Assemblée nationale, Paris VIIe, 12 Février 2015
La transition énergétique en France et en Allemagne : déconstruire les idées reçues
Par Gilles Marchand
Comment
le couple franco-allemand entend-il la transition énergétique, cette
transformation sociétale majeure? La Fondation Jean-Jaurès, la
Fondation Friedrich-Ebert et Europartenaires organisent une
conférence-débat pour déconstruire les idées reçues de part et d’autre
du Rhin.
Ouverture
Pervenche
BERES, députée européenne, présidente de la délégation socialiste
française, administratrice de la Fondation Jean-Jaurès
La France et l’Allemagne ont beau suivre des voies différentes, elles
ont part liée sur les problématiques qu’elles ont à résoudre. Nous
avons d’ores et déjà réduit les émissions de 27% en Europe. Il y a des
convergences à définir au delà des différences d’approche évidentes de
nos deux pays. Le recours au charbon est en hausse (+30% en 30 ans) en
Allemagne. Quand la France réduit sa consommation de 0,5%, l’Allemagne
en est à 1,5%. C’est un quasi effort de guerre. Nous avons un devoir
d’exemplarité et d’innovation dans l’adaptation dans nos modèles de
consommation.
Introduction : état des lieux, enjeux pour l’avenir, en France et en Allemagne
Andreas RÜDINGER, chercheur à l’IDDRI
Les ressources des sous-sols s’amenuisent. Le coût de l’extraction du
pétrole est passé d’un rapport de 1 à 10 et nous allons vers une
raréfaction des ressources qui augure d’une hausse (à priori - NDLR)
des prix de l’énergie. Une part majoritaire de ces ressources devra
rester dans le sol pour faire face au changement climatique et la
diminution de la consommation de pétrole devra être diminuée par deux
d’ici 2050. C’est un des objectifs du projet de loi sur la transition
énergétique. Nous devrons aller vers des ressources renouvelables et
des circuits courts, plus locaux, et vers un partage du temps de
travail. Le pétrole représente actuellement un coût de 1000 euros par
habitant. 70 milliards pour la France et 90 milliards pour l’Allemagne.
Or nous n’envisageons que de jouer sur l’approvisionnement et son coût,
sans réfléchir au modèle macroéconomique qui les sous-tendent. C’est ce
qu’avait défini le groupe de travail sur la transition énergétique en
2013. En 2050, 300 à 1000 milliards d’euros de bénéfices cumulés seront
issus des énergies renouvelables. Une vaste transformation économique
qui suppose un choix et une vision de société plus large.
Ier Débat
Comment
financer la transition énergétique ? Politique de concurrence
européenne, politiques nationales de prix aux particuliers et
politiques antagonistes de soutien aux énergies renouvelables
Didier GUILLAUME, sénateur de la Drôme, président du Groupe socialiste du Sénat
La transition énergétique doit être envisagées comme un projet mené par
tous et pour tous. Bizarrement alors que le financement de ces enjeux
se compte en milliards d’euros, les investissements sont encore très
faibles. Les retours sur investissements seront dispensés à moyen et
long terme. Il faut donc ramener ces bénéfices dans le présent. C’est
un des enjeux de l’efficacité énergétique, le parc disponible étant à
moderniser. L’objectif est de réduire les émissions de carbone de 40%,
le gaz importé de 40% également, et de créer 800 000 emplois. Là aussi
on soulignera le faible rôle du marché. Cette politique a un volet
industriel lié à l’aménagement du territoire dont l’autonomisation des
stratégies nationales doit être amenée à diminuer. Il faut créer une
Union de l’Energie. Dépasser un cadre strictement utilitariste dont la
question sociale est absente. L’Union a principalement été porteuse de
la libéralisation des marchés de l’énergie. Il fallait une intégration
accrue des marchés, notamment électriques. L’Europe doit faire passer
son mix énergétique consacré aux énergies renouvelables de 45% à 67%.
C’est une rupture drastique qui créera des gagnants et des perdants.
C’est donc une question éminemment politique.
Fukushima a sonné le but du glas pour le nucléaire en 2011, notamment
en Allemagne. C’est l’enjeu des ETS et du coût carbone qui doivent
pouvoir permettre de créer des marchés d’énergie concurentiels.
L’Europe a besoin de transformations structurelles à plus long terme.
L’investissement via leur épargne des consommateurs est une donnée
fondamentale de la coopération des réseaux énergétiques.
Pervenche
BERES, députée européenne, présidente de la délégation socialiste
française, administratrice de la Fondation Jean-Jaurès
L’Europe est dans la double seringue de la résolution du problème de
l’Ukraine et du succès de la COP21 de Paris à la fin de l’année. Il y a
deux éléments en matières d’énergie dans la directive électricité. Les
unités de production et la production elle-même. En France, nous avons
un champion national, qui est EDF, alors qu’en Allemagne, les
territoires sont beaucoup plus décentralisés.
Nina SCHEER, députée au Bundestag
En Allemagne, nous avons la chance d’avoir les StarckWerke depuis la
fameuse panne électrique du nord de l’Europe du 4 novembre 2006. C’est
l’acte de naissance d’une nouvelle approche sur l’énergie. L’origine
européenne de cette énergie a finalement dérivé vers une moindre
mobilité des échanges. Nous sommes resté dans une logique d’ouverture
des marchés intérieurs, mais les stratégies unifiées ont été ralenties,
ce qui a créé des distorsions de concurrence, notamment en ce qui
concerne le soutien aux énergie renouvelables.
Il faut davantage parler de transition écologique que de transition
énergétique. Depuis janvier 2014, François Hollande, porté par un
consensus dans l’opinion, a multiplié les initiatives et propositions
de coopération afin de dépasser les obstacles. La responsabilité du
continent dans la mise au point d’un modèle décarboné, s’est accrue.
L’Europe a notamment travaillé, grâce à l’esprit visionnaire du
regretté François Lamoureux, sur l’augmentation de ses capacités de
stockage énergétiques. Or l’instauration d’un marché carbone a
rencontré des obstacles. Il s’agit de créer des passerelles avec le
plan Juncker. Les objectifs sectoriels de transition écologique doivent
être mis au premier rang des préoccupations.
Il n’y a pas pour l’instant de prise en compte du coût carbone sur les
marchés intérieurs. L’objectif en est encore devant nous. Nous avons
perdu du temps. Il faut faciliter les financements. Aucune leçon n’a
véritablement été retenue par notre génération, qui porte la lourde
responsabilité d’apporter les réponses que la situation demande. Les
discussions qui ont lieu sont une meilleure garantie de régler la
crise. La transparence nécessaire est encore insuffisante. Plusieurs
études ont affirmé que le temps se réduisait pour y parvenir. Plus nous
attendrons et plus les problèmes seront durs à régler, plus chers et
moins durables. Les possibilités financières doivent être mises en
œuvre malgré les risques. Les banques n’étant pas très motivées, il
faut s’en remettre aux investissements publics. Le capital risque
a été engagé, une douzaine d’euros par personnes est envisagée. Cette
occasion ne se représentera pas. Les coûts ne doivent pas être un
frein. L’Europe doit avoir cette ambition. La part de l’atome devra
être réduite. Les perspectives qui sont sombres doivent être éclairées
par notre volontarisme. Il ne faut pas donner de faux-signal pour le
changement.
Nous devons nous concentrer sur les problématiques de la terre, des
sols et de l’air. Le solaire a le potentiel nécessaire. La régulation
en Europe a un potentiel réel, notamment avec les possibilités
flexibles que les individus peuvent apporter. C’est une chance que nous
devons pas laisser passer. Nous avons un problème… Il faut le résoudre.
L’efficacité-coût est indispensable. Les investissements doivent être
la traduction due à la part qui doit être produite. L’imagination doit
être multipliée. Les citoyens peuvent accepter les éléments présents
dans le rapport Energie 22 allemand.
Remarque du Président
Le charbon américain est très largement importé en Allemagne, ce qui provoque un certain scepticisme en France.
Réponse de Nina
L’atome doit être réduit. Le chemin emprunté n’est pas passé par les
régulations nécessaires. La surcapacité nucléaire n’a pas été
suffisamment exploitée. L’énergie doit aller vers le zéro émissions.
Michel DERDEVET, maître de conférence à Sciences Po et professeur au
Collège de Bruges, en charge du rapport confié par le Président de la
République sur les pistes concrètes de renforcement des coopérations
économique et industrielle en matière de réseaux d'énergie européens
La coopération européenne se fait sur les réseaux électriques. Les
débats ont lieu modèle contre modèle. Dans les années 70, l’alternative
était entre le nucléaire et le charbon. Nous sommes désormais à
quelques semaines de la création d’une Union de l’Energie en Europe.
Mais chaque état a piloté dans un manque de coordination. Des
complémentarités sont à créer dans un contexte de divergences accrues.
Nous devons envisager de nous appuyer sur des singularités partagées.
Mais en 2011, c’était Fukushima. Face au conservatisme français, le
modèle français va évoluer mais vis à vis d’une énergie compétitive,
donc principalement nucléaire. Les investissements français et
allemands et les échanges énergétiques entre nos deux pays ont
augmentés. La décarbonisation du mix européen suppose des achats à
hauteur de 1000 milliards d’euros. Les interconnexions sont de l’ordre
de 4%et 5% à l’heure actuelle. On recherche un optimum économique dans
les réseaux de proximité. Il y a à l’heure actuelle 17000 MWh
d’électricité produite par des consommateurs et raccordée au réseau,
soit l’équivalent de la production électrique de 11 EPR. Mais seuls 193
km de lignes à haute tension ont été construites en 2013. Il a fallu
vingt ans pour raccorder l’Espagne à la France. C’est une question de
coordination et de sécurité. Les annonces en la matière impactent de
nombreux pays. Il ne faut pas laisser s’installer un désordre en
MittelEuropa. Un champion européen existe : il s’appelle
CoRéseau. Beaucoup de régions s’engagent et 212 territoires à
énergie positive ont été très récemment crées par Ségolène Royal.
L’importance des projets de R&D liés au stockage de l’énergie est
fondamentale. Chinois et américains ont une vision. La mobilité propre
doit s’accroitre avec 1 millions de véhicules non polluants en 2020.
L’information des consommateurs est à ce titre déterminante. Il faudra
ventiler ces domaines entre véhicules électriques, hybrides et à
hydrogène. Les données énergétiques ne doivent pas être marchandisées.
Il faut d’autre part insister sur la pauvreté et la précarité
énergétique qui demandent une répartition juste. Les surcoûts
explosent. 22% en Allemagne. 21% en France. C’est une question
profondément citoyenne. Un sujet franco-allemand par excellence.
Il ne faut pas attendre la fin de la crise pour agir. J’insiste sur
l’importance de l’Agora Energie 22.
Dimitri PESCIA, Senior Associate European Energy Cooperation, Agora Energiewende
Les modèles français ou allemands sont-ils transposables à d’autres
pays ? Oui, pour certains et pas uniquement en Europe. Cette révolution
technologique doit être exportable. Notamment le photovoltaïque et
l’éolien dans les pays émergents qui ont des systèmes très contraints,
comme c’est le cas en Chine, Inde ou Afrique. C’est une question de
modèle énergétique. L’Italie, l’Espagne peuvent le faire grâce à leur
structure industrielle, mais surtout la France et l’Allemagne. Les
politiques françaises ont permis de produire 63 GWh sous forme
renouvelable, là aussi hors marché. Il y a une baisse faramineuse sur
le coût du photovoltaïque et de l’éolien (+ de 30% en moyenne). C’est
un enseignement allemand : les émissions de CO2 vont baisser. 50% en
moins d’ici 2030, malgré un charbon très compétitif qui ne fait pas
l’objet d’exportations. Il faut à la fois sortir du charbon et du
nucléaire. L’état fédéral s’engage davantage. Il sont très compétitifs
car les coûts sont supportés par une facturation lourde. Le coût du MWh
est de 80 euros pour l’éolien et de 90 euros pour le solaire. Mais ils
vont s’imposer car leur coût diminue très rapidement. De l’ordre de 50
euros le MWh à Abu Dhabi. C’est le projet de Copex, un choix de capital
hors marché. Des centaines de milliers d’acteurs vont flexibiliser les
décisions et investir. Le marché ne financera rien (sic) car la valeur
de dispatch est volatile. La coopération européenne entrainera une part
plus grande part des renouvelables dans le mix.
Didier GUILLAUME, sénateur de la Drôme, président du Groupe socialiste du Sénat
Le fond énergétique crée des réseaux de coopération entre les modes de transports.
IIe Débat
Comment l’efficacité énergétique va-t-elle transformer nos modes de vie ?
Jean-Noël JEANNENEY, co-président d’europartenaires.
Introduction
Il s’agirait de mener une réflexion sur les évolutions comparées des
modes énergétiques et des sociétés humaines dans leurs évolutions
technologiques et historiques. Une analyse plus systématique existe.
Rifkin a à ce sujet écrit l’Economie Hydrogène (NDLR).
Philippe BIES, député du Bas-Rhin
Les réseaux de collectivités s’organisent. 80 mairies se sont
regroupées sur ces sujets. 32 éco-quartiers ont été crées. 19
éco-régions. 100 projets ont été identifiés par la commission
européenne. 212 territoires à énergie positive et 160 entreprises
locales de l’énergie. Tous sont des projets d’excellence, vitrines de
savoirs-faire. Ce sont des leviers intéressants pour la transition
énergétique. Il ne manque que l’initiative citoyenne. Les collectivités
territoriales de leur côté n’en font toujours pas assez. Un acteur
supplémentaire, les syndicats de l’énergie. Il faut donner les moyens à
de nouvelles règles énergétiques d’émerger et d’être financées et pour
cela lever les obstacles vis-à-vis des individus. Les entreprises
privées sont la troisième voie empruntable. Mais il est nécessaire de
clarifier les compétences des différents échelons de décision. Le
problème de la maitrise de la distribution, de la production et de la
fourniture se pose. Des sociétés locales d’énergie ou des opérateurs de
proximité en plus des investisseurs ?
Annegret-Cl. AGRICOLA, directrice du secteur système et services énergétiques, Agence allemande de l’énergie
La qualité de l’énergie est un sujet important. Il faut réduire de 80%
les émissions de carbone dans les années à venir et cela dépend en
grande partie de notre créativité. Les réglementations ont un coût. Il
faut que l’Allemagne et la France apprennent l’une de l’autre et à
travailler ensemble afin de permettre d’atteindre les objectifs
essentiels de la nécessaire réponse au changement climatique.
François MOISAN, Directeur exécutif de la Stratégie, de la Recherche et de l'International de l’ADEME
L’ADEME a essayé de penser l’évolution prévisible des modes de vie, des
financements d’avenir aux engagements pris par les collectivités
publiques, de nouvelles formes d’actions et même à l’échelle un
département : la Vendée. 35000 ménages sont liaisonnés, et cela devrait
très vite évoluer d’un facteur quatre. Il ne faut pas se borner à
réfléchir au dioxide de carbone, mais analyser l’influence des autres
polluants. Les énergies renouvelables vont avoir une capacité de
projection nettement accrue. Penser notre vie à l’horizon 2030 et 2050…
Pas de jour sans ruptures technologiques dans les projections et
observations faites. L’installation pilote de piles à combustibles dans
20000 foyers produit beaucoup d’énergie renouvelable. Les vehicules
hybrides, électriques et à hydrogène commencent à faire leur
apparition. De nouveaux services de mobilité sont crées, comme Autolib
ou BlaBlaCar. Le numérique est la révolution décisive qui va permettre
de réussir dans tous les types d’usages. Selon IPSOS, les pratiques
collaboratives explosent de plus de 80%. L’OFCE et Sciences Po ont
étudié l’immense impact macroéconomique des énergies renouvelables. 3
points de PIB seront gagnés en 2030, 700000 à 800000 emplois créés au
milieu d’emplois indirectement perdus par ailleurs. Le
financement participatif explose aussi créant une classe
d’investisseurs privés. Pour une dizaine de sociétés spécialisées
en France, on ne compte pas moins de 650 de celles-ci en Allemagne.
Nous souhaitons voir remportés tous ces enjeux.
Andreas RÜDINGER, chercheur à l’IDDRI
Marie-Christine Zellem a étudié l’influence déterminante du facteur
humain via Smartools. C’est une question de libertés. Nous devrions
avoir une approche sociologique, psychologique marketing de ces sujets.
En toutes ces choses comme en tant d’autres, nous ne sommes pas assez
ambitieux. Les allocataires de la sobriété refusent souvent cette
éventualité d’une restriction de leurs usages, alors que c’est une clef
qui change tout. Que ce soit de l’optimisation des transports, des
bâtiments, ou la réduction de la taille des ménages doit nous
amener à définir de nouvelles formes de vivre ensemble davantage basées
sur l’intelligence collective. Peut-être aussi réduire l’étalement
urbain pour fournir davantage de services de proximité.
Quelles perspectives communes ?
Elisabeth GUIGOU, présidente d’Europartenaires prononce le discours de clotûre.
NDLR : les propos qui sont publiés ne sont que des transcriptions
d’après des notes. Ils ne sont pas strictement identiques au prononcé
en séance.
16 Février 2015
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