« Il faut remettre l’Europe en route »
Par Pierre Gattaz, Ulrich Grillo et Ingo Kramer
Les
tragédies du XXe siècle se sont enracinées dans le nationalisme,
la xénophobie et les atteintes à la dignité humaine. L’Union européenne
a tiré la leçon de l’histoire en apportant à nos peuples la paix, la
prospérité et la sécurité. Un des plus grands défis que l’Union a dû
affronter est celui de la crise financière mondiale. En peu de temps,
un fonds de secours pour les pays les plus endettés et un pacte
budgétaire ont été mis en place. Très vite, un projet d’union bancaire
a été engagé. Beaucoup reste à faire encore mais le pire a pu être
évité grâce à une action commune, courageuse. Nos Etats ont ainsi
échappé à l’effondrement économique et aux menaces de troubles sociaux
et politiques graves.
Aujourd’hui,
nous voici à nouveau confrontés à des défis gigantesques : la
guerre en Syrie, le terrorisme international, les risques de
déstabilisation en Méditerranée et des millions de personnes déplacées
vers l’Europe. Lors du sauvetage financier de la Grèce, l’Union
européenne a montré sa cohésion. Aujourd’hui, elle semble inerte, les
pays paraissant sans courage et sans solidarité. Certains s’écartent
résolument des valeurs européennes fondamentales. Des partis politiques
la rejettent pour tout programme. Pourtant, aucun Etat ne peut à lui
seul résoudre les problèmes liés à la guerre, à la terreur et à la
migration de masse. Chacun a besoin de toute la force de l’Union.
L’Europe doit repasser à l’offensive
Il est plus que temps que l’Europe se retrouve, reprenne confiance et
passe à l’offensive. Voilà pourquoi nous encourageons nos propres
dirigeants – la chancelière Merkel et le président Hollande – à
répondre à une situation extraordinaire pour prendre une initiative
rapide, décisive et elle-même extraordinaire. Face aux pressions
grandissantes, nous devons agir. La France et l’Allemagne demeurant les
moteurs de l’intégration européenne, il est essentiel que, ensemble,
nous unissions nos forces et nous mobilisions aujourd’hui pour faire
avancer l’Europe.
Deux priorités s’imposent à nous.
La première est de répondre à l’urgence des flux migratoires tout en
refondant Schengen dont la désintégration serait aussi coûteuse
économiquement que politiquement. La seconde est de poser les éléments
d’une réelle convergence économique entre nous. Voilà les deux
conditions indissociables de la crédibilité d’un projet qui redonne
espoir aux déçus de l’Union. D’abord, maîtriser et réduire les flux
migratoires vers les pays de l’Union européenne.
Il s’agit de mettre en œuvre les accords conclus avec la Turquie, tout
en poursuivant les négociations avec les pays proches et en apportant
une aide aux zones en tension. Ces accords permettront une meilleure
gestion des flux migratoires qui ne sauraient être traités de façon
unilatérale. L’Union européenne doit doter Frontex [agence européenne
pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières
extérieures des Etats membres de l’UE] de plus de compétences et de
plus de moyens. Ces mesures contribueront à redonner confiance dans
l’Union.
Des contrôles plus efficaces aux frontières extérieures de l’Union
européenne permettraient d’éviter les contrôles à l’intérieur de
l’espace européen. Schengen était et reste une avancée pour les
citoyens européens. Une véritable liberté de circulation se traduit par
la disparition de contrôles douaniers. C’est la condition préalable à
la croissance et à la prospérité dans un monde global qui dépend des
échanges commerciaux mondiaux. Des contrôles effectifs aux frontières
extérieures de l’Union permettront une meilleure acceptation du droit
d’asile qui reste au cœur des valeurs européennes. Tous les Etats
membres sont appelés à prendre leurs responsabilités en intégrant des
réfugiés.
Ceux qui les rejetteraient doivent en tirer les conséquences : ils
ne sauraient alors exiger le bénéfice de la solidarité européenne quand
ils en ont besoin, alors même qu’ils en refuseraient les contreparties.
Il est de notre devoir de donner refuge à celles et ceux qui fuient les
bombes et les persécutions. Mais ceux qui ne peuvent acquérir le statut
de réfugié ne doivent pas être incités à venir en Europe et doivent
être renvoyés en cas de refus de leur demande d’asile au terme d’un
accord entre Européens et pays d’origine.
Stabiliser les régions en crise
C’est maintenant que nous avons besoin d’une politique étrangère et de
sécurité commune pour répondre aux drames et conflits qui éclatent en
dehors de nos frontières. La lutte contre les causes de l’exode
implique une stabilisation des régions en crise et l’aide au
développement de leurs populations. Il n’y aura pas de solution durable
sans l’Union européenne, ses Etats membres et ses institutions.
La seconde priorité est de parvenir à un approfondissement de la zone
euro et à une réelle convergence économique. Il est également crucial
d’approfondir le marché intérieur, en particulier pour l’énergie, le
numérique et pour les capitaux, tout en renforçant le principe de
subsidiarité. Ainsi la croissance et la prospérité bénéficieront au
plus grand nombre. Ce processus de coordination et de réformes devra
s’accompagner d’incitations effectives. Le renforcement des
institutions de l’Union économique et monétaire va de pair avec la
poursuite de réformes structurelles en profondeur dans chacun de nos
Etats membres.
Nous, confédérations de l’industrie et des employeurs de France et
d’Allemagne, lançons un appel à la mobilisation pour sortir l’Europe
d’une des crises les plus difficiles de son histoire. Notre prospérité,
notre sécurité et notre liberté sont en jeu. Nous, Européens, avons
réussi à surmonter d’immenses défis. Tous les gouvernements doivent à
présent faire preuve de courage et d’une détermination sans faille.
Nous appelons les autorités françaises et allemandes à faire tout ce
qui est en leur pouvoir pour remettre l’Europe en route. Ainsi nous
surmonterons la crise actuelle. Et l’Union européenne en sortira plus
forte pour le bien de ses peuples.
NDLR
: il est également urgent de repenser les réponses à la situation
particulière qui est celle de l'Europe à l'issue des attentats de
Bruxelles. Réponses politiques, diplomatiques, policières et
sécuritaires propres, qui ne doivent pas évacuer la possibilité de
trouver un réglement politique des crises que nous rencontrons... Pour
cela une autre attitude vis-à-vis, du Proche, du Moyen orient et de
l'Afrique est nécessaire. On sait qu'il n'y a jamais eu de débat sur la
politique africaine de la France à l'Assemblée nationale... Il serait
temps de l'enclencher tout en renforçant l'unité et la cohésion des
décisions européennes.
23 Mars 2016
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