FuelCell, capable de produire simultanément de l'électricité et
de la chaleur. Autre exemple : en Suisse, quatre immeubles en cours de
construction à Lausanne seront approvisionnés en électricité et chaleur
par des piles à combustible conçues par HTceramix qui produiront leur
énergie à partir du gaz de ville. Ces piles à combustible seront en
outre couplées à des pompes à chaleur pour constituer un système de
production et de récupération d'énergie extrêmement performant.
À terme, avec le développement conjoint des véhicules à hydrogène et
des piles à combustible destinées aux bâtiments et logements, on peut
tout à fait imaginer le développement d'un réseau de production et de
distribution transversale et décentralisée d'énergie. Dans ce schéma,
organisé à partir de réseaux intelligents « en grille », les immeubles
de bureaux et les habitations produiraient ou stockeraient leur chaleur
et leur électricité sous forme d'hydrogène et pourraient également
alimenter en partie le parc grandissant de véhicules à hydrogène. Mais
ce concept fonctionnerait également dans l'autre sens et les voitures à
hydrogène, lorsqu'elles ne seraient pas en circulation, deviendraient
autant de microcentrales de production d'énergie qui pourraient à leur
tour contribuer à l'alimentation électrique des bâtiments et
logements…
Ces récentes avancées scientifiques et technologiques montrent que la
production industrielle, économique et propre d'hydrogène ne relève
plus de l'utopie et devient enfin une réalité envisageable à moyen
terme. Mais une découverte encore plus considérable pourrait bien venir
accélérer ce basculement vers une économie de l'hydrogène. Il y a
presque un an, en avril 2013, l'Institut français du pétrole et des
énergies renouvelables (IFPEN) a annoncé qu'il existait probablement
d'importantes sources terrestres d'hydrogène dans au moins deux types
de régions géologiques : les grands massifs terrestres de péridotite et
les zones intraplaques, situés au cœur des continents. Les premières
recherches exploratoires de l'IFPEN ont non seulement confirmé
l'existence de ces sources d'hydrogène d'origine terrestre mais ont
également montré que celles-ci pouvaient comporter jusqu'à 80 %
d'hydrogène et produisaient également de l'hélium - un gaz rare très
recherché par l'industrie - en quantités économiquement exploitables.
Il va de soi que si ces sources d'hydrogène naturel, quasi
inépuisables, tiennent leurs promesses et s'avèrent économiquement
exploitables à une échelle industrielle, le paysage énergétique mondial
s'en trouverait bouleversé ! C'est dans ce contexte que l'ANCRE,
l'Alliance Nationale de Coordination de la Recherche pour l'Energie,
qui réunit plus de 400 chercheurs issus de tous les grands organismes
de recherche (CEA, CNRS, IFP EN, Ifremer, IRSN) a présenté le 23
janvier son rapport d'études sur trois scenarios possibles d'évolution
du système énergétique français à horizon 2050, visant à atteindre le «
facteur 4 » (division par 4 des émissions de Gaz à Effet de Serre). Ces
scénarios reposent sur une approche volontariste en termes d'innovation
scientifique et technologique.
Le premier scénario appelé « Sobriété renforcée » (SOB) suppose
notamment un effort de rénovation considérable de l'habitat (650 000
logements par an contre 125 000 actuellement).
Le second scénario « Décarbonisation par l'électricité » (ELE) est
fondé à la fois sur un effort en termes d'efficacité énergétique et sur
la production croissante d'électricité décarbonée.
Enfin le dernier scénario « Vecteurs diversifiés » (DIV) mise à la fois
sur l'efficacité énergétique et sur la diversification des sources et
vecteurs énergétiques. Selon les travaux de l'ANCRE, la consommation
d'énergie finale baissera dans tous les cas de figure, d'ici 2050, dans
des proportions allant de 27 % à 41 %. Mais ces chercheurs sont tous
d'accord sur un point fondamental : pour parvenir à diviser par quatre
nos émissions de GES d'ici moins de 40 ans, il faudra mettre en œuvre
des technologies de rupture dans les domaines de la capture et du
stockage du CO2 et du stockage électrique de grande capacité.
Dans cette perspective, on voit bien que hydrogène apparaît de plus en
plus clairement comme le chaînon manquant indispensable à l'avènement
de cette révolution énergétique. Heureusement, après avoir tardé à
mesurer des immenses potentialités du développement de la production et
de l'utilisation énergétique de l'hydrogène, notre Pays semble enfin se
réveiller, même si nos grands constructeurs automobiles hésitent encore
à s'engager pleinement dans cette voie d'avenir.
En septembre 2013, les 34 plans de la Nouvelle France Industrielle,
présentée par le Président de la République, ont dévoilé un volet «
hydrogène », principalement centré sur le stockage de l'électricité et
le développement de piles à combustible de nouvelle génération
destinées au transport. Les différents acteurs de cette filière
scientifique et industrielle, qu'il s'agisse des universités, du CNRS,
du CEA, de l'IFPEN, de sociétés comme Areva ou Air liquide, ont décidé
de fédérer leurs efforts et leurs ressources pour accélérer, avec le
soutien de l'État, l'émergence d'une véritable filière
techno-industrielle de l'hydrogène. Les collectivités territoriales
commencent également à s'impliquer dans cet enjeu majeur. La Lorraine a
par exemple initié un ambitieux projet de "route de l'hydrogène"
reliant la France à l'Allemagne et au Luxembourg.
Cette transition vers l'hydrogène comme source et vecteur majeur
d'énergie ne répond pas seulement à la nécessité de trouver des
substituts aux énergies fossiles qui finiront inéluctablement par
s'épuiser et coûteront de plus en plus cher à exploiter. Elle relève
également de l'impérieuse nécessité de réduire à court terme et de
manière drastique les émissions anthropiques globales de gaz à effet de
serre, de manière à éviter une catastrophe climatique de grande
ampleur. Or il faut rappeler que les émissions des six principaux gaz à
effet de serre ont augmenté de 75 % au niveau mondial depuis 1970 (en
dépit du Protocole de Kyoto qui a permis de limiter cette augmentation)
et s'élèvent à présent à environ 52 gigatonnes équivalent-carbone par
an (dont 39 milliards de tonnes de CO2 en incluant les 4 gigatonnes par
an liées à la déforestation), soit 7 tonnes par terrien et par an !
Quant aux seules émissions de CO2, elles ont augmenté de 61 % au niveau
mondial au cours des 25 dernières années !
Les derniers travaux du GIEC confirment que, pour avoir une chance de
limiter à deux degrés le réchauffement climatique planétaire, les
émissions mondiales de gaz à effet de serre ne devraient pas dépasser
les 44 gigatonnes en 2020, ce qui suppose une diminution moyenne
annuelle d'au moins 3 % par an alors que nous sommes sur une
trajectoire d'augmentation d'environ 2,5 % par an depuis 1990 !
L'équation énergétique et climatique est pourtant implacable : nous
devons impérativement réduire de moitié, au niveau mondial, nos
émissions globales de gaz à effet de serre d'ici 2050 pour parvenir à
contenir le réchauffement climatique dans des limites supportables pour
l'espèce humaine.
Il y a quelques jours, la Commission européenne a proposé de fixer un
nouvel objectif climatique pour l'Europe à l'horizon 2030. Souhaitant
aller beaucoup plus loin que les accords de Kyoto qui vont bientôt
arriver à terme, l'Europe veut faire baisser de 40 % les émissions de
CO2 (par rapport à leur niveau de 1990), tout en portant à 27 % la part
des énergies renouvelables. Cet objectif de réduction peut sembler
ambitieux mais il faut le ramener aux enjeux mondiaux et rappeler qu'il
ne représente que 6 % de l'effort global que la planète va devoir
accomplir pour réduire de 26 gigatonnes équivalent CO2 ses émissions de
gaz à effet de serre en un peu moins de 40 ans !
Pour parvenir à relever un tel défi, il va falloir actionner
simultanément et vigoureusement plusieurs leviers puissants et
complémentaires. Le principal de ces leviers, il faut inlassablement le
rappeler, réside dans les économies d'énergie à la source et dans
l'amélioration de l'efficacité énergétique de l'ensemble de nos
systèmes de production et de distribution économiques, industriels et
agricoles. Ce levier, qui inclut la recherche étendue de la sobriété
énergétique mais également la reforestation massive, représente à lui
seul plus de la moitié de ce gigantesque défi planétaire. Mais cela ne
suffira pas et il faudra également actionner un autre levier, visant à
décarboner à un niveau minimum de 80 % notre économie et notre
production d'énergie d'ici 2050.
C'est là que l'hydrogène est appelé à jouer un rôle irremplaçable
puisqu'à partir du moment où il devient possible de le produire
massivement de manière propre, il peut devenir à la fois une source
d'énergie extrêmement efficace et directement utilisable dans de
nombreuses applications et vecteur d'énergie indispensables pour la
transformation, le stockage et la régulation de la production
électrique mondiale, qui augmentera inexorablement d'ici le milieu de
ce siècle sous le double effet de l'essor démographique mondial (2
milliards de terriens en plus) et du développement économique global de
la planète.
Dans une telle perspective économique, énergétique et écologique, il
est absolument capital que la France, qui reste dans ce domaine en
retard par rapport à des pays comme l'Allemagne ou le Japon, mette sans
tarder en œuvre les propositions et recommandations des études que je
viens d'évoquer et exploite pleinement ses nombreux atouts naturels et
humains pour prendre la tête de cette révolution par l'hydrogène qui
sera l'un des grands moteurs de l'innovation technologique, de la
richesse économique et de l'emploi au cours des prochaines décennies.
Auteur René TREGOUËT, sénateur honoraire, fondateur du Groupe de Prospective du Sénat.
1er Février 2014
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