Énergie : bientôt la lumière au bout du tunnel ?
Par Kingsley Ighobor
Les initiatives se multiplient autour du secteur énergétique africain.
À
Apapa, le cœur industriel de Lagos, la mégapole du Nigéria avec ses 17
millions d’habitants, on vit au rythme du ronronnement des générateurs
électriques. Ce sont eux qui alimentent les grandes usines et les
systèmes de climatisation, dans un pays où les températures dépassent
fréquemment les 30 °C.
Comme partout ailleurs dans le pays, les coupures d’électricité sont
quotidiennes. Le service assuré par la Power Holding Company of Nigeria
(PHCN), la compagnie nationale d’électricité, est peu fiable. La moitié
de la population (qui s’élève à 170 millions d’habitants) n’a pas accès
à l’électricité. Une ancienne ministre de l’Énergie a un jour déclaré :
« Nous devons, ensemble, exorciser l’esprit malin responsable de ces
ténèbres. » Pour la plupart des Nigérians, les bougies sont
indispensables.
Mais pour Kandeh Yumkella, Représentant spécial du Secrétaire général
des Nations Unies pour l’énergie durable, la précarité du secteur
énergétique nigérian n’est pas irrémédiable. Selon l’Organisation des
pays exportateurs de pétrole (OPEP), le pays possède une réserve de gaz
de 5 000 milliards de mètres cubes – la 9e au monde – et une réserve de
pétrole de 37 milliards de barils. Autrement dit, le pays dispose du
potentiel nécessaire pour satisfaire les besoins en électricité de
l’Afrique toute entière. Outre le pétrole et le gaz, le pays possède du
charbon et peut recourir à l’énergie éolienne, thermique et solaire.
L’électricité, moteur de l’industrialisation
La situation énergétique du Libéria ressemble fort à celle du Nigéria.
Les infrastructures énergétiques du pays ont été détruites par les
combattants rebelles en 1990, et il a fallu attendre 2006 pour que
l’éclairage public soit rétabli. Avec l’aide financière du gouvernement
des États-Unis et de l’Union européenne, le Libéria a pu acquérir une
centrale pour alimenter les principaux hôpitaux et l’éclairage public.
« Nous pouvons enfin nous réjouir d’apercevoir la lumière au bout du
tunnel », a lancé la Présidente Ellen Johnson-Sirleaf lors d’une grande
cérémonie organisée en juillet 2006 pour célébrer le retour de
l’éclairage public.
M. Yumkella et d’autres experts notent que l’électricité facilite
l’industrialisation. L’Afrique du Sud, la nation la plus industrialisée
du continent, produit 44 175 mégawatts pour une population de 51
millions d’habitants. Le Nigéria, la nation la plus peuplée du
continent, produit environ 3 200 mégawatts. L’industrie ne peut pas
être compétitive sur le marché international si l’énergie constitue une
part importante des coûts de production, ajoute M. Yumkella. « Cela
signifie que l’on peut vous acheter des matières premières, les
expédier vers l’Asie ou l’Europe, les raffiner et vous revendre les
produits transformés. »
La Banque mondiale estime elle aussi qu’une production énergétique
fiable est essentielle à l’industrialisation. C’est aussi un outil de
lutte contre la pauvreté. Avec une production électrique stable, les
hôpitaux fonctionnent efficacement, la population cuisine au gaz plutôt
qu’au bois ou au charbon, qui polluent l’environnement, les étudiants
peuvent accéder à Internet et participer aux flux mondiaux
d’information, les trains fonctionnent correctement,
l’approvisionnement en eau est plus fiable et la bureaucratie plus
efficace.
L’Afrique en insécurité énergétique
La production cumulée de 48 pays d’Afrique subsaharienne ne dépasse pas
les 68 000 mégawatts, soit l’équivalent de l’électricité produite par
l’Espagne. Sur ce total, l’Afrique du Sud produit à elle seule plus de
44 000 mégawatts. Sans elle, la production électrique d’Afrique
subsaharienne s’élève donc à 24 000 mégawatts, un chiffre largement
inférieur aux 40 000 mégawatts dont dispose la ville de New York. «
Cette production d’électricité insuffisante s’accompagne d’un taux
d’électrification tout aussi faible. Moins du quart de la population
d’Afrique subsaharienne a accès à l’électricité », estime la Banque
mondiale. Pour M. Yumbella « l’Afrique est le continent présentant le
niveau d’insécurité énergétique le plus élevé ».
Pourtant, toujours selon la Banque mondiale, plus de 90 % de l’énergie
hydroélectrique du continent est inexploitée. Le Soudan détient des
réserves de gaz de 6,4 milliards de barils, l’Angola en possède 9
milliards, et plusieurs autres pays disposent de gisements plus
modestes.
Alors comment expliquer le déficit ? Pour M. Yumkella, « auparavant,
nous ne considérions pas l’énergie comme un instrument de lutte contre
la pauvreté. » Pendant longtemps, ajoute-t-il, les États africains ont
monopolisé le secteur énergétique et l’ont mal géré.
Un marché de l’énergie
D’autre part, des pays très éloignés des centres de demande possèdent
d’énormes ressources énergétiques inexploitées. C’est notamment le cas
de la République démocratique du Congo et de l’Éthiopie, qui présentent
un formidable potentiel hydroélectrique mais se trouvent « loin des
principaux centres économiques d’Afrique australe, de l’Ouest et du
Nord », souligne la Banque mondiale. En outre, les économies de ces
pays ne sont pas suffisamment solides pour investir des milliards de
dollars dans une production hydroélectrique destinée à leur seule
consommation. « Certains pays africains ont de l’eau, comme c’est le
cas de la Guinée. D’autres possèdent du gaz [Nigéria, Angola]... Il
faut faire le lien entre les zones de haute production et les régions
où la production est faible mais la demande élevée », analyse M.
Yumkella.
Pour résoudre un tel problème, les dirigeants africains préconisent une
stratégie électrique régionale intégrée, en vertu de laquelle les pays
bénéficiant de meilleures économies d’échelle en matière de ressources
énergétiques pourraient envisager d’investir dans le secteur afin de
revendre de l’énergie aux autres. Pour les pays dépensant des sommes
colossales dans le gazole ou l’huile combustible nécessaire aux
centrales électriques, il serait plus avantageux d’acheter de l’énergie
hydroélectrique à un pays voisin. C’est dans cette optique que le
Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA), une
initiative de l’Union africaine, soutient un projet de 22 milliards de
dollars visant à développer un réseau électrique panafricain d’ici à
2020.
La stratégie éthiopienne
L’Éthiopie aspire à devenir une superpuissance énergétique et prépare
actuellement un plan directeur de 25 ans visant à produire 60 000
mégawatts d’énergie hydroélectrique, géothermique, éolienne et solaire,
ce qui équivaut presque à la production actuelle de l’Afrique
subsaharienne. Les travaux du grand barrage de la Renaissance, le plus
grand jamais construit sur le continent, devraient être terminés d’ici
les trois prochaines années, et l’infrastructure devrait pouvoir
produire 6 000 mégawatts. La société américano-islandaise Reykjavik
Geothermal a quant à elle prévu d’investir 4 milliards de dollars dans
la construction d’une centrale géothermique d’une capacité de 1 000
mégawatts. Le pays possède le parc éolien le plus vaste d’Afrique, qui
fournit actuellement 120 mégawatts.
L’ambitieux plan énergétique éthiopien fait office d’aimant pour
attirer les pays voisins. Djibouti, le Kenya, le Soudan, le Soudan du
Sud, le Rwanda, la Tanzanie et même le Yémen, un pays non africain, ont
signé des accords de fourniture d’énergie avec l’Éthiopie.
Parallèlement, la Banque mondiale et la Banque africaine de
développement (BAD) financent actuellement une ligne de transport
d’électricité d’une capacité de 2 000 mégawatts entre l’Éthiopie et le
Kenya. L’Éthiopie considère « l’énergie comme un produit d’exportation
au même titre que l’or », indique Donald Kaberuka, le président de la
BAD.
Avec le soutien de la Banque mondiale, le Rwanda a achevé son Programme
de déploiement de l’électricité en 2012, qui lui a permis de raccorder
un million de foyers au réseau électrique national. Pour la Banque
mondiale, les réformes en cours en Sierra Leone devraient ouvrir la
voie à une meilleure distribution de l’électricité pour les six
millions d’habitants du pays. Selon Global Information Service, un
organisme qui contrôle l’évolution du transport d’énergie, l’Afrique du
Sud est aujourd’hui le producteur émergent le plus attractif au monde
en matière d’énergie solaire, et pourrait atteindre une production de 8
500 mégawatts d’ici à 2030.
Rien n’est impossible
Le secteur privé africain n’a pas l’intention de rater le coche. Pour
le Financial Times, le programme de privatisation du secteur de
l’énergie du Nigéria est le plus ambitieux d’Afrique. Si tout se
déroule comme prévu, cette privatisation devrait permettre de mettre un
terme à la mauvaise gestion « et de fournir de l’électricité bon marché
». En juillet dernier, le président américain Barack Obama a annoncé en
Afrique du Sud le lancement de l’initiative « Power Africa », visant à
recueillir 16 milliards de dollars de financement public ou privé en
vue de la production de 10 000 mégawatts d’électricité pour les
communautés d’Afrique subsaharienne, et pour laquelle différentes
sommes ont été engagées par des philanthropes africains.
Un sentiment d’urgence s’empare aujourd’hui du continent. L’Afrique
peut se concentrer sur l’exploitation de sources d’énergie à faible
émission de carbone. « L’Afrique doit être prête à exploiter ses actifs
d’énergie renouvelable », écrit Carlos Lopes, le Secrétaire exécutif de
la Commission économique pour l’Afrique (CEA). Bien que l’objectif,
selon M. Yumkella, soit de se concentrer sur les énergies renouvelables
à faible émission de carbone, telles que la production éolienne,
solaire ou géothermique, à l’heure actuelle, « toutes les sources
d’énergie sont concernées...
Nous pouvons devenir un nouveau Brésil. Les Brésiliens possèdent une
technologie viable pour la production d’éthanol. Ils viennent de
découvrir d’énormes gisements de pétrole au large de leurs côtes, mais
cela ne les empêche pas de continuer à investir des sommes
considérables dans les énergies renouvelables ».
Avec toutes ces initiatives, la question est désormais de savoir quand
l’Afrique pourra enfin apercevoir la lumière au bout du tunnel. Pour M.
Yumkella, cela pourrait se produire d’ici une vingtaine d’années. «
Rien n’est impossible ».
21 Avril 2014
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