L'Europe selon le Pape François
Par Louis Manaranche
Récompensé
du prix Charlemagne pour son engagement européen, le pape François a
exhorté vendredi 6 mai l'Union européenne (UE) à changer son modèle.
Voilà
donc à nouveau un vieux pape de bientôt 80 ans qui raille l'Europe
«grand-mère»! Le cadre était pourtant solennel puisqu'il s'agissait de
lui remettre, au Vatican et non à Aix-la-Chapelle comme le veut la
tradition, le prix Charlemagne, attribué à un grand personnage
européen. Le Saint-Père a rappelé, sans surprise, les racines
chrétiennes et humanistes d'un continent qui a su se faire dans le
passé le héraut des droits de l'homme. Il n'a pas, comme on peut le
lire ici ou là, vanté «l'économie sociale de marché» et le
«multiculturalisme» comme un homme politique qui préconise des
solutions pratiques aux crises. Il a prôné une économie pour le bien
commun, au service de «la juste distribution des fruits de la terre et
du travail humain» et encouragé une renaissance des racines de l'Europe
fondée sur une saine rencontre des cultures - sans confusion ni
syncrétisme - dans le cadre d'un continent marqué par ces échanges et
ces enrichissements: «Les racines de nos peuples, les racines de
l'Europe se sont consolidées au cours de son histoire du fait qu'elle a
appris à intégrer dans une synthèse toujours neuve les cultures les
plus diverses et sans lien apparent entre elles. L'identité européenne
est, et a toujours été, une identité dynamique et multiculturelle».
L'Europe
ne peut être la terre du matérialisme hédoniste qui, sous prétexte de
préserver son identité, veille surtout sur son hédonisme et sur sa
culture du déchet : l'enfant indésirable, le vieillard malade, le
pauvre d'ici ou d'ailleurs dont on ne sait que faire.
Toutefois, pour le Pape, tout cela n'est possible qu'à une condition:
que l'Europe soit jeune. Et il semble bien que ce soit là le coeur de
son message au Vieux continent. Lui, l'Argentin, d'un continent qui
demeure celui de tous les possibles, ne se résout pas à voir l'Europe
décliner démographiquement, socialement, culturellement et
économiquement. Elle est pour lui un idéal et même un «rêve», a-t-il
dit, paraphrasant Martin Luther King. Le «nouvel humanisme européen»
qu'il appelle de ses voeux doit reposer sur une culture de la vie, du
don de celle-ci et de son absolu respect. L'Europe ne peut être la
terre du matérialisme hédoniste qui, sous prétexte de préserver son
identité, veille surtout sur son hédonisme et sur sa culture du déchet:
l'enfant indésirable, le vieillard malade, le pauvre d'ici ou
d'ailleurs dont on ne sait que faire. Cette culture de vie qu'a si bien
définie, avant François, saint Jean-Paul II, est la condition pour dire
à l'Europe comme il y a une trentaine d'années «N'ayez pas peur». Sans
cette floraison nouvelle, l'Europe ne peut qu'être tétanisée par son
déclassement, les flux migratoires qui la submergent, le délitement de
son identité, etc. Si elle sait redevenir mère, alors, l'horizon
s'éclaircit à nouveau. Laissons au Pape les derniers mots :
«Je rêve d'une Europe jeune, capable d'être encore mère: une mère qui
ait de la vie, parce qu'elle respecte la vie et offre l'espérance de
vie. Je rêve d'une Europe qui prend soin de l'enfant, qui secourt comme
un frère le pauvre et celui qui arrive en recherche d'accueil parce
qu'il n'a plus rien et demande un refuge. Je rêve d'une Europe qui
écoute et valorise les personnes malades et âgées, pour qu'elles ne
soient pas réduites à des objets de rejet improductifs. Je rêve d'une
Europe où être migrant ne soit pas un délit mais plutôt une invitation
à un plus grand engagement dans la dignité de l'être humain tout
entier. Je rêve d'une Europe où les jeunes respirent l'air pur de
l'honnêteté, aiment la beauté de la culture et d'une vie simple, non
polluée par les besoins infinis du consumérisme ; où se marier et avoir
des enfants sont une responsabilité et une grande joie, non un problème
du fait du manque d'un travail suffisamment stable. Je rêve d'une
Europe des familles, avec des politiques vraiment effectives, centrées
sur les visages plus que sur les chiffres, sur les naissances d'enfants
plus que sur l'augmentation des biens. Je rêve d'une Europe qui promeut
et défend les droits de chacun, sans oublier les devoirs envers tous.
Je rêve d'une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour
les droits humains a été sa dernière utopie.».
Louis Manaranche est agrégé d'histoire et président du laboratoire
d'idées fonder demain. son livre «retrouver l'histoire» vient de
paraître aux éditions du cerf.
6 Mai 2016
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